Portrait de femme: Nabila Ben Youssef – Humoriste

Photo: Fransaskois.info

Article initialement publié sur Mademoiselle à Montréal
Par Bertile de Contencin

« Libre jusqu’au bout des doigts », ainsi se définit Nabila Ben Youssef.

Contrairement à beaucoup de gens qui se revendiquent des « esprits libres », Nabila vit à la hauteur de cette aspiration. La liberté, elle la transpire dans sa vie, sur scène, dans son rire et dans les larmes de joie qu’elle verse à la fin de ses spectacles, alors que le public l’ovationne. Nabila Ben Youssef a ce regard arabe envoûtant: noir comme les yeux de ceux qui ont du vécu; rieur, parce que quoiqu’il arrive il faut vivre et vivre heureux. Inch’allah!

La liberté, cette Tunisienne de naissance en connait le prix. Parce qu’elle n’a jamais voulu fermer sa grande gueule, elle a vécu enfermée dans un dressage du corps dont on attendait qu’il se plie aux exigences d’un régime tyrannique et aux valeurs d’une société, certes laïque, mais enferrée dans des traditions patriarcales d’un autre temps. Il fallait être vierge, être discrète, pour se voir considérée comme une jeune femme respectable et bonne à marier. Malgré tout, rien ni personne n’a su dompter l’esprit rebelle de Nabila. Elle dansait le baladi et batifolait sur les toits, parce que dans son pays: « on n’a pas le droit de dire ce qu’on pense, alors on danse».

Qu’est-ce que cette femme est belle quand elle entre sur scène en se déhanchant sensuellement!

Photo: Olivier Samson Arcand OSA Images

Drôlement Libre, co-écrit avec Pierre Sévigny, raconte la rencontre de cette Tunisienne avec son pays d’adoption, le Québec, sa rencontre avec une liberté effective. Elle s’exprime avec un humour fin et jamais vindicatif sur les absurdités de ces deux mondes.

Pudibonds de tous bords s’abstenir! Nabila ne mâche pas ses mots. Elle se dit accommodante mais pas raisonnable. La seule minorité à laquelle elle appartient, dit-elle, est une minorité invisible… puisque elle est vaginale (hfdlr*). Son obsession: ne tromper personne, à commencer par elle-même. Elle vous invite à la lapider dans le cas contraire.

En sortant de son spectacle, j’étais euphorisée. On entend rarement les arabes et les musulmans déconstruire aussi intelligemment les clichés qui leur collent à la peau. Idem, les immigrants n’osent pas toujours critiquer ouvertement la société qui les accueille. « Pourquoi tant de tabous? », se demande Nabila.

C’est sûrement parce qu’on leur donne rarement la parole. L’intelligence de Nabila Ben Youssef, Shéhérazade des temps modernes, c’est qu’elle n’a jamais attendu qu’on l’y autorise pour ouvrir grand sa bouche.

Quant à moi, il n’y a qu’un seul mot qui vienne à la mienne: MERCI.

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Peux-tu nous raconter d’où tu viens?

Je suis née à Sfax, en Tunisie, et j’ai passé mon enfance à Kerkennah. Mes parents vivent encore là-bas, un peu vieux mais vivants. Je les aime. Ils ont eu cinq filles et un garçon. J’ai beau être l’avant dernière, ils me considèrent toujours comme la benjamine… Ma plus jeune sœur est déjà mariée avec trois enfants, alors il ne reste plus que moi!

Je suis issue d’un milieu très modeste. Ma mère est complètement analphabète mais, attention, tout sauf bête! Mes parents sont très croyants, pourtant ils n’ont jamais essayé de nous influencer. La religion relève de la vie privée pour eux. Adolescente, je ne suivais pas le jeûne. Cela inquiétait beaucoup ma mère.

Elle pense qu’elle a été une mauvaise mère et qu’elle sera jugée pour ça. Moi, je la remercie parce qu’elle a toujours tout fait pour qu’on ait une meilleure vie qu’elle.

Ensuite, j’ai fait des études, j’ai été comédienne en Tunisie et je suis partie au Québec, où je vis depuis 16 ans.

Tu as travaillé entre Tunis et Montréal sur le montage de Mon cœur est témoin de la réalisatrice Louise Carré, en 1995. En 1996, tu t’installes au Québec. Tu avais alors un chum en France, alors pourquoi le Québec?

Quand je suis venue à Montréal avec ce contrat, j’ai constaté que je me sentais beaucoup plus proche des Québécois et Québécoises que des Français ou des Tunisiens. Ici, les gens sont simples. Ils ont un vrai franc-parler. Les femmes se montrent libres, plus déterminées. Ce pays me ressemble. Les Québécois défendent leur langue, leur culture. Ça représente un grand défi pour eux. Je suis également une femme de défi et c’est pourquoi je me suis dit : « C’est là que je vais être heureuse… (malgré le froid) ».

Dans ton spectacle, tu évoques avec humour plusieurs aspects de ta découverte du Québec. La réalité a quand même dû être plus compliquée. Comment ton intégration s’est-elle passé?

D’un pays à l’autre, dès qu’on s’exile, on rencontre des problèmes, disons des incompréhensions. Il faut avoir envie de s’adapter. Ceux qui y arrivent et qui ne partagent pas les valeurs et la mentalité du pays vont connaître une intégration sûrement plus difficile. Pour ma part, il s’agissait d’un choix. Je voulais vivre dans ces valeurs de liberté, de laïcité, d’émancipation de la femme. Bien sûr, dans mon spectacle je critique les Québécois. Je me moque surtout de leur sentiment d’acquis. Or, la démocratie n’est jamais acquise.

Au final, ça n’a pas été si compliqué pour moi. Même le froid, j’ai appris à aimer ça! Je trouve que ça donne de l’énergie et parfois ça permet de travailler au lieu de sortir. Il faut toujours regarder les choses de façon positive pour avancer.

Photo: La boîte à image Saguenay

De quelle façon se fait le lien entre les deux pays, les deux cultures? Cela signifie quoi pour toi être Arabe, être Québécoise, être Tuniso-québécoise?

Je me revendique Tuniso-québécoise, parce que je garde les bons côtés de chaque culture. De la Tunisie, je conserve l’accueil, la communication. Là-bas, nous n’avons pas ces nombreux mois d’hiver. Nous vivons plus à l’extérieur que chez nous. Si quelqu’un arrive à l’improviste à la maison, il rentre, il prend le thé, ce n’est pas un problème. Ici, il faut appeler pour prévenir, pour prévoir un rendez-vous. Ça m’est arrivé de vivre dans des immeubles où les gens ne se disent même pas bonjour.

Au début, j’étais très choqué par cette indifférence, puis j’ai fini par comprendre. Maintenant, j’appelle avant d’aller chez quelqu’un mais chez moi, tout le monde peut venir. Je continue à aller vers l’autre quitte à être boudée!
Je pense en revanche qu’on ne peut pas imposer nos traditions, nos habitudes aux autres sinon un malaise s’installe. L’Occident et l’Orient ont beaucoup de différences.

Je dois reconnaître qu’aujourd’hui, je me sens plus Québécoise que Tunisienne. Je ne rentre en Tunisie qu’une fois tous les deux ans. Je deviens comme une étrangère, une touriste dans mon pays.

En tant que Québécoise justement, tu es plutôt souverainiste ou fédéraliste? Poutine or not poutine?

Souverainiste! Je suis pour l’indépendance de tous les pays s’ils la désirent. Lors de mes tournées, je me suis rendue dans l’Ouest Canadien. Les différences avec le Québec sont criantes. L’Ouest paraît tellement conservateur! La Révolution Tranquille n’est pas encore arrivée là-bas!

Le Québec déborde de richesses. S’il s’évertuait à ne pas se faire exploiter par les autres provinces et les autres pays, il pourrait devenir très fort. La Belle Province regorge de talents, d’artistes, d’experts et elle a tout intérêt à gagner son indépendance, encore plus face à un gouvernement ultraconservateur à la tête du pouvoir fédéral.

Néanmoins, pas de poutine, je mange santé! La poutine me rappelle Vladimir Poutine, l’ex-futur-nouveau président russe, que je déteste. Dans mon ancien spectacle, je faisais un sketch dans lequel je disais à ma mère : « Ici, les gens sont tellement ouverts d’esprits que même leur plat national a été inventé par le président russe. » J’avais scrapé ce passage depuis sa rétrogradation au poste de premier ministre… je vais peut-être pouvoir le ressortir.

Tu as un parcours artistique très éclectique. Tu joues dans des tragédies, des comédies, des téléséries. L’humour, c’est en toi depuis toujours ou c’est arrivé après?

Depuis toute petite, on me voit comme un clown. Aujourd’hui, je traite de sujets plus sérieux mais j’adore faire l’animation, faire rire. Plus jeune, dans les partys, c’est moi qui faisais les blagues sur le sexe et sur mes amis alors que tout était tabou. Normalement, il fallait rester à sa place, ne jamais dire ce que l’on pensait. Moi, je m’en foutais. De tout façon, je ne voulais et ne veux toujours pas me marier.

Dans ma carrière de comédienne, je joue autant de comique que de tragique. L’un et l’autre me procurent des émotions très fortes. J’ai par exemple éprouvé beaucoup de plaisir à incarner une mère arabe accusée de crime d’honneur sur sa fille, dans un épisode de Toute la vérité, diffusé sur TVA.

Pourquoi ce rejet du mariage?

Je n’ai jamais compris le mariage. Une relation de couple, c’est l’amour, le désir. Si je regarde autour de moi et mes expériences passées, le mariage tue tout ça, notamment en amenant de la routine. La relation homme-femme doit être libre et la plus éclatée possible.

J’ai connu des hommes arabes, machistes et autoritaires avec leurs femmes mais tendres et aimant avec leurs amantes. Alors pourquoi se marier? Je préfère être une maîtresse aimée et désirée qu’une épouse délaissée.

Je ne crois pas non plus en la fidélité absolue. On est fidèle à soi. Si jamais on s’empêche de regarder, de courtiser l’autre, alors qu’on y pense nuit et jour, on se trompe soi-même et on trompe l’autre. Se forcer à être fidèle, ça n’a pas de sens. C’est inhumain et cela tue le désir.

Le plus grand poison au Québec selon moi, c’est la solitude. Elle génère des suicides, du décrochage scolaire. Selon moi, elle est en partie liée à une absence totale de rapports de séduction. J’en parle dans mon spectacle et je vais en faire un des sujets principaux de mon prochain show.

Les gens sont seuls. Ils ne se regardent pas. Ils ne cruisent pas et je trouve ça très étrange. Le numéro de séduction à la fin de Drôlement libre suscite à cet égard de nombreuses réactions positives du public. Ils sont contents que j’aborde cette thématique. Ils se reconnaissent et me demandent d’insister.

C’est quelque chose de très contradictoire pour moi. Avec toute la liberté qui existe ici, comment peut-il y avoir autant de tabous entre les hommes et les femmes?

Selon toi, l’humour fait-il partie intégrante du patrimoine, de la tradition québécoise?

OUI! Tout se fait avec humour ici. L’Ecole nationale de l’humour existe depuis 25 ans et s’exporte même en France pour amener une autre façon de faire rire. L’humour au Québec fait partie de la politique, de la vie. Les Québécois sont très bon public car ils aiment rire. On dit des Français qu’ils sont bons vivant mais ils n’aiment pas vivre sans râler. Les Québécois s’efforcent d’être toujours agréables. Tu ne peux pas imaginer un Québec sans humour ni bonne humeur.

Cela dit, nous sommes dans une période transitoire comme partout dans le monde. L’humour des Cyniques, des Rock et Belles Oreilles ou d’Yvon Deschamps se voulait plus sarcastique et solide que maintenant. La nouvelle génération revient à ces fondamentaux mais cela prend du temps.

Avec nos rythmes de vie complètement fous, la crise, les scandales politiques, ça prend du sens de l’humour. Il devient utile et essentiel de faire de l’humour.

Il y a peu de temps, j’ai appris que l’ENH dépêchait certains de ces professeurs pour coacher des politiques et même des chefs d’entreprise afin de les rendre plus affables. Ici, le rire est partout.

Qu’est-ce que l’humour québécois? L’humour tunisien? La liberté d’expression doit beaucoup changer la donne.

Oui, effectivement. A l’époque de Ben Ali et de la censure, on ne pouvait parler de rien. Aujourd’hui ça change, même si les islamistes au pouvoir risquent de compliquer les choses.

A mes yeux, l’humour est universel. Bien sûr, il faut parfois adapter les références entre la France, la Tunisie, le Québec et encore pas toujours. Fred Pellerin connait un franc succès en France, sans pour autant adapter son spectacle. J’ai d’ailleurs rencontré l’organisateur d’un nouveau festival d’humour franco-québécois, à Lourdes. Ils devrait avoir lieu début juillet 2012, entre le festival Grand Rire et Juste pour Rire. Ils m’ont demandé de présenter mon spectacle tel quel. Je trouve ça très audacieux.

Cela me donne également espoir. Avec la montée de l’islamisme dans les pays arabes, je craignais que l’occident refuse de prendre des risques.

Le spectacle Drôlement libre est le fruit d’un travail sur plusieurs années. Il est en quelque sorte le produit de trois spectacles : J’arrive, Arabe et cochonne et enfin Arabe et cochonne bio. Pourquoi avoir travaillé de cette façon peu conventionnelle? Drôlement libre représente-t-il un aboutissement pour toi?

Drôlement Libre est vraiment un aboutissement.

A l’Ecole de l’humour, j’étais une des rares étudiantes à être déjà montée sur scène. L’écriture dramatique diffère cependant complètement de l’écriture comique. C’est pour ça que j’ai fait cette formation en création.

De plus, comme j’avais vécu muselée pendant des années, j’avais du mal à regarder les gens dans les yeux et à me moquer d’eux. Le comique dans la culture française et tunisienne, pour revenir à la question précédente, se trouve plus proche du théâtre que du stand-up à l’américaine. Normalement, on parle à des personnages imaginaires et on se crée des personnages pour ne pas être tout nu sur scène. Le stand-up expose plus.

Un jour, à l’Ecole j’ai présenté un numéro de stand-up et encouragée par mes professeurs, je me suis lancée. A l’époque, c’était très difficile pour moi. L’immigration est jeune au Québec. Les gens ne sont pas forcément habitués à mon accent et connaissent peu ma culture. J’ai ramé mais j’ai surtout tout fait pour éviter de passer par la case bars.

Je crois que si les femmes sont moins nombreuses en humour, c’est parce qu’il faut affronter un environnement masculin pour se faire connaître. C’est vraiment ingrat de jouer dans un bar. Moi, j’ai choisi de me lancer tout de suite dans des salles, même minuscules. J’ai pris des risques et j’ai fait des sacrifices pour m’autoproduire et travailler mes spectacles. J’ai réussi à vivre avec le minimum parce que j’étais habituée à l’insécurité et l’inconfort.

Cette absence des femmes en humour, c’est un de mes défis. Je me dis que ma réussite inspirera peut-être d’autres filles qui se diront : « elle a réussi alors qu’elle ne vient même pas d’icite ».

Photo: Olivier Samson et Maxime Tremblay

Dans ton spectacle tous les clichés, les tabous, les préjugés, les absurdités tombent. Les musulmans, les juifs, les chrétiens, les hommes, les femmes, les Tunisiens, les Québécois, l’immigration, la sexualité, la séduction… Tout et tout le monde y passe sans ménagement et le public en redemande. Quels sont les ressorts de Nabila « l’arme de séduction massive »?

Je pense que mon atout principal vient de ma différence. Il y a tellement d’humoristes qui se ressemblent et parlent des mêmes thèmes : Facebook, vieillir, la drague. Mon but, c’est que mon humour soit utile et le plus important, je veux rester moi-même. Mon personnage est une femme de caractère, sensuelle, une séductrice intelligente. Une femme doit être multiple et, à mon goût, un peu grande gueule.

Ensuite, je n’insulte jamais personne dans mes numéros. Je fais énormément de recherches pour que mes blagues soient intelligentes et dites avec charme. Il faut charmer avant d’attaquer, alors je commence par rire de moi avant de rire du public.

En Abitibi, les diffuseurs m’ont dit : » Nabila, c’est la première fois que les gens nous remercient d’avoir invité un artiste. Ils sont heureux d’avoir appris des choses. Tu es utile au Québec et à l’humour. » Plusieurs personnes ont comparé mon show à une thérapie de groupe.

En plus de l’immense plaisir que je retire de ces compliments, ça me prouve que j’ai bien choisi le pays où j’ai décidé de vivre.

Comment fonctionnes-tu avec les auteurs avec qui tu travailles? Comme ils sont tous québécois, te poussent-ils à accentuer sur les défauts du Québec, et au contraire, concernant les religions, un sujet très touchy, n’ont-ils pas peur que tu ailles trop loin?

C’est toujours moi qui vais trop loin. J’ai toujours été comme ça. Heureusement, les auteurs avec qui je travaille me complètent. Ils me permettent de savoir si ce que j’aborde intéresse les Québécois. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé d’auteur arabe qui m’amène quelque chose de plus mais je ne me ferme aucune porte.

Ton succès dans une ville cosmopolite comme Montréal se comprend mais tu tournes énormément en région et même hors du Québec. La réception est-elle aussi enthousiaste? Est-ce qu’on danse le baladi en Abitibi?

Les spectateurs sont toujours agréablement surpris et réceptifs. L’accueil chaleureux du public va bien au-delà de mes attentes!

Tu as un passé militant clandestin au sein du mouvement des patriotes démocrates (devenu légal seulement en mars dernier) et un engagement féministe. Être humoriste pour toi, c’est avant tout un métier ou un acte militant?

Je répondrais: les deux. Ce qui représentait au départ un acte militant est progressivement devenu un métier. Je ne me vois pas faire autre chose que ça.

L’humour constitue à mes yeux un mode d’expression efficace. J’aborde des sujets difficiles dans Drôlement Libre, mais le public retient le fond du propos parce que le cerveau des gens est plus réceptif au rire qu’à un discours politique emprunt de démagogie.

Un an après quasiment jour pour jour après la chute du régime de Ben Ali, que ressens-tu? Tu es allée en Tunisie, qu’as-tu vu? On parle régulièrement de Lina Ben Meni la bloggeuse de Tunisian girl. Selon toi, les femmes en général jouent-elle un rôle particulier dans ces révolutions?

J’ai découvert en Tunisie un autre peuple. J’ai vu des jeunes qui pensent autrement, qui sont évolués. Les gens n’ont plus peur de parler. Ils sont soulagés et détendus. C’est ce qui me touche le plus. La pauvreté et le chômage subsistent mais les Tunisiens ne se cachent plus. Les artistes et les journalistes s’éclatent.

C’est un climat de peur perpétuelle que j’ai fui. On ne pouvait pas militer. J’ai d’ailleurs été exclue de l’école à cause de mes engagements politiques et ce malgré ma bonne moyenne. Les élèves de ma classe avaient fait grève pour protester, mais l’école a attendu les vacances pour m’éjecter discrètement. Je serais morte à petit feu si j’étais restée en Tunisie. Aujourd’hui, je me sens plus utile à combattre les préjugés au Québec.

Pourtant, en tant que femme, je me réjouis de voir les Tunisiennes prendre place à l’avant dans cette Révolution. Elles participent à la reconstruction du pays, elles symbolisent son avenir et celui de la démocratie. Il ne faut pas oublier que depuis Bourguiba, les femmes ont dans les textes les mêmes droits que les hommes. Avec l’accession des barbus au pouvoir, elles savent que leur tâche va être complexe, parce qu’au lieu de militer pour élargir leurs droits, elles vont devoir militer pour conserver leurs acquis. Leur mobilisation ne faiblira pas. On observe d’ailleurs de plus en plus de divorces. Les femmes ne craignent plus de vivre seules.

Comment perçois-tu le retour en force du fait religieux dans les pays victorieux du printemps arabes comme la Tunisie, l’Egypte et la Lybie?

Je suis inquiète, c’est sûr, et en même temps je me dis que les barbus ont intérêt à être aussi modérés qu’ils le revendiquent. Faute de quoi, ils risquent de s’arracher leurs barbes pour de bon! N’oublions pas que peu importe le parti, ce gouvernement n’est pas le gouvernement officiel de la Tunisie. Son rôle est d’assurer la transition pour encore 8 mois. Le pouvoir expose les religieux.

99,5% des Tunisiens sont musulmans. Par principe, ils considèrent les religieux comme bons. C’est le moment de découvrir leur vrai visage et, éventuellement, d’en finir une fois pour toute avec l’intégrisme religieux en Tunisie. De plus, les nombreux mouvements progressistes et laïcs, même s’ils ne bénéficient pas (comme les islamistes) du soutien financier de l’Arabie Saoudite, vont maintenir la pression.

Crois-tu qu’il serait ou sera possible un jour de jouer ton spectacle en Tunisie?

J’aimerais tant! Pour le moment, ce n’est pas possible. J’ai déjà tentée l’expérience au Maroc. Le spectacle est bien passé avec les touristes étrangers, mais moins bien auprès du public marocain. Un de mes techniciens sur place m’avait alors confié qu’il était soulagé que sa mère ne soit pas venue voir le spectacle.

Je refuse de m’autocensurer. Si un jour je joue en Tunisie, je serai moi-même!

L’avenir de Nabila?

Sur scène, à la télévision, partout où mon métier me mène.

« Le spectacle d’humour, Arabe et cochonne bio, je l’ai créé pour dire haut et fort ce que je pense : pour changer les choses, il ne suffit pas de marquer sa présence, il faut aussi s’inscrire dans l’histoire. Et pour s’inscrire dans l’histoire, il faut d’abord croire en soi, prendre des grands risques et oser. » Nabila Ben Youssef

Site officiel de la comédienne – nabilarebelle.com

Prochain passage à Montréal, le 25 février 2012 au théâtre Saint-Denis

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* High five de la rédaction

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