Voici de quoi a l’air une féministe

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La semaine dernière, sur les internets, quelqu’une a partagé ce lien très intéressant, qui présente une playlist de chansons féministes. Yé! Je place ça pas trop loin, je vais l’écouter plus tard. (D’ailleurs, je vous conseille de faire de même, ça vaut la peine. Par contre, je précise que je n’ai pas tout écouté attentivement, des éléments problématiques se trouvent peut-être dans ces choix. Vous pouvez m’en faire part dans les commentaires.)

Et puis là, ce matin, juste avant de me mettre au travail, je me dis que c’est le bon moment pour écouter tout ça. C’est alors que je tombe sur cet « avertissement » qu’on nous sert dans le texte juste avant les clips.

Avertissement : on ne parle pas ici des groupes de “Girl Power” commerciaux à la Spice Girls et des soi-disant féministes hypersexualisées de la culture pop, au message aussi décousu et raccourci que leurs costumes de scène.

Bon, encore une fois, dans un article qui semble tout désigné pour célébrer la musique féminine et féministe, on se met à jouer au trop célèbre jeu « Trouvons la fausse féministe ». Sérieusement, encore? C’était vraiment nécessaire d’ajouter le buzzword qu’est l’hypersexualisation? (Ça, ce sera pour un autre texte. Mais si tu y tiens, je te conseille de lire les travaux de Caroline Caron.) Je comprends qu’il y a une guerre de crédibilité entre le pop et le rock, mais quand même, on aurait pas pu juste célébrer une playlist chouette et ne pas basher celles dont on n’a pas retenu les tounes?

Et qu’on s’entende, je suis loin d’être jovialiste dans la vie. La preuve, je trouve une playlist chouette, et j’en profite pour vous écrire un article sur les trois lignes que je considère de trop dans le texte de présentation. Je crois qu’il est nécessaire de dénoncer les éléments problématiques quand il est question de culture populaire, mais sans tomber dans le girl hate et le slut shaming. Ce que je veux dire ici, c’est qu’il me semble injuste de remettre en cause les propos d’une personne à cause de son habillement. De plus, je ne comprends pas cette tendance à discréditer les artistes populaires qui s’accolent l’étiquette de féministe, sous prétexte que leur analyse est superficielle. Le rôle des stars n’est pas nécessairement d’écrire des essais et de révolutionner le monde. Je pense cependant que d’endosser l’étiquette de féministe peut inciter certaines personnes à explorer les divers courants féministes, et ça, pour moi, c’est déjà beaucoup.

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Revenons à l’exemple des Spice Girls, groupe souvent évoqué comme un instrument du patriarcat contre le féminisme, très utile pour l’équation : musique pop = antiféminisme.  Girl Power, le livre des Spice Girls, publié en 1997, critique ouvertement le féminisme.

« feminism has become a dirty word. Girl Power is just a nineties way of saying it. We can give feminism a kick up the arse. »

(Ma traduction : « Le féminisme est devenu un mauvais mot. Girl Power est la manière moderne de le dire. Nous pouvons donner au féminisme un coup de pied au cul. »)

Dans son article « Girl Power Politics : Pop-Culture Barriers and Organizationnal Resistance », Jessica K. Taft s’interroge sur les diverses définitions associées au Girl Power. Concept né au début des années 1990 avec des groupes comme Bikini Kill et les Riot Grrrl et très associé au féminisme de 3e vague, il a d’abord symbolisé l’empowerment et la prise de pouvoir des filles.

Taft explique qu’aujourd’hui, divers mouvements et associations se réapproprient le terme sans nécessairement se positionner comme antiféministes (elle cite par exemple certaines associations américaines travaillant auprès de filles).  Si Taft associe le Girl Power des Spice Girls à l’antiféminisme, une des quatre formes qu’elle a identifiée (les autres étant l’empowerment, le postféminisme et le pouvoir de consommation), il ne faut pas non plus oublier qu’il existe un décalage entre le message envoyé par la culture populaire et celui qui est reçu par les différents publics.

Parce que ben non, c’est pas si simple que ça. Non, les ados ne répètent pas tout ce qu’elles voient, et oui il est possible qu’un même objet culturel amène des réactions complètement différentes d’une personne à l’autre. C’est d’ailleurs le propos de Bettina Fritzsche dans le texte « Spicy Strategies : Pop Feminist and Other Empowerments in Girl Culture », qui explore différentes pratiques des fans des Spice Girls. Si certaines pratiques sont plus « conventionnelles », comme écouter la musique, écouter les vidéoclips et lire des magazines, Fritzsche énonce d’autres pratiques comme créer son propre style à partir de photos des vedettes, élaborer de nouvelles chorégraphies et organiser des spectacles. La culture pop peut constituer, chez certaines filles, une source d’empowerment et la manière dont les fans consomment des objets culturels peut différer de la lecture analytique que peuvent en faire des adultes chercheures universitaires, cette consommation ne se déroulant pas en vase clôt, mais bien dans un continuum d’expérience qu’on appelle aussi la vie.

Ainsi, même brandir l’épouvantail du Girl Power des Spice Girls n’est pas si simple que ça. Alors, qu’en est-il des autres personnalités publiques oeuvrant dans le divertissement ?

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C’est justement le propos du livre F’em! Goo Goo, Gaga, and Some Thoughts on Balls de Jennifer Baumgardner. En introduction, elle raconte qu’un jour, elle a demandé à un auditoire si Sarah Palin était féministe. Après une vague de protestations, Baumgardner a mentionné que Palin se considère elle-même féministe, que c’est une femme qui a occupé des postes de pouvoir, qu’elle reconnait les luttes qui lui ont permis d’accéder à la politique, et qui milite pour que plus de femmes accèdent à ce genre de positions.

Et puis finalement, qu’est-ce que ça change si Sarah Palin est féministe? Qu’est-ce que ça change si elle ne l’est pas? Sommes-nous dans un débat à cause d’étiquettes? De quoi a l’air une féministe, vraiment?

« At the end of this book, I hope you will believe that is less important for you to figure out if Sarah Palin and Lady Gaga are feminists, and far more crucial to figure out if you are. If the answer is yes, how will you marshal your power, skills, and values to make the world a place in which all people matter? What will your feminism look like? »

(Ma traduction : « À la fin de ce livre, j’espère que vous croirez qu’il est moins important pour vous de savoir si Sarah Palin et Lady Gaga sont féministes, et qu’il est beaucoup plus important de savoir si vous, vous l’êtes. Et si la réponse est oui, comment ferez-vous pour canaliser votre pouvoir, vos habiletés et vos valeurs pour faire un monde où chaque personne compte? De quoi votre féminisme aura l’air? »)

 

Références :

Bettina Fritzsche (2004). « Spicy Strategies : Pop Feminist and Other Empowerments in Girl Culture », dans All About the Girl. Culture, Power, and Identity, Anita Harris (dir.), New York: Routledge, p. 155-162.

Jennifer Baumgardner (2011). F’em! Goo Goo, Gaga, and Some Thoughts on Balls, Berkeley: Seal Press.

Jessica K. Taft (2004). « Girl Power Politics : Pop-Culture Barriers and Organizationnal Resistance », dans All About the Girl. Culture, Power, and Identity, Anita Harris (dir.), New York: Routledge, p. 69-78.

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