Sexisme et fanatisme

Quand on dit « geek », l’image qui vient en tête à la plupart des gens est celle d’un gars blanc* dans la vingtaine, lunetté, vêtu d’un t-shirt noir à l’effigie de son héros préféré.

Bien que ce stéréotype soit contredit par l’important pourcentage de filles s’intéressant à la culture geek, la gente féminine en demeure encore tenue à l’écart. Cette discrimination se vit autant au niveau de la production – le milieu du design de jeux vidéos est encore un bastion masculin – qu’au niveau de l’appréciation de certains genres et médiums tels la science-fiction ou les bandes dessinées.

Il y a bien sûr eu des avancées au cours de la dernière décennie, en termes de littérature fantastique notamment, où les séries à succès écrites par des femmes ne sont plus des exceptions (on n’a qu’à penser à JK Rowling, à Stephenie Meyer ou, plus près de nous, à Anne Robillard). Malgré cela, le sexisme perdure. Les réalisatrices de cinéma n’étant déjà pas nombreuses, encore plus rares sont celles à qui est confiée la tâche de porter à l’écran autre chose que des comédies romantiques ou des drames d’époque. Les stars de la BD et du roman illustré sont aussi en majorité des hommes.

Ce plafond de verre empêchant les femmes d’être créatrices de tel contenu – jumelé à une conception culturelle de la technologie comme étant masculine – explique en partie l’absence de protagonistes féminins dans ce type de produits culturels. Combien de superhéros archiconnus pour une seule Wonder-Woman ? Combien de femmes dans des fresques d’ensemble tels que Lost, Star Trek ou Le Seigneur des Anneaux** ? Ce manque à combler au niveau de la représentativité vient encore renforcer l’image de la culture geek comme une affaire d’hommes.

C’est finalement en tant que consommatrices que les filles sont tenues à l’écart de cette culture. Bien que rien ne les empêche de se procurer des livres de fantasy ou de regarder un film d’action se déroulant dans l’espace, elles sont encore marginalisées au sein de certaines communautés de fans ou « fandoms », particulièrement celles dédiées aux œuvres où les femmes n’occupent pas une grande place***. Il est souvent difficile pour elles d’être prises au sérieux sur un forum de discussion, par exemple.

Des filles réussissent néanmoins à se tailler une niche dans la culture geek. Plusieurs activités fanatiques sont d’ailleurs reconnues comme typiquement féminines : la manipulation vidéo, la fan fiction, le shipping… Reste que ces passe-temps sont généralement considérés dédaigneusement par le reste de la communauté. Trop sentimentaux, disent-ils. Les « vrais » fans doivent être intéressés par la théorisation, la reconstitution, la rédaction d’encyclopédies wiki…

C’est un constat déprimant… mais j’ai quand même hâte de savoir où en seront les choses dans 10 ans d’ici. Sans doute qu’une plus grande démocratisation de la technologie permettra à une plus large proportion de femmes de prendre par à la culture « fan » sur Internet. Et que le succès remporté par de nouvelles créatrices d’œuvres de genre amènera producteurs et éditeurs à être moins frileux. En attendant, les geekettes vont continuer de résister !

* Bien que le focus de cet article soit la discrimination sexiste, il est important de reconnaître que des niveaux d’oppression additionnels restreignent la participation à la culture « geek » de personnes ne correspondant pas à ce cliché. D’autres barrières existent, particulièrement en termes de race et de classe.

** On trouve quand même des séries présentant des personnages féminins dans des rôles importants, nombreux et variés. La version « réimaginée » de Battlestar Galactica présentée sur la chaîne de télévision américaine SyFy jusqu’au printemps dernier en est un bon exemple.

*** Me basant sur ma propre expérience, je dirais qu’il existe effectivement un moins grand sexisme au sein de communautés basées autour d’œuvres mettant en vedette des femmes (i.e. Buffy the Vampire Slayer) ou encore écrites par des femmes (i.e. Harry Potter).

11 Comments

  • Marie-Anne
    31 octobre 2009

    Rafraîchissant ton article, Marie-Élaine. On ne parle peut-être pas assez du sexisme dans les milieux «geeks». N’étant pas moi-même geek, je ne connais pas ces milieux, mais je me les imagine facilement. J’apprécie que tu soulignes qu’il existe d’autres formes d’oppression dans les milieux geeks, comme la classe ou la race. Et tu as raison d’être optimiste face à l’avenir, je crois que les femmes prennent déjà leur place dans plusieurs milieux professionnels et sociaux…Il ne faut pas être déprimé.e !

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  • Lepton
    1 novembre 2009

    Je ne suis pas d’accord avec vous sur ce sujet, il ne s’agit pas de discrimination. Mais de non intérêt de la part fes femmes pour ce que vous appelez la «culture» geek. Ces gars là seraient trop heureux de cotoyer une fille qui partagerait leur passion délirante pour la science-fiction, les technonologies et l’informatique. Je vois là plus une façon de fuire la réalité qu’une culture. Un échappatoire pour ne pas faire face à leur propre médiocrité et au vide de leur existance en s’imaginant dans un univers virtuel où tout est possible. J’ai cotoyé beaucoup de ces gars, de la discrimination absolument pas.

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  • Lepton
    2 novembre 2009

    Je me base sur mon expérience personnelle de cette «subculture». C’est mon impression personnelle basé sur mon observation empirique. Je suis d’accord qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, les contours de la notion de geek sont eux-même assez flous.

    Evidament que dans l’art il y a une part d’évasion, mais tout dépend de la magnitude de ladite évasion. Les gens que j’ai contoyé appartenant à ce courant étaient assez «déconnecté», si je puis dire, du monde réel. Certain vivait des vies par procuration dans des jeux vidéos qui prenait parfois tellement d’importance dans leur vie que c’était inquiétant…

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  • Pwel
    3 novembre 2009

    Je suis une fière geek depuis mon adolescence et je m’assume tout aussi fièrement maintenant presque trentenaire! 😀

    En lisant le billet et les commentaires je ne peux m’empêcher de penser que vous avez tous un peu raison et un peu tort.

    Oui c’est une sous-culture. Oui certains et certaines peuvent s’y perdre mais c’est ce qui arrive quand on s’enferme dans n’importe quel milieu. On devient un peu déconnectés de la réalité. La majorité cependant travaillent (heille ça coûte cher tout ça!), ont des familles et des amis qui font autre chose que ça, surtout en vieillisant.

    Je vais parler en tant que consommateure parce que je ne produis pas. Avec les années j’ai remarqué que c’est vrai que les gars aiment bien que des filles s’intéressent aussi à ça. Quand nous sommes jeunes, nous sommes le centre d’attraction, mais évidement ça se calme en vieillisant. Sauf qu’on attend des filles et des femmes qu’elles reproduisent certains rôles précis qui sont stéréotypés et qui en vieillisant sont de plus en plus ancrés.

    Dans l’imagerie geek, les femmes sont toujours séductrices et à moitié habillées (et les filles faut vivre avec ça quand on est dans le milieu!). Elles ont du caractère, savent se servir d’armes, peuvent être dangereuses, mais n’ont pas besoin d’être habillés. L’exemple classique de la Princesse Leia qui avec son misuscule bikini combat avec courage et dextérité (mais évidement ça a prit des hommes pour la sauver).

    Ça pèse. Surtout qu’en vieillisant je pensais m’en sortir mais à la place de se rendre compte que tous les geeks trippent sur les mêmes trucs on a formé une barrière. Le site Gamon girl en est un bon exemple. Les wii et les clés usb sont roses ou avec des diamants et les articles sont parsemés de « trop mignon! », comme si nous aussi on ne pouvait pas être intéressées par la vitesse des processeurs ou la couleur noire.

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  • Fanie
    3 novembre 2009

    Marie-Elaine, étant moi-même particulièrement geek, j’aime beaucoup ton article.

    Il est vrai que le milieu des jeux vidéo, entre autre, déborde de testostérone. Mon copain travaille dans un de ces endroits et, à chaque fois, je m’amuse à « compter les filles ». :-p Je ne sais plus si je devrais en rire ou en pleurer?

    J’imagine que c’est, encore une fois à nous les femmes de prendre les devants et de dénoncer ces faits. En général, je trouve que les femmes sont bien acceuillies dans ce milieu. Mais, comme dans beaucoup d’autres domaines, une fois qu’on veut monter des échelons, c’est plus difficile!

    Des sites comme Girl Wonder (http://girl-wonder.org/)sont là pour faire entendre notre voix. Peut-être créer un regroupement québecois de geekettes? 😉

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  • Maud
    7 novembre 2009

    Alors là, chapeau! Bel article!
    Merci Marie-Elaine, de dire tout haut ce que bien des femmes pensent tout bas.

    Je suis, pour ma part, dans un milieu de gars. Je fais ma maîtrise en commerce électronique et nous ne sommes que deux filles inscrites à temps plein.

    Je disjonctais au début de la session parce que je devais revendiquer mon droit d’être une gameuse : j’adore les jeux vidéos, mon film préféré (« un de mes », plutôt car je suis éternellement indécise) est Star Wars, je suis une fan finie de LOST, je me pâme sur Prince of Persia (ben ouais, même si c’est juste des bits et des pixels!), j’ai délaissé mes études d’examens parce que Uncharted 2 est sorti en pleine semaine d’intras!

    Je me suis faite dire à maintes reprises par les « geeks » de mon cours que je n’étais pas une vraie femme. Je dois vous dire que ça fesse, se faire dire ça! Je ne suis pas une femme à barbe, j’ai pas une voix d’homme, alors je l’ai mal pris je pense!

    Je crois par contre que les gars se sentent menacés, car les femmes sont partout! Et que même la « seule » chose qui ne devrait pas intéresser les femmes (à en croire le commentaire le Lepton sur le désintérêt des femmes) n’est plus aussi acquise.

    Ce n’est pas vrai que les femmes trippent seulement sur les jeux vidéos Wii Fit pour rester en forme, ou les bonhommes du genre Mario! C’est insultant de percevoir les femmes comme des enfants qui n’aiment que les jeux de famille, ou comme des névrosées qui ne pensent qu’à se garder en forme.

    En terminant, j’ai espoir que bien des filles se reconnaîtront dans mon message, et je vous souhaite bon succès, votre blogue est rafraîchissant! 🙂

    Maud

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  • lulu
    19 avril 2011

    Je voulais réagir au commentaire de Lepton:

     » Je vois là plus une façon de fuir la réalité qu’une culture. Un échappatoire pour ne pas faire face à leur propre médiocrité et au vide de leur existence en s’imaginant dans un univers virtuel où tout est possible. »

    Je trouve ça assez caricatural, ça laisse entendre que la science fiction et les nouvelles technologies sont un ramassi d’idioties déconnectées de la réalité, alors que c’est loin d’être le cas.

    Le fait est qu’un grand nombre de chose deviennent possible, ça dépasse l’univers de l’imaginaire.
    On peut sélectionner génétiquement les embryons avant leur naissance (diagnostic préimplantatoire), on peut créer des espèces hybrides, on commence à développer des nanos robots à des fins médicales etc
    Et tout ça n’est qu’un commencement, les techniques se développent de plus en plus et de plus en plus vite. Nos sociétés risquent de connaître de grand bouleversement, au point où on doit de nouveau s’interroger sur ce qu’est la nature humaine.
    Et je considère, comme beaucoup, que d’une certaine manière la science fiction peut nous aider à développer notre imaginaire là dessus.

    Et ce que je dis n’est pas le délire d’une pauvre geek perdue (je ne sais même pas si je dois me considérer comme une geek), de nombreux philosophes et scientifiques imaginent vraiment que les technosciences vont transformer en profondeur notre monde — pour se faire une idée il faut lire des ouvrages de bioéthique et d’éthique « générale » — qui ressemblent à s’y méprendre à de la science fiction.
    Donc on peut très bien s’intéresser à la science fiction juste pour rêver (et en cela je ne vois pas en quoi ce serait moins intéressant qu’autre chose) mais ce n’est pas un sous genre idiots et déconnecté de la « vraie vie ». En tout cas si on s’en tient au domaine de la littérature et du cinéma, ce genre n’a rien a envier à d’autres genres.
    Et nous avons tous des passions qui nous prennent un temps fou, mais certaines seront mieux acceptées socialement… est-ce vraiment pire que de jardiner ou que suivre l’évolution de son équipe de foot préférée?

    Pour les jeux vidéos plus spécifiquement… je ne sais pas toi mais moi je suis assez fascinée par les changements qui ont eu lieu en a peine quelques décennies, au point où l’on se sert aujourd’hui de cette technologie dans le domaine de la robotique ^^ ( –> kinect de la Xbox)
    Enfin c’est anecdotique :-p
    Pour moi jouer à des jeux vidéos est une activité comme une autre, et il y a beaucoup de genres différents (pour tous les gouts ou presque).

    Alors comme toute passion, ça peut servir de refuge lorsqu’on a un coup de blues – la seule différence c’est qu’on est devant un écran. Mais est-ce plus sain de se réfugier dans le travail? Donc oui par moments et pour certains les jeux vidéos représenteront un moyen de fuir d’autres problèmes; mais ce type d’attitude n’est pas nécessairement néfaste et est commune à la plupart des gens. Par moment, nous avons besoin d’un « refuge ».

    Alors pour les fameux gars dont tu parles, j’imagine qu’ils passent tout leur temps devant les jeux vidéos. On peut imaginer que ce n’est qu’une période de leur vie, quelque chose qui leur permet de tenir (il y a sans doute pire comme « addiction ») — et même si finalement c’est bien leur manière de gérer leur vie, ça ne veut pas dire qu’ils sont médiocres pour autant; ils n’ont peut être simplement pas les mêmes projets de vie que toi.

    Bon… mon message est un peu long, mais ton message m’a un peu irrité.

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  • Imace
    20 avril 2011

    Bonjour,

    De même, le commentaire de Lepton m’a paru un peu manichéen (mais pas inintéressant).

    Je fréquente très majoritairement des geeks, la plupart de mes amis ont plusieurs PC chez eux, je passe pas mal de temps derrière mon écran (wow, CivV, HM&M, et j’en passe…), je suis attirée essentiellement par des garçons timides et gentils qui s’avèrent invariablement informaticiens, et mes collègues de travail se tournent systématiquement vers moi quand leur ordinateur les agace.

    La plupart de ces garçons*, sinon tous, ont un travail, une vie sociale assez repliée sur leur milieu mais incontestable (soirée jeux régulières…), parfois une petite amie…
    *3 demoiselles geekes recencées toutefois autour de moi

    Pour l’intégration des filles dans le milieu geek (non professionnel), je dirais que la conclusion est plus subtile qu’un OUI/NON.

    Les femmes sont, dès lors qu’elles partagent au moins partiellement leurs goûts et ne les jugent pas, plus que bienvenues. Parce qu’elles sont rares, parce que ses garçons sortent souvent d’écoles très faiblement féminisées. Si vous voulez vous faire traiter comme une princesse, fréquenter ce milieu est plutôt un bon plan :p

    D’un autre côté, je rejoins l’analyse de Pwel : le sexisme ne se borne pas à « les bienvenues/pas les bienvenues ». Ce milieu n’est pas exempt de préjugés sur les femmes, bien au contraire, et qui n’a jamais participé à un jeu de rôle avec des geeks ne sait pas leur obstination à sexualiser et bêtifier les situations incluant des femmes (Seigneur, vous incarnez une naine barbare quinquagénaire couturée de partout, bas du plafond, laide et brutale, et le maître de jeu trouve le moyen d’inclure une scène de flirt avec un demi-orc !). Les jeux vidéo regorgent d’héroïne combattant à moitié nue. Et expliquer à un geek que monopoliser son ami fraîchement marié en laissant la jeune épousée faire le pied de grue à côté pendant 20 minutes manque peut-être vaguement de savoir-vivre va le laisser pantois (le geek à qui j’ai expliqué cela, c’est mon copain…….)

    Donc un milieu où être accueillie est relativement aisée (pas de réaction de rejet), mais se faire une place beaucoup plus délicat.

    Pour ouvrir le débat, la morale de l’histoire est peut-être que la mixité, ça aplanit beaucoup de choses.

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