L’amie des femmes?

En réponse à l’article L’ennemi des femmes de Nathalie Elgrably-Lévy (Le Journal de Montréal, p. 25, 14 octobre 2010)

Continuant de publier sans gêne dans un journal en lock-out depuis bientôt deux ans, l’inégalable Nathalie Elgrably de l’IEDM profitait dernièrement de sa chronique pour vitupérer contre le féminisme et la Marche mondiale des femmes (MMF). « Vitupérer » peut sembler fort quand on qualifie le discours d’une chroniqueuse qui vante la neutralité de l’économie, mais il s’agit du terme approprié pour cette charge idéologique à fond de train qu’elle n’appuie sur aucune donnée. Selon l’économiste de droite, les revendications de la MMF (et le féminisme en général) favorise la dépendance de celles qu’elles prétendent émanciper en les invitant à mendier leur vie à l’État.

On la comprend de ne pas s’embarrasser de citer des faits: ceux-ci affirment le contraire de ses thèses et lui auraient fait dire des choses surprenantes. Si, comme elle le prétend, les femmes sont entièrement « maîtres de leur destin », tant sur le plan de la rémunération que de l’accès au travail, comment Mme Elgrably explique-t-elle que, selon l’Institut de la statistique du Québec, les femmes gagnent 15% de moins que leurs équivalents masculins? Il est vrai que l’écart s’est amenuisé, mais il serait farfelu d’y voir un effet du marché plutôt qu’un gain des mobilisations politiques et d’une intervention de l’État dans l’économie. L’équité salariale, qui n’est toujours pas acquise, est une revendication portée par les groupes de femmes d’abord et avant tout.

Selon le conseil du Bien-Être social, la situation est encore plus dramatique pour les mères monoparentales chez qui on peut observer un écart de 25% par rapport aux revenus moyens des pères monoparentaux. Mais même cette statistique cache une réalité plus sombre : alors que 2,7% des enfants qui vivent dans la pauvreté proviennent de familles monoparentales avec un homme comme chef de famille, ce pourcentage grimpe à 38,6% pour les familles monoparentales avec une femme à leur tête.

Si elle reconnait du bout des lèvres qu’il y a des inégalités, la chroniqueuse sous-entend que ce sont les femmes elles-mêmes qui en sont les seules responsables. Il leur suffirait de faire les efforts nécessaires et de prendre leur vie en main et elles seraient alors « capables d’accéder aux plus hauts échelons de la société » car « elles n’ont de limites que celles qu’elles s’imposent ». Les faits statistiques présentés plus haut s’expliqueraient donc par la nature « paresseuse » des femmes et leur incapacité chronique à se mettre en valeur. Cet essentialisme a un nom, le sexisme, et il n’est pas porté par les amis des femmes.

Au contraire de cette pensée réductrice et simpliste, on peut se questionner sur les phénomènes sociaux qui perpétuent les inégalités vécues par les femmes. La domination qu’elles ont vécue, les préjugés qu’elles subissent et les discriminations systématiques qu’elles encourent ont été maintes fois prouvés. Je ne me prononcerai pas sur le contenu précis des revendications de la MMF qui mériterait sa propre analyse. Je peux cependant affirmer, au contraire de Nathalie Elgrably, que les femmes en marche s’attaquent à la source de ce qui cause les disparités hommes-femmes : des questions éminemment sociales et non des problèmes individuels.

Eve-Lyne Couturier
Chercheure à l’IRIS – www.iris-recherche.qc.ca

20 Comments

  • Martin Dufresne
    20 octobre 2010

    Je suis d’accord.
    Il est vraiment étonnant que l’on prétende encore dicter aux femmes, en 2010, les dossiers qu’elles auraient le droit d’aborder ou le devoir d’éviter, comme l’ont fait les chroniqueures des médias de droite ces derniers jours.
    Par ailleurs je trouve réjouissant que l’IEDM doive quitter sa position habituelle d’aiguillon d’un gouvernement de droite – qu’il cherche à éloigner encore plus de l’intérêt commun – pour prendre une position défensive en tentant de discréditer le mouvement des femmes.
    Ce dernier s’approcherait-il un peu trop dangereusement au goût de l’IEDM des véritables clés des privilèges masculins: les salaires, la sexualisation, les tarifs scandaleusement bas de l’aide sociale, les guerres iniques qui tuent des civiles, le racisme immanent aux gouvernements, le déficit démocratique, le pillage des populations du tiers-monde…
    Il me semble qu’on était beaucoup plus à l’aise à droite quand on arrivait à faire croire que le féminisme ne travaillait pas aussi à ces enjeux et restait à bonne distance de la sphère politique.
    Bravo à la Marche mondiale des femmes – et au féminisme québécois dans son ensemble – d’avoir imposé avec humour et par une mobilisation sans précédent ces questions à l’attention publique, en passant outre à tous les garde-folles…
    Les rassemblements de centaines de jeunes féministes, animés par la FFQ ces dernières années (et donc Mme Prairie devrait s’informer), y sont pour une grande part.

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  • Hector
    20 octobre 2010

    L’explication du fait que les femmes gagnent COLLECTIVEMENT 15% moins du salaire MOYEN des hommes est simple et a été publié dans les médias à quelques reprises.

    Selon l’ISQ, les femmes travaillent COLLECTIVEMENT 30% moins d’heures que les hommes donc cela fait baisser énormément leur moyenne salariale.

    Aussi, comme l’a démontré le conseil du statut de la femme dans un étude, beaucoup plus de femmes que d’hommes font le choix de la qualité de vie familiale ou sociale au dépend de leur carrière. Les femmes qui priorisent leur carrière atteignent des postes haut placé.

    Spa pour rien que dans 25% des couples, c’est la femme qui fait plus d’argent. Il n’y a donc aucune discrimination.

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  • Sophie Sexologue
    20 octobre 2010

    Je ne sais pas si nous avons lu le même article, mais dans celui que j’ai lu, madame chose parlait de la « FFM ».

    Quand on n’est pas foutu de différencier le Festival des films du Monde (FFM), la Fédédation des femmes du Québec (FFQ) et la Marche mondiale des femmes (MMF), on la boucle un peu…

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  • Sophie Sexologue
    20 octobre 2010

    Aimez-vous ma participation toute en nuances d’aujourd’hui?
    😀

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  • Eve-Lyne Couturier
    20 octobre 2010

    @Hector: Quant à moi, que 25% des femmes gagnent plus que leur conjoint ne prouve absolument pas que l’égalité salariale est atteinte ou dépassée. Il y a encore discrimination dans le milieu du travail et l’équité salariale est encore un enjeu pour lequel il faut se battre.

    Par ailleurs, avec les données des séries v3498363 et v3498633 de Statistique Canada, on peut voir que, en prenant en considération la différence du nombre d’heures travaillées entre les hommes et les femmes, la différence de revenu quand on travaille à temps plein toute l’année est de 20% en 2007. En d’autres mots, selon ces données, les hommes gagnent en moyenne 17,60$/h et les femmes, 14,60$/h…

    Finalement, il serait opportun de se demander si « le choix » de la conciliation travail-famille en est vraiment un pour toutes les femmes. Dans un contexte où les femmes sont généralement moins payées et ont moins accès à des postes de pouvoir, et où en plus le rôle social de la mère est plus reconnu que celui du père, on peut se poser la question.

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  • Eve-Lyne Couturier
    20 octobre 2010

    Petite erreur de retranscription… Il s’agit de 14$/h pour les femmes et non de 14,60$/h.

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  • Johanne
    20 octobre 2010

    Merci de dénoncer les propos de Nathalie Elgraby-Lévy. J’ai été très choquée de ses affirmations d’autant plus qu’elle rend les femmes responsables individuellement de leurs problèmes

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  • Mélanie
    20 octobre 2010

    Claque, claque, claque et « wow »…Nathalie entre en salle de cours et toute l’attention est automatiquement retournée vers elle. Cette fois, elle n’est pas seule, sa fille l’accompagne.

    Oui oui, vous avez bien compris. Nathalie ce matin là n’avait pas de gardienne. Si vous croyez cela allait l’empêcher de donner son cours à l’école des hauts dieux commerciaux, vous connaissez bien mal ce p’tit bout de femme.

    Nathalie est le plus grand modèle féministe que je n’ai jamais rencontré, pour moi, elle est dans une classe à part, voir une déesse. Nathalie comprends que le pouvoir, ça se quémande pas, ça va se chercher et ça se mérite. Que pour être respectée, une femme doit tout simplement être respectable. Nathalie n’attend pas que le mâle change, Nathalie prend sa place.

    Elle est resplendisante, intelligente (et sais argumenter), drôle (oui, derrière son air de petite fille sage se cache un vrai bout en train) et sait se faire respecter. Pauvres petits étudiants qui en la voyant, croyaient avoir à faire à une nunuche sans cervelle car elle porte fièrement le gucci !

    Ce sont des femmes comme elles que nous avons besoin, pas des dieux la mère qui nous jugent et nous disent « la femme doit être ci, ça, ne pas penser ça… », « faut empêcher les publicités sexistes (comme si la femme était une enfant) ». Une femme qui n’a pas peur d’aller le chercher ce pouvoir, qui ne fait pas que le dire, mais qui le fait. Nathalie est extrêmement respectée des milieux d’affaires et je la remercierai jamais assez pour ce qu’elle a fait pour la p’tite femme en moi.

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  • Mélanie
    20 octobre 2010

    En quoi le fait qu’elle écrit tjrs dans un journal en lock-out viendrais la discréditer dans son discours féministe ?

    À ce que je sache, ce n’est pas illégale de publier dans le jdm…Tout comme avoir étudié dans une université où les administrateurs commettent des magouilles comptables au frais des contribuables.

    Dois-je en comprendre que ces étudiants qui ont en quelque sorte appuyé leur organisation en continuant leurs études là-bas n’ont pas à être considérés dans le débat ?

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  • Hector
    20 octobre 2010

    Si il y a discrimination sur le marché du travail, comment expliquez-vous que les jeunes femmes sans enfant font 93% du salaire des hommes sans enfant?

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  • Rémi
    20 octobre 2010

    Ce qu’il y a de bien avec Elgrably et Martineau (entre autres), c’est que l’insignifiance de leurs propos et l’étroitesse de leur esprit nous donnent des raisons supplémentaires (si besoin en était) de ne pas lire ce journal qu’il ne vaut plus la peine de nommer.

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  • Eve-Lyne Couturier
    21 octobre 2010

    @Hector: Je ne sais pas de quelles données vous parlez… D’après Statistiques Canada, tableaux v21149853 et v21149856, la différence entre le revenu de marché des femmes seules et celui des hommes seuls est de 16%.

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  • Jonathan Gagné
    21 octobre 2010

    Je lance ici une question à mes amies féministes sur cet intéressant site que je viens de découvrir: pouvez-vous envisager que l’amélioration de la condition féminine (pris généralement, mais au Québec en particulier) puisse s’opérer en dehors des cadres de l’intervention étatique ?

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  • Rédaction
    21 octobre 2010

    NDLR: Mélanie, nous avons retiré quelques uns de vos commentaires. Vous pouvez participer au discussions, mais laissez votre agressivité au vestiaire SVP.

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  • Emilie
    23 octobre 2010

    Petite contribution au débat.
    A tous ceux qui pensent que les femmes se plaignent pour rien et ont obtenu l’égalité, un petit site lancée par un mouvement féministe français (osez le féminisme) sur le modèle de vie de merde.
    Sur ce site, les femmes peuvent relater les petites discriminations dont elles sont victimes dans leur vie professionnelle.
    http://viedemeuf.blogspot.com/

    Alors égalitaire le monde du travail??

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  • Valérie
    23 octobre 2010

    Émilie,
    J’ai lu plusieurs entrées de ce blogue, et je me dis que je survivrais difficilement en France! 😐

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  • Berenice
    2 janvier 2012

    @ Valérie, je suis française (et féministe) et je vous confirme que mon pays est très misogyne, bon, ok. Mais je survie 😉
    Lorsque je lis les blogs féministes québécois, il me semble de l’extérieur tantôt que vous représentez un eldorado du féminisme, tantôt il me semble que vous subissez un très fort backlash masculiniste…
    En France tout est plus larvé, le féminisme est très peu couvert par les médias, et le masculinisme avance en rampant sans vraiment se découvrir. Mais je reconnais que ça à l’air mieux chez vous, mais c’est peut-être que l’herbe a toujours l’air plus verte dans le pré du voisin.

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  • Guillaume
    3 janvier 2012

    Berenice, je crois que l’homme du Qc est plus nerd que cro-magnon.
    Pour citer le Doc Mailloux: Le québécois ces tenu debout devant les Anglais, ces mis a genous devant l’église et maintenant est a plat ventre devant les femmes. Ces pas une reference ce Doc mais sa fait réfléchir, dumoin, ces un point de vue…

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