«Keep America American» et les femmes dans tout cela?

Depuis le début de la campagne présidentielle, et davantage même lors des primaires républicaines, de nombreux débats entourant les droits des femmes ont animé la sphère politique américaine et grandement retransmis dans les médias. Au cours de cette période, Mitt Romney et de nombreux candidats du parti républicain ont pris publiquement la parole afin de faire connaitre leurs positions sur différents enjeux concernant les femmes : certains candidats du Grand Old Party ont notamment proposé la redéfinition du viol, la suppression du financement de l’organisation Planned Parenthood engendrant potentiellement la fermeture de plus de huit cents cliniques médicales et centres de planification familiale, la criminalisation de l’avortement ainsi que l’interdiction de l’usage de contraceptifs.

La question de l’avortement (et parallèlement celle du statut du fœtus) n’a jamais été complètement réglée aux États-Unis et ce, malgré l’arrêt Roe c. Wade prononcée par la Cour suprême en 1973. Depuis les années 1970, le système judiciaire américain a été le lieu de diverses tentatives de re-criminalisation de l’avortement. Au Congrès ainsi qu’au sein de plusieurs États, le parti républicain s’est toujours porté garant des droits des fœtus en imposant un nombre important de restrictions et de conditions entourant la pratique de l’avortement. Au cours de la dernière année, de nombreuses mesures ont été adoptées en ce sens par les États : outre les limitations « traditionnelles » notamment relatives à l’âge légal des femmes pour pouvoir avorter sans le consentement des parents ou aux baisses de financement accordé aux cliniques pratiquant des avortements, il a été possible de constater une certaine radicalisation dans les moyens de prévenir les avortements et d’en diminuer l’accessibilité. En mars 2011, le Dakota du Sud est allé jusqu’à adopter une loi décriminalisant potentiellement le meurtre de médecins pratiquant des avortements, en le considérant comme un « homicide justifiable ».

Au cours de la même période, une loi  obligeant la majorité des femmes souhaitant se faire avorter à subir un examen intra vaginal invasif et inconfortable a été adoptée en Virginie. Cette nouvelle loi de la Virginie impose aussi aux femmes de subir une échographie avant que l’avortement ne soit pratiqué. Cette stratégie vise à humaniser le fœtus et à créer un lien affectif entre les femmes et leur fœtus. D’autres États, tel que la Caroline du Sud, ont aussi décidé d’imposer un temps de réflexion aux femmes choisissant de se faire avorter. Ce délai varie de vingt-quatre (Caroline du Sud) à soixante-douze heures (Utah) entre l’échographie obligatoire et l’avortement proprement dit. Selon Alexia Newman, une défenseuse de ce type de loi, ce temps de réflexion permettrait aux femmes d’obtenir davantage d’information sur leurs options (dont l’adoption).

Selon plusieurs auteures féministes, dont Susan Faludi, l’histoire des États-Unis serait parsemée de périodes de ressac contre les droits des Américaines[1]. L’auteure cite notamment la période reaganienne, mais il est aussi possible de penser à la percée de la droite chrétienne sous l’administration de George W. Bush. Ainsi, si l’histoire américaine nous apprend que le droit à l’avortement est loin d’être acquis, la campagne présidentielle actuelle nous apprend plus globalement que les droits des femmes peuvent être soumis à débat et sont potentiellement révocables. Pour la première fois depuis l’ère reaganienne, de nombreux droits des femmes – certains droits reproductifs et certains droits concernant l’intégrité physique – sont remis en cause de manière aussi explicite.

Ce qui se cache derrière la rhétorique sexiste : une analyse féministe

Le concept de « War on Women » (littéralement : guerre contre les femmes), abondamment employé par les médias américains, semble le plus à propos pour décrire le « blacklash » ou le coup de barre que tentent actuellement d’imposer certains républicains aux femmes. Cette « guerre » repose sur une conception différencialiste dont les utilisateurs tentent de faire croire que chacun des deux sexes doit occuper un rôle, une fonction et un espace différents au sein de la société américaine. De ce fait, en affirmant vouloir circonscrire les libertés reproductives des femmes et en opposant les droits des fœtus aux droits des femmes, les républicains réitèrent que la fonction sociale première des femmes concerne la reproduction. Par ailleurs, alors qu’il serait inconcevable de débattre des droits et des libertés fondamentales des Américain-e-s, il est tout à fait permis de débattre des droits spécifiques aux femmes. Cette manière de percevoir les droits des femmes se rapproche grandement de la manière de percevoir les droits des groupes minoritaires et fait des femmes des citoyennes de second ordre. Plus globalement, au cœur de cette série d’attaques se trouve une volonté de freiner l’agenda des féministes, couramment taxées de « féminazis », et plus généralement des progressistes ainsi que d’imposer une vision de la société américaine basée sur un ensemble de valeurs et de convictions conservatrices.

Quelle place pour les droits des femmes au sein de la campagne républicaine?

L’un des exemples les plus probants de cette rhétorique est le scandale déclenché par Rush Limbaugh, cet animateur radio dont les vues ultraconservatrices ne sont plus à démontrer, qui s’est approprié les audiences du caucus démocrate de la Chambre en matière de contraception[2] pour traiter une étudiante de Georgetown, militant pour la couverture médicale des pilules contraceptives, de « pute ».  Pendant les deux semaines suivant l’audience, Limbaugh en rajouta en affirmant que si le pays devait payer pour que l’étudiante puisse avoir des relations sexuelles, tous les Américains devraient être en mesure de pouvoir assister à ses ébats. Décriées autant du côté démocrate que républicain, Mitt Romney faisant timidement savoir son désaccord en affirmant que « ce n’est pas le langage qu’il aurait utilisé », les attaques de l’animateur lui auront coûté de multiples contrats publicitaires, en plus de devoir s’excuser à l’étudiante, qui refusa catégoriquement sa volte-face.

Depuis l’incident, le camp démocrate s’est approprié le terme de « War on Women » pour qualifier la position des candidats et sympathisants républicains sur les droits reproducteurs des femmes, dont les éléments les plus conservateurs poussent désormais vers l’interdiction complète de la contraception et de l’avortement, peu importe le contexte. Cette radicalisation du discours républicain sur la question, ou plutôt le retour du débat dans la sphère publique et politique (notamment lors des primaires républicaines) peut s’expliquer de deux façons : premièrement,  la présence dans le paysage politique américain de partisans du Tea Party, ce mouvement ultraconservateur[3] qui a réussit à se forger une place au Congrès lors des élections de mi-mandat ; deuxièmement, la volonté de Mitt Romney de se porter à titre de bon candidat du parti lors des primaires républicaines et ce, malgré son bilan mitigé à la tête du Massachussetts, qui n’a pas eu l’heur de plaire aux Tea Partiers. Confronté aux chouchous du mouvement tels Rick Santorum ou Newt Gingrich, Mitt Romney a donc dû courtiser l’électorat ultraconservateur en changeant ses visions sur plusieurs enjeux en cours de route, ce qui lui vaudra le quolibet de « flip-flopper ». Du coup, Romney a dû suivre la tendance que dessinaient du côté républicain les éléments plus conservateurs du parti et s’engager sur le terrain glissant de l’avortement et de la contraception. Malgré tout, le changement de cap de Romney n’avait pas totalement réussit à lui aliéner le vote des femmes durant les primaires : en mai dernier, un sondage CBS News/New York Times démontrait que Romney menait sur le président sortant chez les électrices, par 46% comparativement à 44% chez Obama. C’était avant d’ajouter Paul Ryan au ticket républicain.

Le choix de Paul Ryan : opportunisme ou épine dans le pied?

Reconnu pour sa très austère proposition de budget en 2008, Paul Ryan est un conservateur pur et dur, très prisé du Tea Party et s’étant prononcé à de nombreuses reprises contre l’avortement et la contraception. À cet effet, Paul Ryan aurait appuyé un projet de loi avec le désormais tristement célèbre représentant du Missouri Todd Akin (celui-là même qui affirmait qu’en cas de viol, le corps d’une femme « sécrétait des fluides l’empêchant de tomber enceinte ») qui prescrivait le financement public des avortements dans des cas de risques pour la mère, d’inceste ou de « forcible rape[4] » seulement[5]. La volonté de restreindre l’avortement aux femmes victimes de « viols par la force[6] » fût toutefois évacuée du projet de loi, qui ne fût pas soumis alors à la majorité démocrate du Sénat. Appelé à expliquer sa décision, Paul Ryan a tenté de se distancer des propos de Akin en affirmant « qu’un viol, c’est un viol », et qu’une éventuelle administration Romney reconnaîtrait le droit à l’avortement pour les victimes de viol, même si le gouvernement Obama tentait de faire croire le contraire. En conséquence, 50% des femmes sondées après la sélection de Ryan ne compte pas voter pour le ticket Romney/Ryan en raison des positions du colistier sur l’avortement. Au moment du sondage à la fin août, quelques semaines après la nomination officielle de Ryan, Obama menait par une marge de 13 points chez les femmes de six États clés. Considérant que le vote des femmes est crucial lors d’une élection présidentielle, Mitt Romney a décidé d’élaborer sa campagne de charme autour du fait qu’Obama « aurait laissé tomber les femmes en omettant de réduire le taux de chômage ». Une stratégie qui s’inscrit toutefois dans l’argument principal du clan Romney, sans tenter de rejoindre précisément les enjeux qui touchent l’électorat féminin.

Pendant qu’Obama centre sa campagne autour des femmes seules ou monoparentales, ajoutant que Romney allait ramener les droits des femmes « dans les années 1950 », les multiples attaques envers les droits des femmes semblent systématiques du côté républicain. En tentant de courtiser une branche plus radicale du parti républicain par le choix de Paul Ryan, qui vient pallier aux lacunes que présente Romney chez cet électorat, le candidat républicain a dû adopter une ligne dure sur la question de l’avortement et de la contraception sans toutefois se demander si cela pourrait lui nuire face aux électeurs indépendants ou indécis, ceux-là mêmes sur lesquels se joue l’élection. Et à en croire les multiples gaffes du clan Romney, tenter de charmer les femmes pourrait bien être le dernier de leur souci dans le dernier droit de la campagne électorale.

 

Véronique Pronovost et Sarah Veilleux-Poulin, chercheures à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM

 


Notes :

[1] Voir : Susan Faludi. Backlash : The Undeclared War Against American Women, New York : Crown Publishing Group, 2006, 592 p.

[2] Plus précisément devant le Committee on Oversight and Government Reform, qui devait juger si l’obligation pour un employeur de couvrir la pilule contraceptive à ses employées pouvait être exemptée aux établissements religieux (hôpitaux ou institutions scolaires).

[3] Il faut toutefois comprendre que le Tea Party était, au départ, un mouvement à tendance purement économique; depuis,  certains éléments du mouvement ont décidé d’inclure les enjeux sociaux dans leur doctrine conservatrice, changeant donc une partie de ses revendications.

[4] Communément appelé le « Hype Amendment ».

[5] Le « No Taxpayer Funding for Abortion Act ».

[6] Traduction libre.

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