#TLMEP

Dimanche soir, comme à mon habitude, j’écoutais l’émission Tout le monde en parle à Radio-Canada. Lors de la première entrevue de la soirée, avec Renée-Claude Brazeau, l’auteure du téléroman La Galère, de même que trois actrices de la série (Brigitte Lafleur, Anne Casabone et Geneviève Rochette), j’ai été surprise qu’à plusieurs reprises, les co-animateurs Guy A. Lepage et Dany Turcotte utilise le mot « folles » pour désigner ce groupe de femmes. Ici, je n’ai nullement l’intention de prétendre connaître les motivations derrière ce choix de vocabulaire, ni la manière dont ces femmes l’ont reçu. J’ai été simplement choquée d’entendre ces animateurs utiliser ce mot péjorativement associé à un état de santé mentale de manière si désinvolte.

J’ai donc décidé, comme je le fais parfois, de jeter un pavé dans la marre Twitter pour partager mon exaspération. Je souhaitais exprimer ma critique, tout en souhaitant peut-être avoir l’approbation de certaines personnes pensant comme moi, afin de ne pas me sentir seule. J’ai poussé l’audace jusqu’à utiliser le fameux hashtag #TLMEP, même si je ne l’utilise plus depuis longtemps. Ce mot-clic attire presqu’automatiquement son lot de trolls. Mais dimanche, ma volonté de m’exprimer était plus forte que mes habitudes de protection. J’ai donc lancé ce tweet dans l’univers : Capture d’écran 2015-11-07 à 15.20.25 

Quelques minutes plus tard, j’ai constaté que j’avais déjà reçu de nombreuses réponses. Les trolls sont en forme ce soir, on dirait, me suis-je dit avec lassitude. Mais ce n’était pas des réponses ordinaires. Une d’entre elles sortait du lot :

Capture d’écran 2015-11-07 à 15.20.57

 

 

 

 

 

 

Dany Turcotte avait choisi mon tweet pour le partager à ses quelques 154 000 abonnés sur Twitter. Voilà pourquoi je recevais autant de réponses! Et parmi elles, des affirmations pas très tendres à mon sujet.Capture d’écran 2015-11-07 à 15.23.32

Capture d’écran 2015-11-07 à 15.24.46

Donc, on m’a dit que j’étais susceptible, frustrée, psychorigide, on s’est attaqué à mon apparence, et on en a profité pour ajouter des insultes homophobes à l’égard de Dany Turcotte.

Et parce que ce n’était pas suffisant, je suppose, on s’est attaqué au fait que je me présente comme féministe et on a pris une capture d’écran de ma photo de profil.

Capture d’écran 2015-11-07 à 15.26.16

 

 

 

 

 

 

 

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Et ça a continué jusqu’au lendemain matin. Quelques personnes m’ont manifesté leur appui, et celles qui ont confronté directement certaines de ces personnes ont reçu rapidement des propos tout aussi injurieux.

Au moment de recevoir ces réponses, j’ai choisi de ne pas répondre à personne et de faire ce que je sentais qui me ferait me sentir mieux et en sécurité : j’ai pris plusieurs captures d’écran et j’ai partagé ma mésaventure dans des espaces privés. J’ai reçu du soutien d’ami-es et de connaissances, et ça m’a fait du bien.

Un dimanche soir sur Twitter…

Je savais que Dany Turcotte et Guy A. Lepage avaient l’habitude d’être très actifs sur Twitter lors de la diffusion de leur émission. Je les avais déjà vu mettre de l’avant des tweets, de trolls principalement. Je ne suis pas contre cette pratique. Je pense qu’il s’agit d’un outil puissant pour dénoncer des propos discriminatoires et offensants. Il existe aussi un grand nombre de sites qui recense ce genre de propos (notons à titre d’exemple Les Antiféministes). Mon choix de poster ici des captures d’écran de propos que j’ai reçu (en public, je tiens à le préciser) s’inscrit dans cette logique.

Cependant, je ne vois pas en quoi le tweet que j’ai posté dimanche soir était du trollage. C’était une critique, certes, une critique en 140 caractères, sur une situation que je considère légitime, soit la stigmatisation de certaines personnes en lien avec leur état de santé mentale. Je ne reviendrai même pas ici sur les propos épouvantables que j’ai lus dimanche dernier à propos de Renée-Claude Brazeau. Traiter quelqu’un de folle ou de fou, c’est contribuer à l’exclusion et à la stigmatisation de certaines personnes. Je suis consciente qu’il s’agit d’une insulte que la plupart des gens lancent sans réfléchir, mais je crois qu’il est possible d’informer les gens et d’éventuellement faire évoluer les mentalités. Je ne peux pas accepter les propos capacistes, tout comme je ne peux pas accepter des propos racistes, homophobes, sexistes, et toute autre forme de discrimination. Je ne comprends pas la décision de Dany Turcotte, qui a une tribune immense et qui connait certainement le pouvoir associé à cette position, de ridiculiser de la sorte mes propos.

Ce qui me fâche le plus dans tout ça, c’est que ma situation n’est que la pointe de l’iceberg. J’ai choisi de décrire en détails ce qui est arrivé, parce que je suis consciente que cette expérience ressemble à celles vécues en ligne par de nombreuses femmes et de nombreuses personnes marginalisées. Je suis consciente qu’en décrivant ici ce qui s’est passé, je risque de convaincre certaines personnes de garder le silence. Bien que je respecte tout à fait le choix de chacun-e d’agir selon leur niveau de confort, je le fais surtout parce que je refuse de me taire, et je souhaite dénoncer ces pratiques qui ne visent qu’à faire entrer les gens dans le rang, et à éliminer la critique et toute parole dissidente en rendant la prise de parole non seulement désagréable, mais risquée et menaçante. Si la liberté d’expression est si chère à bon nombre de personnes, ces pratiques visent directement à garder des personnes sous silence. Non pas parce qu’elles n’ont pas le droit de prendre la parole, mais parce que les attaques directes et personnelles peuvent conduire à des sentiments de peur et ultimement à l’autocensure. Et ça, je ne l’accepte pas. Personne ne mérite de vivre dans la peur de s’exprimer. Personne ne mérite cette violence.

J’ai choisi d’utiliser ma position assez privilégiée afin de faire avancer la cause. J’ai un bon réseau de soutien, ce qui a fait une différence énorme dans la manière dont j’ai vécu cette expérience. De plus, j’ai une facilité à m’exprimer et j’ai accès à une certaine tribune. Le fait d’être une femme blanche et cis m’a préservée d’insultes racistes et transphobes. En même temps, j’ai certaines zones de vulnérabilité :  je suis une femme qui prend la parole en ligne sous mon propre nom, avec ma photo, en m’identifiant comme féministe. Des mauvaises langues diront que je cours après le trouble. Pourtant, la plupart des personnes qui ont choisi de déverser leur haine sur ma personne en ce dimanche soir tranquille l’ont fait sous leur propre nom et photo, en public.

D’ailleurs, je me suis longtemps posé la question si j’écrirais directement, en privé, à Dany Turcotte, ou si je ferais circuler un texte en public. Comme c’est en public que j’ai été mise sur la sellette, c’est en public que j’ai choisi de répondre.

J’ai choisi de répondre parce que je crois que cette anecdote permet d’aborder plusieurs éléments importants. D’abord, la banalisation du terme «folle» dans l’espace public, particulièrement utilisé pour discréditer des femmes. Ensuite, la notoriété d’un co-animateur de télé qui place ce dernier dans une position d’autorité et de pouvoir dans l’espace médiatique. Aussi, le mépris infantilisant des réponses reçues sur Twitter, le refus d’y voir une critique légitime. Finalement, les tactiques d’intimidation sur les médias sociaux, qui se manifestent entre autre par des attaques directes à la personne.

Cette anecdote n’est pas unique, et j’ai choisi de la dénoncer pour que d’autres osent aussi. Nous avons le droit de prendre la parole et nous la prendrons. On ne nous fera pas taire.

L’Internet n’est certainement pas un espace sécuritaire, mais on peut tenter, en se soutenant et étant là les un-es pour les autres, d’en faire un espace de courage.

12 Comments

  • martin dufresne
    7 novembre 2015

    Bravo pour ce texte.
    De plus en plus de femmes rejoignent des blogueuses comme Anita Sarkeesian, Meghan Murphy et Sarah Labarre* pour dénoncer la misogynie qui s’exprime de façon aussi décomplexée sur les réseaux sociaux.
    Mais quand ce sont deux animateurs d’une émission télé à immense écoute, deux mecs payés par mes impôts qui y vont de leurs insultes souriantes, il est temps d’accrocher le grelot et je suis heureux que vous l’ayez fait.

    ________________
    *dans URBANIA, sur son blog lesantifeministes.tumblr.com, et dans le numéro de novembre de Le COUAC qui signe un dossier spécial sur les antiféminismes.

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  • Le voyageur
    8 novembre 2015

    ???
    Quand tu attaque, ces normal de subir une riposte… Votre geste est vue comme de la mauvaise fois par plusieurs parce que, en 2015, ces dur de croire que vous n’avez pas compris que ce termes n’a pas été utilisé de façon négative. Certains, voir plusieurs vois cela comme de l’acharnement féministe. Je suis certain que les protagonistes son amplement capable d’affirmer leurs désaccord ( si il y en a un) face a l’utilisation de ce termes.
    Merci

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  • Marco
    8 novembre 2015

    La voyageur: En quoi a-t-elle formulé une attaque ?

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  • martin dufresne
    8 novembre 2015

    Il me semble clair que si des hommes étaient publiquement traités de « fous », ils y verraient (pour le moins) une connotation négative.
    Et lorsque ce sont des femmes qui sont ainsi désignées par des hommes, s’ajoute une connotation paternaliste. L’intention ne change rien à l’affaire.
    En fait c’est tenter de faire taire cellles qui disent ces réalités qui constitue de l’acharnement ou, à tout le moins, de l’aveuglement volontaire.

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    • Le voyageur
      8 novembre 2015

      Pas vraiment, ces un peu comme: « gang de malade » ou  » c’était débile écœurant « …pis surtout en 2015, avec tout la lourdeur du  » politicly correct » au quebec, ya pas grand place pour l’insulte gratuite…le lynchage de Picotte et Julien qui on tenue des propos stupide est une bonne exemple.

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  • martin dufresne
    8 novembre 2015

    Libre à vous de vous affirmer « politically corrupt », mais un réseau d’État n’a pas le privilège de cette négligence.

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    • Le voyageur
      8 novembre 2015

      Heu? Négligence d’utiliser un langages populaire?
      Et j’affirme que ce sont les médias qui son etouffés par le  » politiquement correct  » , et non moi qui est politiquement corrompu…
      Merci

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  • martin dufresne
    8 novembre 2015

    Non, « négligence » de tenir compte des implications pour les femmes de certaines expressions péjoratives. Le parler populaire n’est pas en cause.

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    • Le voyageur
      9 novembre 2015

      Arrrggg….l’expression n’est pas péjorative. « kriss de folle », ça ces méchant, mais  » belle gangs de folles qui ont du plaisir sur un plateau de tournage » ces juste un peu familier, tout est dans le contexte, comme j’ai dit précédemment, au quebec, les hommes dans les médias sont sous très haute surveillance.
      Merci pour cette discutions.

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  • martin dufresne
    9 novembre 2015

    Un bon principe pour départager de telles différences de point de vue (même si vous insistez que le vôtre est le seul valide) est de privilégier celui du groupe concerné.
    Pour vous détacher de votre perspective, imaginez comment des Noir.e.s se sentent quand des Blac.he.s leur disent quelque chose du genre « Vous dansez vraiment avec un instinct animal. »
    L’exemple que vous imaginez n’est PAS ce qui a été dit à TLMEP.

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  • Arabella
    9 décembre 2015

    Le langage est un moyen d’oppression. Les termes ne sont pas neutres. J’essaie de rayer de mon vocabulaire tous les mots ayant une connotation à la fois positive et violente (il y en a beaucoup!!): se battre, croisades, lutter, vaincre, campagne, etc.Je ne veux plus m’identifier avec ces stratégies, et je cherche à les remplacer par ce qui me convient mieux, collaborer, croître, cultiver, offrir!

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