Les filles de la grève – suite et fin

En vrac, des slogans:

Je m’aime donc je pense

Éducation contre l’oppression Patriarcat tu n’passera pas!

Féministes en criss contre la hausse sexiste

Les femmes bloquent la hausse!

C’est pas avec des roses, Qu’on les fera plier, Grève féministe illimitée

Nous on veut étudier, on veut pas cuisiner.

On a mis une femme au monde, on devrait peut-être l’éduquer

Crions, plus fort, Sinon, les femmes, on nous ignore

Les flics au service des fascistes et des machistes

Féministes en colère contre la violence policière!

Rire d’une joke sexiste c’est être complice du sexisme

« L’amitié entre un homme et une femme ça existe pas. Pour la femme, le gars c’est juste un ami, pour le gars, la femme c’est juste une fille que le gars a pas encore fourrée. »(Mike Ward)

Loi 78 din fesses ma câlisse

Miss terrorisme

Miss grand prix

Tant qu’à se faire fourrer on va se déshabiller

Fourrez-moé donc comme du monde.

F**ck F1

Boobs versus guns

La vie en rouge

On pourrait donc dire qu’il y a ce qu’on fait des filles – comment on les fabrique, les figures qu’on en dessine:

Martine Desjardins en « jeune fille sage et tranquille » (alors que Gabriel Nadeau-Dubois est « un militant depuis l’enfance » et Léo Bureau-Blouin est « un sensible à l’esprit critique » – La Presse);

Line Beauchamp en zombie, Michelle Courchesne en oie spéciale (je crois qu’il faut inclure le sort fait aux Ministres dans cet imaginaire);

Les grévistes nues en « filles publiques »: consommées sans scrupules par les passants/ touristes éberlués, businessmen en complet-cravate, photographes improvisés ou professionnels tout habillés, etc… Ces manifestantes qui sont aussi l’« objets » de commentaires de la part de leurs co-manifestants – « Tsé, avec des manifs comme ça, ce sont les bars de danseuses qui vont faire faillite… Pourquoi payer pour voir des boules quant on en voit gratis dans les rues? »

Et puis, il y a les figures que les filles dessinent dans l’espace – des figures, comme on dit dans le domaine du sport, des figures qu’on fait avec le mouvement du corps et qui permettent d’habiter un lieu. « Quoi faire avec mon corps? » chante Ariane Moffat dans MA (paru en février 2012), et les filles de la grève marchent. Elles troquent la chambre à soi pour la rue, et elles y défilent habillées, nues, maquillées, masquées, voilées, conscientes des figures qu’elles convoquent, imitent, des figures qu’elles ironisent, qu’elles mènent en bateau, auxquelles elles tordent le cou, qu’elles érigent pour en même temps les faire tomber. Les filles de la grève font la grève et restent des filles. Elles font la grève de ce que c’est qu’être une fille qui n’est pas en grève, et de ce que ça doit être « une fille en grève » du point de vue de certains camarades militants. Les filles en grève font la grève de la domesticité:

– être secrétaire ou en charge des présences pendant les assemblées, ne pas présider, se faire éloigner des premières lignes des manifestations comme des comités  importants;

– alors que les hommes s’attribuent les « vraies responsabilités » : prononcer les discours, occuper la majorité du temps de parole, animer les discussions, donner les entretiens (cf. l’article de Blandine Parchemal sur Presse-toi à gauche[i], l’entretien de Martine Desjardins sur le site Nous sommes les filles, et écouter les témoignages de militantes qui lèvent le voile sur l’exclusion dont les femmes sont l’objet à l’intérieur d’organisations qui se disent par ailleurs « féministes » et aussi l’entretien à Médium large avec Jeanne Reynolds, Iraïs Landry et Marie Pagès[ii]).

Les filles en grève sont en colère. Elles crient, elles ragent, elles écrivent des tracts, elles scandent des slogans, elles marchent les unes à côté des autres, ensemble, en rang. Mais la géométrie de leur rage est à l’image de la grève qu’elles font de la figure de la jeune fille sage, la grève d’une grève pensée comme si elle était immunisée contre le virus de la hiérarchie et de la misogynie.

Les filles en grève sont nombreuses, elles se ressemblent et se rassemblent, donnant par moment cette impression d’harmonie et de répétition sur un mode qui peut rappeler les « agencements » corporels des girls de toutes sortes. Mais il ne faut pas être dupe. Si les filles jouent à la reproduction en série, si elles aussi sont assimilables à des figures anonymes, elles demeurent les gardiennes d’une singularité irréductible: le fait même d’être des filles. L’anonymat peut être l’alibi de la domestication, et être gréviste féministe, c’est refuser d’oublier le féminin, c’est refuser d’oublier de le penser. C’est ainsi que les filles se font « fauteuses de trouble » (V.L’Écuyer), « casseuses de party » (I.Landry) comme cette Société des marginales rêvée par Virginia Woolf.

Si les filles de la grève ne font pas toujours bonne figure, c’est parce qu’elles lèvent le poing pour casser la figure à la figure, à coups de répétition – ni fille, ni en grève mais « fille en grève ».

Avec ce que ça implique d’une pensée qui pense tout le temps et partout, une pensée qui marche et qui avance. Sans reculer.

 



[i] « Au travers des Assemblées Générales et des différentes rencontres au sein de mon association étudiante, j’ai pris conscience des places souvent peu valorisantes occupées par les femmes tels que le poste de secrétaire ou de responsable de la liste de présence, alors même que les hommes s’attribuaient souvent la présidence ou de longues tirades durant les Assemblées. J’ai pris conscience de la difficulté que nous pouvions avoir à nous faire entendre et à obtenir une certaine reconnaissance de nos positions. Pour ma part, j’ai souvent eu cette impression d’être cantonnée à des tâches purement organisationnelles comme l’organisation de conférences, de discussions ou encore de manifestations pendant que les hommes s’attribuaient les vraies « responsabilités » : prononcer les discours, animer les discussions, et donner les entretiens. Un exemple de cette « division du travail » : j’ai fait part récemment à quelques uns de mes camarades masculins de mon association de mon désir de me présenter sur un poste de l’exécutif l’année prochaine, en plus d’un autre poste ailleurs que j’occupe déjà. Or plusieurs de ces derniers m’ont dit que cela me ferait trop de responsabilités, trop de charges alors même que cette année un homme a occupé ces deux mêmes postes sans jamais qu’on doute de sa capacité à remplir ces fonctions ou qu’on le questionne là-dessus. Mais pour une femme, ce semble trop … »

 

« À l’instar des médias qui ont souvent rechigné voire refusé à inviter la co-porte-parole féminine de la CLASSE, au profit du seul porte-parole masculin, il semble comme y avoir une réticence médiatique voire sociétale à parler de l’ensemble de ces femmes engagées dans la lutte politique, à les montrer qui marchent chaque jour et chaque soir, qui prennent la parole, qui écrivent, qui bravent la violence policière et le sexisme courant des policiers. C’est comme si elles n’étaient pas à leur place et que c’était dérangeant. »

 

« La grève étudiante donne lieu à un formidable laboratoire de discussions et de réflexions sur le féminisme. Au sein de nos Assemblées Générales, des débats ont ainsi été lancés quant à la question de l’alternance hommes/femmes pour les tours de parole, un comité femme a été crée avec, entres autres, comme visée d’établir un code éthique sur les discriminations issues des comportements lors des prises de parole, un avis de motion proposant qu’à chaque début d’Assemblée soit expliqué les codes de procédures afin que plus de femmes soient davantage en mesure de présider les assemblées a aussi été déposé. Lors des Congrès de la CLASSE, la question du féminisme occupe également souvent une place importante et j’apprends toujours énormément des critiques soulevées. Cela me sort de mon ignorance et ancienne indifférence et j’aime ça. » (Blandine Parchemal, site Presse-toi à gauche)

 

[ii] « Au début, je n’étais pas prise au sérieux. On parlait aux gars qui étaient avec moi au lieu de me parler. C’était insultant. » « De façon générale, je dois souvent me prouver et débattre plus que mes collègues. On va reconnaître le côté rationnel et posé de Léo, le côté rebelle de Gabriel et moi, on ne sait pas trop. En fait, on dit que je cimente le tout… » « Si Léo et Gabriel ne sont pas rasés, sont mal peignés, s’ils semblent fatigués, c’est qu’ils travaillent fort. De mon côté, si j’ai l’air fatiguée, c’est que je suis complètement épuisée, débordée par ce qui se passe. Un jour, je n’avais pas eu le temps de me maquiller; le lendemain, un article est sorti qui disait que j’étais complètement dépassée. Ça ne pardonne pas, alors j’ai appris à mettre du cache-cernes ! » « Il y a beaucoup de filles qui vont aller manifester, jouer de la casserole dans les rues… Elles sont souvent très créatives, énormément créatives. Elles vont se maquiller, se déguiser, mais elles restent très peu nombreuses dans les comités de mobilisation et les groupes militants. Celles qui s’impliquent, je trouve qu’elles ont du guts. Elles n’ont pas la langue dans leur poche, c’est des filles qui savent où elles s’en vont. Elles ont souvent plus de couilles que des gars qui sont là, du moins, les trois filles qui étaient sur mon équipe l’année passée (je m’inclus). On savait où on s’en allait, on n’avait pas peur des débats, on prenait notre place, on brassait la cage ! Je pense que c’est lié au fait que c’est un mouvement presque entièrement masculin. » « Dans le gouvernement libéral, les femmes sont utilisées comme des boucliers. On leur donne des postes névralgiques, on les envoie au front et après ça on les tue. » (Martine Desjardins, site Nous sommes les filles)

 

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