Le retour des curés

(c) Marie-Claude Pastorel

(c) Marie-Claude Pastorel

Lettre aux bien-pensants, parangons de vertu et autres mangeux de balustre, qui s’empressent de réprimer leur prochain dès qu’ils en ont l’occasion.

 

Ça fait plusieurs années que je me baigne à la piscine de mon quartier. Ayant des problèmes de dos, la piscine reste le sport le plus complet et le moins violent pour moi. Je me rends donc 2-3 fois par semaine à la piscine du coin pour faire 1h d’exercices et quelques longueurs. Pour pouvoir survivre aux douleurs chroniques dues à deux chirurgies majeures pour une scoliose et une entorse cervicale héritée d’un accident d’auto, la piscine est ce qu’il y a de mieux.

 

On est chanceux à Montréal, les piscines publiques sont gratuites et accessibles pour tous. Résident ou pas, personne ne te demande de t’identifier à l’entrée, t’apportes ton cadenas, tes gougounes pour pas salir le plancher ni attraper de verrue plantaire (ouache!), ton costume de bain pis t’es prête à aller te baigner. Simple de même, même pas besoin de casque!

 

Or, récemment, je ne me sens plus aussi libre lorsque je vais à ma piscine. C’est que de nouveaux avertissements ont fait leur apparition sur les murs du vestiaire des femmes. On demande aux usagères de bien vouloir utiliser les cabines individuelles pour se changer lors des heures de bain pour tous. Pourquoi, que je me demande? Les enfants ne reçoivent-ils pas des cours d’anatomie à l’école? Est-ce qu’un corps adulte, vieillissant serait à bannir des espaces publics parce que trop choquant?

 

L’an dernier, ma mère, qui gardait ses deux petits-fils de 7 et 8 ans, est allée à la piscine avec eux un après-midi de congé (une autre piscine de Montréal) et pour ne pas les laisser seuls, elle les a amenés au vestiaire des femmes, comme elle a toujours fait avec ses propres enfants. En sortant sur le bord de la piscine, elle s’est fait avertir par une sauveteuse qu’elle aurait plutôt dû utiliser le vestiaire familial. Pour ceux qui connaissent pas, c’est nouveau, le vestiaire familial; généralement, ça débouche sur la pataugeoire. Ma mère, à 58 ans, n’avait jamais vu ça, un vestiaire familial.

 

Elle lui a donc répondu :

 

« Ah, bon! Je ne connaissais pas le vestiaire familial. Ça existe depuis longtemps? Vous savez je suis leur grand-mère, ce n’est pas bien grave.

  • Madame, c’est qu’il y a des femmes âgées qui se changent nues dans le vestiaire, ça pourrait les choquer. »

 

Choquer qui? Les enfants? Est-ce que la vue d’un corps humain, de celui d’une femme, surtout, avec ses plis, son gras, sa cellulite, ses varices; des corps mous, fermes, petits, gros, noirs, blancs, transparents, cicatrisés, poilus, imberbes, ça choque automatiquement? Est-ce que ça peut choquer au point même d’être banni d’un lieu comme le vestiaire où, par définition, on vient se changer, prendre une douche et faire sa toilette?

 

Quand je vois les affiches placardées à ma piscine, j’ai juste envie de les vandaliser, de les jeter, de les déchirer, d’engueuler celui ou celle qui osera venir m’avertir, si jamais ça se produisait.

 

A-t-on mis les mêmes affiches au vestiaire des hommes? leur crierais-je par la tête si j’en avais l’occasion!

 

Quand on était au secondaire, la douche était obligatoire après le cours d’éducation physique, il y avait même un prof qui surveillait pour voir si on y était allé. Les gars avaient des douches communes et les filles, que des douches individuelles. Aux gars, on a donc appris que la nudité dans les vestiaires était normale; les filles, on a continué à nous dire de nous cacher. Je dis continué parce qu’avant, il n’y a pas si longtemps, vous vous souviendrez, les filles, fallait qu’elles se lavent par-dessus leurs sous-vêtements. Le clergé nous enseignait que le corps était un objet de désir et un péché.

 

Les curés sont-ils revenus au pouvoir? Qui au centre sportif où je me rends tient le rôle de gardien de morale et de la pudeur? Au nom de quoi (de qui) se croit-il (ou elle!) bien avisé de nous édicter notre conduite sous la douche et pendant notre toilette quotidienne?

 

À l’heure où on demande de plus en plus aux établissements publics de créer des espaces neutres, c’est-à-dire non-genrés, est-il possible qu’on voie de l’autre côté du balancier, un retour de la morale venir régir à tout prix une liberté pour laquelle les femmes se sont battues?

 

À la piscine où je vais, il y a six douches dans un espace commun et deux douches dans des box, des espaces individuels. Il y a aussi quatre cabines pour se changer. Quand on sort de l’eau à la fin du bain pour adultes, c’est l’heure du bain pour tous. L’heure où les enfants arrivent.

 

Si les douches individuelles sont toutes utilisées, est-ce que je devrai me laver par-dessus mon maillot si j’utilise la douche commune?

 

–  Marie-Claude Pastorel

3 Comments

  • Isabelle Tremblay
    5 septembre 2016

    Bonjour madame Pastorel, j’ai lu votre article et la nouvelle réglementation de votre piscine de quartier et j’avoue que j’en reste interloquée! Si il y a bien un seul endroit où j’ai appris que la nudité est naturelle et qu’il y a mille et une anatomies différentes c’est bien dans les vestiaires de la piscine publique lorsque j’étais gamine! En fait, moi j’étais très gênée mais de voir ces madames se changer et se doucher sans malaises m’a bien enseigné que c’était ce qu’il y avait de plus normal comme être humain et ça m’a dégênée un peu.

    Je nous trouve très «pogné» comme société avec notre corps et je pense que cette réglementation d’aller vous cacher lors de l’arrivée des enfants reflète bien ce problème. Qu’est-ce qu’on enseigne aux enfants en imposant cette manière? Que c’est mal la nudité! Que notre corps doit être cachée et surtout celui des femmes! Et quel message envoie t’on aux femmes? Qu’elles font peur? Que leurs corps est choquant?

    Pourquoi rendre malaisant un endroit où le but est de justement se changer et se doucher? Je trouve que cette nouvelle pratique renforce simplement les stigmates puritains et embrasse les femmes de complexes qui n’ont aucunement lieux d’être.

    Je termine en répétant que pour moi, le vestiaire de la piscine public a contribué à m’enseigner à m’accepter, à accepter un peu mieux mon corps et c’est bien grâce aux « madames» qui n’étaient pas gênées du leur.

    C’est un pas en arrière je trouve.

    Cordialement, Isabelle Tremblay 36 ans Gatineau

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  • Jean Gould
    22 octobre 2016

    J’ai été nagé dans une piscine de la banlieue est de Montréal. J’avais l consulté le règlement rapidement consulté afin de savoir si le casque de bain était obligatoire. Quelle fut ma surprise d’y lire qu’il fallait éviter les  »scènes de nudité’’ dans les vestiaires. Je me suis demandé si cette modeste banlieue devait rentabiliser son budget en louant ses locaux pour des tournages ? Scène de nudité, c’est un langage d’un censeur de cinéma. Pourtant les vestiaires ne sont ni une scène, ni un plateau de tournage, ce ne sont que la grise réalité de la natation : mettre son maillot et prendre sa douche. Serait-ce que la réalité ne peut plus qu’être vue que par le biais des médias ?
    Une fois sur place, j’ai constaté qu’il y avait quatre vestiaires : un vestiaire femme et fille, femme et garçon (0-5), homme et fillette (0-5). homme et garçon Malgré ce pléthore de vestiaire, j’ai eu de la difficulté à savoir lequel utiliser. Quoi qu’il en soit le moto demeurait le même dans les vestiaires non-mixtes.
    Où est le scandale ? Est-ce la mixité des sexes, ou encore celle des âges ? Qui offense qui ? Le regard d’un enfant troublé par les chairs de sa mère, chairs marquées par la puberté, ou l’enfant dont le regard est dégoûté par les chaires marquées de sa grand-mère par le temps? Ou est-ce la peur du prédateur sexuel, de ces gens qui admirent la beauté des jeunes corps ? Ou simplement le regard vicieux des homosexuels qui regardent avec trop d’insistance les courbes du voisin, ou si non de voir que l’autre est différent.
    C’est heureux que ces bonnes âmes confinent leurs bons sentiments aux piscines municipales, car dans les musées, elles auraient trop à faire. Que de feuilles de vignes faudrait parer les oeuvres des impressionnistes, qui aimaient beaucoup les baigneuses et les lavandières. A quand l’interdiction des musées pour les moins de 18 ans !
    Est-ce que les curés reviennent. J’en douterais, ils sont vieux et désorientés. Cependant les nouveaux curés et les nouvelles mangeuses de balustres, sont nombreux et bardés de diplômés.

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