Pourquoi je n’ai pas aimé Blade Runner

Peut-être parce qu’où j’ai grandi  le seul poste de télévision disponible était Radio-Canada, mais j’ai des grands trous dans ma culture cinématographique. Pour tout vous avouer, j’ai écouté Top Gun pour la première fois cette année et je n’ai jamais vu Mon fantôme d’amour. Donc, en retard de trois décennies, j’ai écouté pour la première fois Blade Runner, il y a trois semaines.

Même si j’ai apprécié plusieurs aspects de l’œuvre, la scène « d’amour » entre Rick Deckard (Harrison Ford) et Rachael (Sean Young) a un peu gâché mon plaisir. Je mets amour entre guillemet par ce que selon moi  il ne s’agit clairement pas d’une scène d’amour.

Pour vous remettre en contexte, à ce moment, Rachael est encore sous le choc de réaliser qu’elle n’est pas un être humain mais bien un genre de super androïde (un replicant), que toute sa vie est basée sur un mensonge (et accessoirement, qu’il ne lui reste que quelques années à vivre). Donc, Rick l’embrasse dans le cou et elle ne bouge pas, ne l’embrasse pas en retour, ne l’encourage pas. Il s’approche ensuite pour l’embrasser de nouveau, elle se lève et tente de quitter l’appartement. Il la poursuit, l’empêche de sortir et la projette violement contre le mur. Il la force ensuite à lui dire « kiss me » et « I want you », même si visiblement, ce n’est pas ce qu’elle a envie de lui dire. On aura beau ajouter tout le saxophone cheesy et l’éclairage tamisé qu’on veut, pour moi, il n’y a aucun doute qu’on assiste là à une agression sexuelle. Et je dirais que le code criminel canadien serait aussi de cet avis puisqu’il n’y a aucune manifestation de consentement de la part de Rachael.

Ceci dit, ce n’est pas tant la scène elle-même, qui m’a choquée mais plutôt le fait que tout de suite après, on voit que les deux personnages sont amoureux et d’ailleurs le film va se terminer (spoiler alert pour celles et ceux 30 ans en retard comme moi) sur leur fuite ensemble vers un monde meilleur. Il n’y a donc aucun retour, aucun indice qui laisse supposer que ce qui s’est passé était mal.

Au départ, toute seule dans mon salon, je me suis dit que c’était probablement symptomatique de l’époque, que maintenant, une scène comme celle-là ne passerait plus aussi inaperçue. À ma grande surprise, la plupart des gens avec qui j’en ai parlé ne trouvait pas grand chose à reprocher à cette scène. On m’a répondu que même si elle ne semblait pas super « partante » au début, son attitude changeait vers la fin de la scène et donc que ce n’était pas vraiment une agression. Pour moi, ce genre d’argument revient à dire « que les filles aiment ça se faire forcer un peu » et « qu’un non peut devenir un oui si tu sais y faire ». On m’a aussi dit que puisqu’elle n’était pas humaine, ce ne pouvait pas vraiment être une agression. Comme tout le film est basé sur la prémisse que les réplicants ressentent les mêmes émotions que les êtres humains, je trouve cet argument extrêmement fallacieux.

Ce n’est pas la première fois que je reste perplexe devant la façon dont on montre avec beaucoup de désinvolture des scènes de sexe sans consentement au cinéma ou à la télévision. Comme plusieurs fans the Game of Thrones, je n’ai pas été particulièrement scandalisée que Jaime Lannister viole sa propre sœur et amante devant la dépouille de leur fils (après tout, on parle de Game of Thrones ici). C’est plutôt le refus du directeur de la scène et de l’acteur principal de reconnaitre qu’il s’agissait bien d’agression sexuelle qui m’a indignée. Pourtant, dans la scène, Cersei répète « stop » et « no » à de multiples reprises et tente de repousser Jaime plusieurs fois. Comment tellement de gens en arrivent à conclure que «le rapport devient consenti»? Et comment peut-on encore invoquer le fait que les deux personnages entretiennent une relation amoureuse pour rejeter l’hypothèse qu’il s’agit bien d’un viol?

Plus près de nous, la télésérie Les Pays d’en Haut nous a aussi offert une belle scène où Alexis est visiblement trop éméché pour consentir à quoi que ce soit et où Délima va jusqu’à se faire passer pour Donalda. Dans le code criminel canadien, pour qu’il y ait consentement, la personne doit être consciente et lucide et elle doit connaitre l’identité du partenaire.

Pour être tout à fait claire, je ne suis pas scandalisée qu’on montre des scènes d’agression sexuelle au cinéma ou à la télévision. Au contraire, quand je vois à quel point cette réalité fait partie de la vie de nombreuses femmes, je suis surprise qu’on ne traite pas plus souvent de ce fait. Par contre, je suis outrée qu’on montre des scènes de sexe non consensuel sans assumer qu’il s’agit là d’agression sexuelle, sans que la suite de l’histoire en tienne compte par la suite, ou, pire encore, comme faisant partie d’une relation amoureuse normale.

On accuse souvent la pornographie de projeter une image déformée de la sexualité et on s’inquiète volontiers des jeunes qui s’éduquent via ce genre de film. Je pense qu’il est temps qu’on s’intéresse aussi à comment la sexualité et la notion de consentement sont présentés dans des films ou des émissions qui d’adressent à un plus grand public et de l’importance d’identifier les scènes d’agression sexuelle quand elles se présentent.

Clémence Lamarche

9 Comments

  • léa
    15 juin 2016

    J’adore ce film et je pense être féministe, cette scène ne m’as pas choqué comme toi car pour moi c’est une agression sexuelle qui est filmée comme une agression sexuelle. Je n’ai jamais perçu cette scène comme sexy, peut être c’est moi qui n’est pas compris, peut être suis je mal informée.
    Mais pour moi cette scène montre le problème du personnage principale, sa violence, sa solitude et son malaise d’aimer cette femme qui n’en est pas une (car oui c’est une cyborg, un robot).
    Cette scène montre aussi le pouvoir qu’ont les humains sur ces robots qu’ils ont créer pour avoir des sentiments mais n’ont pas le droit de s’en servir et donc de dire : non. C’est une sorte de poupée vivante, et son jeu d’actrice comme son visage le montre bien. Le malaise existe, oui il se force à elle car elle ne sait pas analyser tout ça et oui c’est un c*nnard.
    C’est une scène qui m’a toujours gêné tout comme le reste du film et qui questionne beaucoup de choses sur l’âme humaine et ses défauts, (tout comme le reste du film). Cette scène représente assez bien le thème du film, comme quoi l’homme est aussi perdu que les robots qu’il construit.
    Ils s’enfuient ensemble a là fin sans doute car ils se retrouve l’un l’autre dans la peur et le doute de l’autre, et elle le suit car honnêtement elle n’a rien d’autre a faire.
    Pour ce qui est de la lumière et du son, la lumière est tamisée tout le long du film donc bon je ne prendrai pas ça en compte. Je ne pense pas que le saxophone est là pour romantisé la scène, pour moi il rajoute un coté malsain, pour montrer que même l’amour est foutu.
    Chose importante: il faut aussi savoir que ce film à été bidouillé par les producteur pour que Harisson Ford reste un super héros, un homme fort, contrairement à ce que souhaitait le réal, car Harisson jouait Indiana Jones au même moment (que veux tu, Hollywood…). Donc peut être que le scénario à sans doute été un peu modifié.
    Bref, voici mon avis. C’est bien loin des scènes de viols des premiers James Bond où la fille dit « non non non » puis « oui oui oui » car James en à une grosse. Contrairement a tes amis je reconnais le problème de cette scène « d’amour » car il y en à un. 🙂

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    • Clémence
      15 juin 2016

      C’est toujours intéressant d’avoir un point de vu différent. Pour moi, je pense que la scène aurait mieux passé si elle n’était pas la prémisse de la relation amoureuse. Mais c’est vrai que le personnage principal est un espèce d’anti-héros qui n’est pas super attachant.

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  • Simon
    15 juin 2016

    Cette scène me rend aussi dubitatif. Je suis un fan de science-fiction et de Philip K. Dick et de son oeuvre au cinéma. Les réplicants dans le roman  »Do androids dreams of electric sheep » duquel est adapté Blade Runner sont discernables seulement par le test Voigt-Kamp qui sert en fait à analyser les réponses empathiques involontaires. À ce moment-là du livre, Rick est en brouille avec sa femme (oui il a une femme dans le roman) et Rachel vient de le retrouver chez lui pour lui offrir son aide dans la chasse de Priss et Roy Baty. Après un bref échange Rachel se déshabille et dit: «Je vous aime. Si j’entrais dans une pièce et que je tombais sur un sofa tapissé de votre peau, le Voigt-Kamp ferait tilt» (p.200) ensuite ils font l’amour. C’est ensuite lorsque Rachel prend une douche qu’elle se fait la constatation suivante: «-nous les androides, on est incapable de maîtriser nos passions physiques, sensuelles. j’ai l’impression que tu as abusé de ma faiblesse.
    mais elle n’avait vraiment pas l’air en colère. Elle était même devenue plutôt enjouée et aussi humaine que n’importe laquelle des femmes qu’il connaîssait.» (p.202)
    Je pense que le malaise de la scène vient de l’adaptation. Dans le roman, la relation Rachel et Rick n’est pas importante. Elle n’est pas importante sinon pour montrer le trouble de Rick à réformer les andros. Il commence à douter de sa fonction. Il commence à compatir au sort des machines qu’il réforme au point d’en désirer une. Reste que c’est tout ou plus pour l’un et l’autre une aventure d’une nuit sans conséquence sinon que Desckard décidera de ne plus tuer d’androides après ceux-la et ira dans un espèce de pélerinage spirituel pour se purger. Dans le film, la relation est quasi centrale à l’intrigue et très peu développée aussi, elle arrive aussi brusquement que dans le film (quoique vraiment plus douce et sensuelle dans le roman. L’adaptation a voulu conserver cette zone grise entre l’abus et le désir avant un personnage incapable de raisonner ses pulsions sensuelles et l’autre qui est dans le doute et la remise en question. mais là où dans le roman ce dilemme est étendu sur un chapître le film l’exécute en une scène et fait trop graphiquement et en la plaçant tout de suite après que Rachel apprenne qu’elle est réplicant, alors que dans le livre une bonne journée passe et elle démontre de l’intérêt pour Rick en lui offrant de l’aide pour chasser Priss et Roy et ou dans le roman Rick n’est plus sur de ses sentiments pour sa femme fait de lui un célibataire violent dans le film. C’est-à dire le film grossis les traits et va au plus graphique.
    Quant au Happy End à la fin alors que rick s’enfuit avec Rachel dans un lever de soleil nanardesque, ça c’est une petite vite du producteur. Trouvant la fin du réalisateur trop ambigüe et sombre décide d’ajouter cette scène pour conclure. Dans le roman, Rick s’exile bel et bien mais c’est pour vivre une expérience mystique et sans Rachel.
    Quand j’ai revu cette scène après avoir lu le roman, j’ai été troublé. Je voyais bien l’intention ou ce que voulais faire la scène mais trop d’éléments diffèrent. Parfois j’en viens à considérer les deux oeuvres séparément. Là où le film joue sur les troubles identitaires, l’empathie et la violence, le roman lui est l’histoire d’un assassin qui apprends à aimer ses victimes au détriment de sa santé mentale. Philip K. Dick avait vu les images d’ouverture du film avant de mourir il avait dit avoir été impressionné par la vision du réalisateur et ressemblait à la sienne mais était en total désaccord avec le scénario, si bien qu’il a fallut engagé un autre scénariste pour les dialogues et Dick n’a jamais pu approuver ce scénario. Le tournage a été très tourmenté Harrisson Ford ayant été fortement influencé le personnage de Rick Deckard dans le film. Est-ce un viol? Ce n’est pas à moi de le juger. Tout ce que je peux dire c’est que la scène est maladroite, trop rapide et mal placée, mal écrite et diverge tellement de ce qu’elle aurait pu être, c’est-à-dire la scène où le personnage prend conscience du mal qu’il fait.

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  • Mahen
    14 avril 2020

    Salut ! Merci pour ce billet. J’arrive un peu après la guerre… J’ai googlisé « scène d’amour blade runner ». (déjà ça me fait tiquer de caractériser ça de scène d’amour).

    J’ai dû voir Blade Runner au moins 3-4 fois et j’adore cet univers cyberpunk, la BO etc. Cela dit, j’ai toujours été mal à l’aise avec les « scènes d’amour » et autres coups de foudre bidon… et plus généralement le fait d’insérer des éléments uniquement pour racoler le public. Et je comprends mieux désormais pourquoi.

    Il est vrai qu’avec un peu de recul, celle-là est franchement gratinée car c’est clairement une scène de viol., elle est hyper violente. Disons que s’il s’agissait de dépeindre des relations spécifiques entre les personnages et que cela était isolé, ce ne serait pas un problème. On pourrait se dire que le scénariste a voulu dépeindre un personnage borderline. Mais en réalité, il s’agit vraisemblablement d’aller encore plus loin dans ce qui était déjà banalisé dans l’asymétrie du consentement, et de susciter des fantasmes. Le mec qui force la nana, c’est moins courant maintenant ou pas ? J’ai l’impression que de type de banalisation découle puissance 10 la pornographie.

    Le caractère gratuit de cette scène gâche un peu le film. (même si l’enjeu n’est pas le film mais le contexte général). En plus ça nuit à la crédibilité du propos et de l’univers qui se veut profond.

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  • Robin
    11 juin 2020

    Franchement j’ai été choqué par cette scène d’ailleurs juste après l’avoir vue j’ai fait des recherches pour comprendre et c’est la que je suis tombé ici rassuré de pas être le seul à ne pas trouver ça normal…

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  • Cerise
    7 mars 2021

    Alors je n’ai pas taper dans ma recherche « scène d’amour » mais bien » blade runer viol ». Déjà la scène montre au spectateur que si on insiste auprès d’une femme au point de lui faire peur on peut réussir à lui faire dire des choses qu’elle ne veut pas pour la violer plus tranquillement. Mais le pire c’est de laisser croire que cela peut être le debut d’une histoire d’amour réciproque! Ça m’a gâché toute la fin du film. Je mets ça sur le fait que ce soit un film des années 80 et j’espère qu’aujourd’hui on va vers un cinéma qui ne légitimité plus le viol

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  • Rika
    18 juin 2021

    Je viens de le découvrir et je suis encore choquée par cette scène qui m’a aussi gâché toute la fin du film. Ma déception était d’autant plus grande que c’est après avoir vu quelques heures avant le plus récent que j’ai souhaité découvrir comment était née cette relation entre les deux personnages.. Je me suis encore plus motivée à les regarder à la suite après avoir découvert une émission d’arte qui vise à décrypter le film en le présentant comme étant un film d’anticipation ..,et même la dedans, dans le synopsis qui est décrit, il est question de relation amoureuse..Affreux quant on découvre comment après l’avoir séquestré , le personnage principal l’oblige à répéter ce qu’il veut entendre, puis la scène de fin où il lui demande si elle l’aime et si elle lui fait confiance..ce à quoi elle répond: « oui » évidemment ! Dans le second film il est ensuite question d’un enfant né et par amour .. ce qui me fait me dire que cet acte du 1 est clairement légitimé dans le second. A la fin du 1er. , un moment j’ai cru qu’elle s’en irait vers le nord (seule) comme elle prévoyait initialement mais c’était sans compter sur la « « passion Viol » de son hôte qui pour moi, fini par l’emprisonner dans ce statut de « robot esclave ».
    En tout cas, merci pour les contributions précédentes qui m’ont entre autres permises de savoir que le livre en parlait autrement. J’ai aussi été rassurée de savoir que comme moi vous avez cherché une analyse sur cette scène de l’angoisse.. je croyais rêver tellement elle se voulait banalement hot.
    Et Merci pour ce blog qui m’a aussi permis de me défouler avant d’aller me coucher et me rappeler que ce n’est qu’un film Et d’époque., Enfin quoique….

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  • Noemie Chatelain
    23 septembre 2021

    Après être allé voir le film avec un ami, nous nous sommes disputés dans la voiture. J’ai commencé à exprimer m’être sentie très mal à l’aise pendant cette fameuse scène que j’avais spontanément qualifiée d’agression sexuelle. Mon ami ne voyait pas où était le problème, il defendait le film, justifiant les agissements du hero en expliquant qu’elle était déjà amoureuse de lui et qu’il l’aidait juste à s’en appercevoir. Il avait à l’inverse de moi une forme d’admiration pour ce héro séducteur là où je n’avais vu qu’une forme de domination très malsaine… Et le fait que cette scène ne soit jamais traitée comme une agression sur la suite du film et donne même naissance à leur histoire d’amour m’a profondément dérangée et gâché le plaisir du film. J’ai donc tapé « Blade runner scène viol » dans Google et je suis tombée directement ici… Et franchement merci, ça me rassure beaucoup que d’autres que moi le verbalisent aussi et poussent même l’analyse. Je me sentais seule et confuse, finissant pas croire que c’était peut-être effectivement moi qui n’avait pas compris le film. Mais vraisemblablement c’est l’inverse et je suis surprise qu’autant de gens regardent ce film sans se sentir mal à l’aise devant cette scène supposée être erotique…

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  • rém
    11 octobre 2021

    Déjà que j’avais du mal à rentrer dedans, cette scène m’a fait stopper le film.
    Le type qui a pensé cette scène est un déséquilibré

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