Ma mère ne payera pas

Nouvelle année scolaire, nouveaux défis.

Cette année encore, j’ai une élève enceinte. On l’appellera Eva, 3e secondaire, pour la deuxième fois. Voici son histoire…

L’an dernier, à mon arrivée, Eva et moi n’avions pas les meilleurs rapports au monde. C’était une élève difficile, toujours en opposition, qui se faisait une joie de m’insulter en inuktitut. Dans mes cours, elle ne travaillait pas, dans les autres non plus (ce qui est un peu rassurant pour la prof en moi qui se posait de sérieuses questions). Puis, à un moment, elle a juste cesser de se présenter. D’abord dans mes cours, ensuite dans tous les autres.

Je sais que son enseignant titulaire et la direction ont téléphoné à ses parents pour savoir ce qui se passait avec elle. Sa mère a répondu: « Ah ? Elle a de l’école ? ». C’était en novembre. Et son frère était dans mes cours.

En juin, elle n’a réussi aucun examen. C’était la première fois qu’elle vivait un échec pareil. En fait, à ce que j’ai compris, c’est la première fois qu’Eva vivait un échec.

Nouvelle année scolaire, nouveaux défis, nouveau départ.

Cette année, Eva a assité à toutes ces périodes, avec le sourire. Elle a bien quelques absences, mais rien d’alarmant. Elle participe, travaille et pose des questions. Et avec moi, comme avec les autres, elle est agréable.

J’ai profité d’un moment où elle reprenait son souffle pour m’approcher, pour prendre de ses nouvelles et pour lui faire comprendre que j’étais bien contente de la voir aussi souvent. C’est à ce moment là qu’elle m’a appris sa grossesse toute fraîche. Elle m’a demandé de ne pas en parler dans mes cours parce que le père du bébé est aussi dans cette classe et qu’il ne veut pas en entendre parler. J’ai par contre dû en parler un peu, devant tout le monde, seulement pour que tous aient dans la tête qu’on doit faire attention à une fille enceinte. Ou, en d’autres mots, éviter de lui envoyer un « lancer-frappé » dans la bédaine.

J’ai aussi appris que son bébé, il était pour sa mère. Ça fait donc pratiquement un an qu’elle essaie de tomber enceinte, pour que sa mère ait un congé de maternité. Pas surprenant qu’elle était dans une autre monde l’année dernière. Et ça, c’est quand on évite de penser à combien de mecs du villages l’ont vu s’écarter les jambes pour les vacances de sa mère.

Le père de l’enfant, c’est Lazarussie, fictivement. Il est dans le groupe de cheminement particulier, il a 16 ans et a présentement le désir de démolir le faciès de mon copain parce qu’il est amoureux de moi. Mais bon, ça, c’est un autre débat.

Lors d’une période la semaine dernière, Lazarussie a volontairement poussé Eva afin qu’elle se retrouve au sol, et ce, par trois fois. Après mon dernier avertissement qui le menaçait de l’exclure de l’activité de hockey parascolaire (seule véritable chose qui le touche), il s’est calmé.

Je me suis demandé la raison pour laquelle il s’en prenait à Eva. Surtout que j’avais bien pris le temps d’avertir tout le monde que la prudence était de mise avec un bébé à venir. J’ai eu ma réponse par l’un des enseignant.

Les échanges de bébés, c’est difficile à comprendre. Même si c’est la mère de Eva qui a « commandé » ce bébé et que, elle compte bien s’en occuper, les chances qu’elle quémande de l’argent à la mère de Lazarussie sont é-nor-mes. La mère de Laz ne voulant pas débourser un sous, a demandé à son fils de s’arranger pour qu’Eva perde son bébé.

Gentil, non ?

9 Comments

  • mtlfashion
    23 septembre 2009

    Wow! Vraiment je suis sans mot.

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  • Marie-Anne
    23 septembre 2009

    Nancy, tes contributions me transperce le coeur et les tripes. Comment dire ? Merci ? Par tes mots tu nous ouvre une brèche sur une réalité que l’on ne connaît pas. Je suis aussi sans mots devants tes billets.

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  • Stéphanie
    25 septembre 2009

    Je trouve cette histoire bien triste. Quelle que soient les différences culturelles, on parle quand même d’instrumentalisation du corps de jeunes filles qui se trouvent dépossédées de leur propre corps et dont la grossesse « utilitaire » ne participe pratiquement pas d’un choix personnel.

    Quand à l’attitude du « père » et de la mère de celui, elle est tout simplement révoltante, quel que soit l’angle sous lequel on examine la chose!

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  • La digresse
    26 septembre 2009

    Étant enseignante au secondaire, je lis toujours avec beaucoup d’intérêt les billets des autres enseignants. Mais j’avoue que cette fois-ci… je suis bouche bée. Cette histoire semble se passer dans un univers parallèle… et pourtant non.

    Je serais curieuse de savoir s’il y a de l’éducation sexuelle à votre école? Dans la mienne, réforme oblige, il n’y a plus de FPS, donc plus d’éducation sexuelle formelle. Qu’en est-il dans votre coin de pays?

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  • Lepton
    14 octobre 2009

    C’est particulier comme histoire.

    «La mère de Laz ne voulant pas débourser un sous, a demandé à son fils de s’arranger pour qu’Eva perde son bébé.»

    On en revient à la question des pensions alimentaires. Il me semble que la meilleur solution serait d’imposer une taxe spéciale à tout les hommes et dont l’argent serait versé aux mêres célibataires (du moins celle qui en ont besoin). Je pense qu’il serait grand temps que nous assumions nos responsabilités collectives. Et si le pêre a les moyens il doit assumer ses responsabilités également.

    Btw. Il faudrait aussi s’assurer que ces jeunes mêre aient les moyen de poursuivre les études qu’elles veulent. Par exemple par un programme de financement spécifique visant à leur éviter d’être bloqué par un manque d’argent.

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  • Imace
    16 décembre 2011

    Mais est-ce réellement un univers parallèle, un autre monde ? Oui, l’histoire est terriblement choquante.

    Il pourrait être utile de faire un lien entre l’horreur que l’on éprouve devant ces faits, et les interrogations actuelles de notre droit (je suis française) sur ce que l’on appelle pudiquement « la gestation pour autrui ». Les mères porteuses, si vous préférez.

    On mettra plus de formes et d’enrobage autour, mais in fine, la réalité sera-t-elle radicalement différente ?

    Le problème principal est – selon moi – de considérer l’enfant comme un bien et la maternité/paternité comme un droit…

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