Le risque de passer pour une mauvaise féministe

En théorie, tout est cool. En théorie, y’a aucun problème à être une féministe à talons hauts. Une féministe qui écoute de la porno. Une féministe qui aime le rose. Une féministe qui se montre la craque de seins. Une féministe qui a le goût de se marier. On est rendu teellleeeeement 3e vague…

Mais la pratique, c’est autre chose. J’ai déjà entendu la présidente d’un centre de femmes dire qu’elle ne comprenait pas qu’une de ses collègues portait un décolleté. « Ça me met mal à l’aise, qu’est-ce qu’elle a à prouver? » Oui, parce qu’une fille habillée sexy, c’est nécessairement une aliénée, une fille qui veut tester son pouvoir de séduction (envers les hommes), une fille qui a une piètre estime d’elle-même.

J’ai déjà pensé comme ça. J’ai déjà traité des filles de salopes – dans ma tête, dans leur dos – parce qu’elles s’habillaient sexy dans les partys, ou qu’elles flirtaient plus ou moins ouvertement avec des gars sur qui j’avais un œil (« OMG pis là apparemment qu’elle s’est mis en BRASSIÈRE devant lui!!! »). Les filles bien dans leur peau, les féministes, ça devait pas être au-dessus du désir de plaire?

La première fois où je me rappelle avoir été challengée dans cette conception des choses, c’est en lisant des écrits lesbiens. En en apprenant davantage sur les identités butch-fem et en entendant dire que la performance de la féminité (OK, j’avais pas encore lu Butler à l’époque, mais vous comprenez ce que je veux dire) n’était pas toujours pratiquée dans une perspective de réjouir le regard masculin.

Puis, de mon malaise envers l’expression de la féminité, j’ai été bousculée dans ma conception souvent négative des choses connotées comme traditionnellement féminines (intérêts, hobbys, goûts vestimentaires) à la lecture d’activistes et de sociologues queer. Si le genre était une performance, un continuum avec lequel on pouvait jouer si l’on voulait, le féminin n’était donc pas intrinsèquement mauvais… Car en effet, comment déterminer pour qui la performance de la féminité serait subversive (ex. les drag queen), alors que pour d’autres, elle serait archiconformiste? S’il existait plus que 2 sexes et des infinis de possible en fait d’identité de genre… qui traçait la ligne? Et pourquoi mon expression de la féminité à moi ne pouvait pas être subversive? Ou du moins, pourquoi ne pouvait-on pas la comprendre comme autre chose qu’une bête adhésion au patriarcat, alors que la réalité était beaucoup plus complexe?

Je ne savais pas que ces questionnements étaient le début de la fin. Je commençais à devenir une mauvaise féministe…

Comme plusieurs écrits sur le genre devenus marquants pour moi avaient été produits par des personnes trans, je me suis tranquillement ouverte à la parole émanant de cette communauté, en même temps que j’adhérais de plus en plus à une approche féministe antioppression. Dès lors, mon malaise avec la transmisogynie du mouvement des femmes est devenu de plus en plus grand. Des événements pour les « femmes nées femmes »? Sérieusement? On va faire quoi, des examens génitaux à l’entrée?? Puis, présupposer que TOUTES les femmes, malgré qu’elles puissent être de couleur, handicapées, queer, grosses, NAME IT, que toutes les femmes font la même expérience du sexisme? Foutaise, que je me suis dit. J’ai commencé à me méfier des espaces transphobes, en ligne comme en vrai. (Sauf que là, oser dire que certains espaces féministes renforcent des discriminations, ça fait rusher le monde! Même si ça fait presque 200 ans que les féministes de couleur essaient de nous le faire comprendre…)

Et plus tard, une autre fracture: j’ai commencé à lire des articles à tendance pro-sexe. La porno, que je consommais depuis plusieurs années mais avec laquelle j’entretenais un rapport ambigu, voire honteux, n’était soudainement plus diabolisée. J’ai commencé à voir des termes comme « travail du sexe » au lieu de « prostitution ». Le BDSM, dans cette même mouvance, n’était plus du tout compris comme un désir de reproduire des abus ou de la violence: ce pouvait être conçu comme un jeu de pouvoir, une exploration des symboles qui peuplent l’imaginaire sexuel collectif.

Je me sentais plus que jamais comme une outsider. Mes politiques allaient encore souvent dans le sens du consensus féministe, mais ça achoppait sur des points centraux, assez centraux pour que le malaise perdure. Lorsque finalement j’ai pris position dans le débat prostitution-travail du sexe (i.e. je suis en faveur de la décriminalisation totale), je savais que je franchissais une barrière. Que je ne pourrais plus jamais concevoir mon féminisme comme étant lisse, conforme aux guidelines du Conseil du statut de la femme. Que mon étiquette de féministe, il faudrait que je la défende, non plus seulement à l’extérieur du mouvement, mais aussi à l’intérieur. Face, notamment, à des personnes qui pensent pareil que dans cette parodie.

Pour paraphraser maladroitement René Lévesque, c’est un beau risque. Celui de se revendiquer féministe, même si on a des problèmes avec certaines-qui-parlent-au-nom-de. Même si certaines de nos idées et pratiques sont peu répandues. Comme le disait plus éloquemment sur Twitter une participante à la conférence Playground

Ne pas se contenter d’un féminisme figé. Exiger de notre mouvement qu’il se questionne, qu’il soit capable d’autocritique. Qu’il soit multiple, pluriel, qu’il accepte les contradictions.

Reconnaître aussi nos propres contradictions, quitte à nous sentir parfois comme une mauvaise féministe. Accepter d’être questionnée en tant que personne alliée ou solidaire. Réfléchir, pousser plus loin, explorer, se tromper.

Risquer.

30 Comments

  • Carmen Houde
    13 novembre 2012

    Belle réflexion. Je crois aussi qu’il faut se questionner constamment comme féministe, nous évoluons avec notre époque et le mouvement n’a jamais été monolithique mais il accepte difficilement de se questionner sur ses contradictions, il a l’autocritique en horreur peut-être est-ce parce qu’il est constamment critiqué…

    J’ai toujours cru que le let motiv du féminisme était LA LIBERTÉ DE CHOIX ! Choisir ou non la maternité, choisir sa façon de s’habiller, donc libre d’être sexy, à la garçonne, madame au foyer ou professionnelle. Choisir de travailler à l’extérieur ou s’occuper de sa famille, choisir sa profession etc. Je trouve qu’on oublie souvent chez les féministes cette liberté de choix, pour se laisser happer par des discussions et réflexions stériles sur ce qu’est une VRAIE féministe. La nouvelle génération qui aime la petite robe et les beaux souliers, mais qui est capable de réflexion et de positions clairement féministe nous pousse vers l’autocritique et les remises en question. Espérons que les porte-paroles du mouvement suivront ce courrant.

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  • Janie Ducharme
    13 novembre 2012

    Merci pour cette réflexion! J’abonde également dans le sens de Carmen Houde, c’est-à-dire que pour moi, le féminisme réside d’abord dans la liberté de choisir. Aussi, j’ajouterais que je crois qu’il est temps d’accepter et de respecter notre féminité dans tout ce qu’elle comporte. Me semble que c’est ce pourquoi on milite: faire reconnaître notre différence tout en prôner l’égalité. Je crois que les deux peuvent cohabiter…

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  • Val
    13 novembre 2012

    Pour moi il y a un élément important à ne pas mettre de côté, la liberté de choisir ne doit pas être une sorte de phrase passe-partout pour occulter une analyse plus systémique et les critiques qui s’en suivent. C’est un argument trop facile pour couper court à n’importe quel débat par exemple sur la prostitution, la pornographie, l’industrie de la beauté etc.

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  • Carmen Houde
    13 novembre 2012

    En réponse à Val, la liberté de choix comporte une part de regard critique sur les pressions sociales, la discrimination systémique et la situation de pauvreté des femmes. Les femmes ne choisissent pas d’être pauvres. La prostitution pour la plupart des femmes qui la pratique n’est pas un choix et il résulte de la situation de pauvreté, ou suite à des agressions, maltraitances, abus de toutes sortes. En ce qui concerne l’industrie de la beauté, il faut être consciente des effets pervers de l’hypersexualisation pour y résister, ce qui demande une grande maturité alors que la clientèle cible de cette industrie sont les adolescentes. J’essaie de ne pas condamner ni juger le choix des jeunes filles et des femmes mais bien de les situer dans notre société de surconsommation. On ne va pas convaincre les femmes de résister aux pressions sociales en condamnant leurs choix mais bien par la sensibilisation et en faisant la promotion de modèles auxquels elles peuvent s’identifier.

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    • Mélodie Nelson
      13 novembre 2012

      « La prostitution pour la plupart des femmes qui la pratique n’est pas un choix et il résulte de la situation de pauvreté, ou suite à des agressions, maltraitances, abus de toutes sortes. » (sic)

      C’est très intéressant de se questionner sur des sujets possiblement controversés pour certaines, comme le travail du sexe et l’industrie de la beauté. Ce n’est toutefois pas se fermer au débat que de rappeler l’importance du livre choix. Il est faux de croire que la majorité des femmes choisissant le travail du sexe au Canada ne font pas un libre choix. Je n’aime pas les opinions qui sont exprimés comme des informations véridiques et vérifiées.

      Pour celles qui veulent avoir des informations véridiques et vérifiées, je suggère toujours le site web de l’anthropologue Laura Agustin: http://www.lauraagustin.com/

      Les travailleuses du sexe tentent de plus en plus de faire connaître leur quotidien, la valeur de leurs choix et la valeur de leur parole. Je propose ces sites pour celles qui sont curieuses ou veulent entendre un autre discours que celui qui victimisent les travailleuses du sexe.
      1. http://titsandsass.com/
      2. http://bornwhore.com/
      3. http://sexonomics-uk.blogspot.ca/
      4. http://postwhoreamerica.com/

      En tant qu’ex travailleuse du sexe, je répète souvent que je me suis rarement sentie humiliée ou stigmatisée par des clients. Mais le nombre de fois ou je me suis sentie humiliée ou stigmatisée par des femmes qui se disaient féministes est effarant. Je ne suis pas la minorité, sachez-le.

      Merci à l’auteure de cet article d’avoir poussé ces réflexions, au-delà de son malaise initial.

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  • Val
    13 novembre 2012

     »J’essaie de ne pas condamner ni juger le choix des jeunes filles et des femmes mais bien de les situer dans notre société de surconsommation. »

    C’est ce qui cloche pour moi dans cet article. Je trouve que c’est en quelque sorte un faux débat cette fameuse notion des féministes qui jugeraient tout le monde. Elles sont où? Je connais peux de féministes qui jugent constamment les autres justement parce que la plupart des féministes remettent les choses dans leur contexte comme vous le dites si bien Carmen. Les féministes parle de système, de normes et de concept, elle déteste pas les femmes qui portent des talons, cuisine ou écoute de la porno. En tout cas, moi je les cherche encore ces michantes féministse qui refusent de se questionner, sont figées et incapable d’autocritique.

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    • Jacques Cristin
      26 juillet 2021

      Je suis un homme et le simple fait d’entendre des « feministes » légitimer la prostitution me choque profondément. La prostitution c’est la femme en position de faiblesse face à la perversion des hommes. L’argument c’est mon corps donc mon choix ne tient pas la route. Ton corps est juste à la disposition des hommes quand tu te décides à te prostituer. Je crois sincèrement que le feminisme moderne est une négation de la feminité et des vraies valeurs féminine que sont la pudeur et la tempérance. Vous ne pourrez jamais gagner le respect des hommes en justifiant toutes sortes de positions intenables d’un point de vue moral.
      Signé: de la part d’un homme qui sait ce qu’il doit aux femmes puisqu’il est né à travers l’une d’entre elles.

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  • diana
    13 novembre 2012
  • Myriam
    14 novembre 2012

    Très bonne réflexion. J’ai souvent moi-même eu tendance à vouloir renier les attributs féminins, les comprenant comme intrinsèquement mauvais. Mais par la suite je me suis fait deux réflexions:
    1) Je suis (et les autres femmes également) socialisées en tant que femmes, de même que les hommes et en tant que produit de ma socialisation particulière j’ai parfois des goûts et intérêts féminins qui ne devraient pas être perçus comme mauvais ou inférieur puisque ce qui a été décidé comme bon ou mauvais dépend d’un arbitraire ‘patriarcal’
    2) À la lecture de certains ouvrages d’épistémologie féministes, j’en suis venue à la réflexion que certains savoirs et attitudes féminines devraient être réhabilités plutôt que discriminés.

    Alors, en quoi être féminine est-il contraire à être féministe?

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  • Caroline Caron
    14 novembre 2012

    Merci pour cette réflexion très inspirée. Son caractère personnel est extrêmement pertinent, car il illustre comment s’est effectuée une évolution de la pensée à travers des rencontres, des expériences et des lectures.

    Je pense que c’est justement cela être féministe: s’interroger continuellement sur les rapports de pouvoir à l’oeuvre dans la société, mais aussi, dans nos relations avec les autres, y compris au sein du féminisme. Tant mieux s’il y a une diversité d’opinion et de perspective. Cela reflète bien la nature même du féminisme, qui est pluriel. Mais c’est exigeant la diversité. Cela exige de non seulement remettre la société en question, mais également, nous-mêmes!

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  • Emilie D.
    25 novembre 2012

    Par rapport aux transexuel-le-s ou transgenre, il y a une question que je me pose depuis longtemps… Peut-être quelqu’un-e aura la réponse ?

    Les trans sont souvent engagé-e-s dans des réflexions sur ce que c’est que le genre. Ils/Elles déconstruisent souvent les normes de ce que doit être une femme ou un homme. Du coup, j’ai du mal à comprendre comment une femme peut « se sentir homme » ou un homme « se sentir femme », tout en maintenant qu’ « être femme » ou « être homme » sont avant tout des diktats sociaux qui n’ont rien d’inné ? Si quelqu’un-e a la réponse…

    Par ailleurs, je suis une féministe qui se maquille, porte des talons et est hétéro. Et je vois bien les regards noirs et les remarques des autres féministes (les vraies, les lesbiennes, pas maquillées, avec des baskets) en mode : « Comment oses-tu te revendiquer féministe ? » J’ai souvent eu envie de leur répondre, sans jamais oser le faire : « Il ne vous ai jamais venu à l’esprit que pour moi, correspondre aux standards de la féminité était une libération ? » Oui, je sais, c’est difficile à croire. Mais pour certaines femmes, dont je suis, s’autoriser de porter des talons, du maquillage & co. sans se sentir coupable d’éveiller du désir chez l’homme (cet être assoiffé de sexe incapable de retenir ses pulsions), sans avoir besoin de baisser le regard parce que je suis trop grande avec mes talons, ou trop voyante avec mon rouge à lèvres, pour moi, c’est une victoire.

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      • Emilie D.
        27 novembre 2012

        @Marie-Elaine : Merci beaucoup pour cet article, qui est très intéressant. Je ne me suis peut-être pas bien exprimée, mais la question que je posais était moins celle de l’opinion des autres (le fait qu’une femme cisgenre soit acceptée par les autres comme étant une femme) mais la sensation personnelle d’être une femme (donc d’avoir un genre différent de son sexe) tout en remettant (parfois) en cause le genre comme une pure construction sociale.

        Je crois que la phrase de votre article qui répond le mieux à ma question est celle-ci :

        « We transition not because we feel we’re too feminine to be men, or that the presence of feminine characteristics means we must be female. The motivation is far deeper and far less analytical than that. We transition simply because we know ourselves to be female… totally independently of how well we do or do not fit into female stereotypes. »

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  • Seb.
    25 novembre 2012

    Intéressant, merci. Très honnêtement je me sens plutôt mal à l’aise avec la manière dont s’exprime, et intervient le féminisme actuellement dans le débat public. Je ne parle pas du féminisme complexe et nuancé auquel j’ai été sensibilisé très jeune, je parle de ce mouvement monobloc spécialisé dans le buzz permanent qui intervient sur des sujets qui visiblement ne maîtrise pas.

    Je suis heureux de voir que je suis pas seul à croire à un féminisme souple, intelligent, ouvert au débat et non dogmatique. Cependant, je suis étonné de le voir sur ce site, car j’y suis parvenu par cette page : https://jesuisfeministe.com/?page_id=1792 qui m’a été opposée lors d’un débat sur la prostitution : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/civilisation/1546-prostitution-et-abolition-debat-ouvrir
    . Je vous met les deux liens car il peut être intéressant de voir l’usage qu’il peut être fait de certaines argumentations développées ici.

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  • Lili la curieuse
    3 décembre 2012

    Je suis tellement d’accord qu’il faut se questionner en tant que féministe. Je suis jeune et j’apprend à connaître le mouvement. Parfois j’ai l’impression que ce n’est pas sérieux, que certaines s’en servent seulement pour se categoriser. On se bat pourquoi? Pour mettre tous les femmes dans le même moule sans maquillage ni talons hauts?
    Pour que la femme qui a des opinions féministes et qui a à la fois envie de séduire à son heure se sente coupable et « fauné »? Ou bien on se bat pour le bien-ētre de la femme? Moi aussi je ne peux m’empêcher d’avoir une deception lorsque je vois des femmes qui se servent de leur corps pour obtenir de la publicité, de l’attention ou autres. J’ai un petit sentiment de trahison. Mais en même temps chaques comportements est expliqué. Nous avons tous déjà été cette femme ou nous le sommes a certains moments.
    Au lieu de les jugés pourquoi ne pas les sensibiliser ou simplement apprendre à les connaître? La féministe qui met un decolté dans un bar en vu de séduire n’est pas une « vrai »? N’est-elle pas un être humains avec des émotions, envies et blessures avant tout?
    Le féminisme n’est pas un mouvement de solidarité?
    Peut-être que quelque chose m’echappe?

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  • Valérie
    22 décembre 2012

    Je trouve très-très triste que vous ayez entretenu une image négative de la féminité jusqu’à la découverte du néo-féminisme. Au fil de mon parcours, j’ai aussi constaté que la logique qui sous-tend toute lutte i.e « je prends et je résiste » n’était pas des plus favorables au développement de mes relations interpersonnelles. Avec les ami-e-s, il faut donner et accueillir. Ce sont ces attitudes que je souhaite maintenant cultiver. Comment peut-on attendre des autres ce que l’on n’exige pas de soi-même?

    La don et l’accueil sont des attitudes que l’on attribue traditionnellement à la féminité. Je n’ai pas l’impression que c’est de la même féminité dont vous parlez dans votre article. Dans un monde capitaliste ou tout se joue en terme de performance, ou l’on critique la dimension spectaculaire de la politique et des rapports sociaux, comment une sexualité qui va en ce sens peut-elle être subversive?

    On estime à environ 80% le nombre de femmes dans les industries du sexe qui se sont faites agresser sexuellement durant l’enfance. Certaines études posent un chiffre plus élevé. 80% me semble ‘correct’. Je me demande combien de féministes ont été blessées comme moi aussi je l’ai été. Pendant un bon moment, je me suis engagée dans cette mouvance et ai moi aussi été tentée par le féminise pro-sexe.

    La libération que propose le néoféminisme en est une qui renforce les luttes de pouvoir au lieu de les abolir. Utiliser l’autre comme objet de plaisir, ce n’est guère plus glorieux que d’être soi-même réduit à un objet. Ce courant véhicule une vision du monde semblable à celle mise en scène dans Le meilleur des mondes.

    Les hippies des années 60 devenus les yuppis d’aujourd’hui. « Jouir sans entrave »,  »il est interdit d’interdire ». Voilà les bases de la société de consommation. Ces jours-ci, je relis de la vieille littérature féministe révolutionnaire des années 1960-1970.

    Leur candeur est fascinante.
    La vôtre aussi.

    Les jeunes hommes abandonnent les prostitués et les femmes mariées pour les jeunes filles de leur génération. Des liens amoureux se créent, donnant lieu à des rapports sexuels plus précoces, en tous cas bien avant que soient réalisées les possibilités de former un couple durable et indépendant économiquement, nécessaires en principe pour pouvoir élever des enfants. Ce délaissement de l’adultère et de la prostitution pour des rapports sexuels beaucoup plus sains n’est pas du goût de tout le monde. Cette sexualité semble dangereuse et subversive. « Ne faites pas l’amour, faites la guerre ! » semble répondre le législateur aux jeunes, et c’est ainsi que la contraception se retrouve très limitée ou interdite au dessous de 21 ans. (Comité pour la liberté de l’avortement et de la contraception, 1973)

    Sachez qu’après avoir appliqué les suggestions du néoféminisme, m’être gavée de Virginie Despentes et de toutes ces choses, je me suis dis que tant qu’à faire tout ça gratuitement, je pourrais aussi bien me faire payer. L’homme a fait un accident en venant à notre rendez-vous. C’est ce qui a fait que je peux dire que je ne me suis jamais prostituée. Si ça avait été le cas, je serais sans doute en train de militer pour la légalisation de la prostitution.

    C’est toujours plus facile d’attribuer la cause de notre douleur à la société que de faire face à ses blessures.

    « Si je souffre, c’est parce que la société ne respecte pas ce que je fais. »

    AllRight.

    V’devriez lire sur le processus de self-objectification. C’est drôle, y’a un tas de liens à faire entre l’agression sexuelle, la prostitution et les fondements de la culture contemporaine.

    Faites attention de ne pas renforcer l’ordre que vous souhaitez combattre.

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  • Lovelia
    17 janvier 2013

    Il est très facile de tomber dans le stéréotype. Il semble très difficile par contre de dire « je ne sais pas, mais j’aimerais savoir »…

    la prostitution est un sujet du genre. C’est très facile de dire que ce sont des femmes abusées, que c’est un abus de pouvoir, etc.

    Il semble pourtant extrêmement difficile de se rendre sur le site de l’organisme Stella, d’aller à la rencontre des femmes du milieu, de se questionner au lieu de porter un jugement. « eh bien, mesdames, expliquez moi la prostitution ».

    non. Ça n’arrive malheureusement pas assez souvent. Même chose pour les sexualités alternatives, dont le sado-masochisme (bdsm pour être exact)

    Mais on peut aussi militer les yeux fermés, ça semble plus facile…

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  • flo
    18 février 2013

    Pour moi le féminisme est tout simplement l’amour et le respect des femmes comme personne humaine. point.

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  • Antisexisme
    14 mai 2013

    J’avoue ne pas du tout être d’accord avec cet article… :/

    Il s’agit pas de dire qu’une personne qui met des talons aiguille est une « mauvaise féministe »… En effet, je pense pas qu’il faille se forcer à se comporter de manière « féministement correct ». L’indulgence envers soi-même, je trouve que c’est déjà très bien quand on est une femme, et qu’on est constamment culpabilisée.

    Par contre, je trouve que ça ne devrait pas être une raison pour dire que les talons aiguille, y’a aucun soucis avec ça. Je trouve que ça doit pas être une raison de questionner et d’analyser d’un point de vue politique : le mariage, la prostitution, la féminité, etc.

    Parce que dans ce cas-là, tout peut paraître féministe… Je trouve que ça efface tous les rapports de pouvoir.

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  • jenn
    14 mai 2013

    ouais, je vois pas en quoi respecter les injonctions de genre c’est être féministe.

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  • T
    5 juillet 2013

    Je suis assez dubitative. (Dans le même genre qu’Antisexisme, dont le blog est un véritable bijou, j’en profite pour le lui dire, bravo, je vous aime. 😉 )

    Personnellement, j’ai plutôt l’impression que ce sont les opinions que vous développez qui sont ultra-mainstream. Pas forcément au sein du féminisme, mais au sein de l’opinion publique générale. Ce qui me semble d’autant plus problématique.

    Entendre que les prostituées choisissent leur « carrière » et qu’elles aiment ça, c’est ce que j’entends le plus souvent. Dans la bouche de ma grand-mère, par exemple – qui n’est pas un modèle de féministe éclairée et libérée, mais qui est plutôt d’une triste banalité, adhérant à tous les stéréotypes de genre, racistes et homophobes. (Mais elle est gentille, sinon.)
    Considérer la prostitution comme une profession somme toute peu banale mais qui devrait être considérée en tant que telle, c’est typiquement l’idée popularisée depuis des lustres avec l’expression « le plus vieux métier du monde » – périphrase toute faite qui est sortie quasi automatiquement dès qu’on aborde le sujet de la prostitution, parce que c’est toujours plus facile de minimiser et redorer le blason des choses qui fâchent quelques uns en n’appelant pas les choses par leur nom (d’où le terme « travail du sexe » qu’on entend partout maintenant).
    On nous dit tout le temps que la prostitution, c’est pas toujours très joli-joli (après tout, c’est quand même mieux d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un qui nous désire, non ?… non ? parfois on a l’impression que non, quand on entend certains louer les vertus de la prostitution), mais qu’après tout c’est un mal nécessaire, et puis il faut arrêter de diaboliser le sexe (fusion classique entre une relation sexuelle accueillie et une relation sexuelle tarifée, ce qui est loin d’être évident), et puis ça permet de canaliser la libido du monde entier, tout ça, tout ça, même qu’il paraît que ça évite une recrudescence de viols (même quand les statistiques prouvent le contraire…).

    Ça fait depuis des années que j’entends ça. J’entends ça à la télé à chaque fois qu’il y a un débat sur la prostitution. J’entends ça de la bouche de nombreuses personnes dans mon entourage, dont certaines qui ont des velléités féministes. On m’a même proposé de devenir escort girl parce que c’était « cool » et beaucoup plus rentable que de donner des cours de soutien de français (la personne en question n’en parlait pas en connaissance de cause, elles souhaitaient s’y lancer mais voulaient que je l’accompagne dans l’aventure pour la rassurer).
    Ça m’a fait me poser beaucoup de questions, ou plutôt ça m’a fait me poser trop peu de questions sur le ressenti des personnes prostituées. Aujourd’hui, je m’étonne que les féministes dites « pro-sexe » (appellation que je trouve assez outrageusement insultante pour les abolitionnistes qui sont par le truchement de cette expression considérées à tort comme des « anti-sexe », alors qu’elles prônent une vie sexuelle qui serait libérée de la pression de l’argent, ce qui ne me semble pas être un idéal si saugrenu et si austère que ça), je m’étonne que les féministes dites « pro-sexe », disais-je donc, ne se rendent pas compte qu’elles tombent d’accord avec tous ces très vieux préjugés sur la prostitution qui ont permis sans sourciller que l’on fasse de la traite d’êtres humains depuis des siècles et des siècles.

    Ça me fait penser à ce jeune homme qui me disait baigner dans des milieux féministes, être très sensibilisé à leurs problématiques, et prendre cette caution pour ensuite dire, sous prétexte qu’il aurait du recul et une vision plus souple et ouverte, que traiter les femmes violées comme des victimes est vraiment trop simplifier les choses, qu’il ne faut pas sous-estimer la perversité humaine qui fait que beaucoup de femmes se mettent exprès dans des situations de viol parce que ça les excite, et puis il faudrait arrêter de trop responsabiliser les hommes sur leur consommation d’alcool et commencer(???) à responsabiliser les filles à ce sujet, et qu’après tout, beaucoup de femmes disent « non » quand elles veulent que le type insiste et les presse un peu, alors comment savoir après tout ?, et puis il ne faudrait pas oublier que beaucoup de femmes portent plainte pour viol rien que pour une nuit de folie qu’elles regrettent après coup alors il faut toujours traiter leur parole avec suspicion.
    …Bienvenue dans la rhétorique masculiniste, qui veut se faire passer pour du féminisme plus subtil et éclairé que la bande des oies blanches naïves et simplistes qui n’ont rien de rien compris sur rien quand elles osent dire « Non veut dire non », et qui pourtant reprend mot pour mot les mêmes arguments que la culture phallocratique qui excuse et encourage le viol des femmes.

    Personnellement, je ne vois pas où est la subversion. J’entends ces discours pulluler de partout, sous prétexte qu’ils seraient – je cite Seb, qui vous félicite pour votre article – « un féminisme souple, intelligent, ouvert au débat et non dogmatique ». Ce que j’y vois, c’est surtout que la boucle est bouclée, et que l’on n’a plus qu’à vivre notre vie dans notre coin puisque tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles (et s’il y a des gens blessés par-ci par-là, c’est peut-être que c’étaient des coincés après tout).
    Qu’une branche du féminisme ce soit installée dans cette brèche m’attriste énormément, car si les femmes piégées dans des réseaux de prostitution ne peuvent plus attendre d’aide de lui, qui va donc les aider, sans dialectique qui se retourne contre elles ?

    Quant au courage qu’il faut pour s’affirmer féministe « pro-sexe », j’ai du mal à le voir aussi.

    Quand j’ose dire que j’ai un point de vue abolitionniste sur la prostitution, jamais je n’entends dire « moi aussi » ou « tu as bien raison » ou « pas besoin de le dire, ce n’est que du bon sens voyons ». Au contraire, je fais systématiquement face à deux réactions :
    – ahaha, bon courage dans ton combat contre les moulins à vents, la prostitution fait partie de la nature humaine et, qu’on l’aime ou pas, elle existera toujours !
    – mais voyons, triste mine, tu ne comprends donc pas que ce sont les femmes les plus libérées qui soient qui travaillent dans l’industrie du sexe, et on devrait les aider à avoir les mêmes acquis sociaux que les autres professions au lieu de continuer à les stigmatiser comme tu fais !
    Et après suivent toujours les mêmes explications qu’être abolitionnistes n’est pas un jugement de valeur sur les personnes prostituées, mais c’est affirmer que personne ne devrait avoir le droit d’ignorer délibérément le désir et le plaisir (ou plutôt leur absence) de son partenaire sexuel sous n’importe quel prétexte, y compris celui de l’argent.
    Et vient toujours la conclusion sourde des dits « pro-sexe » : « ah mais tu es anti-sexe et anti-pute, donc on ne peut pas discuter ! »
    Super…
    On a l’impression de parler à un mur.

    Personnellement, je sais ce que c’est de se forcer à coucher avec quelqu’un. De se forcer à coucher avec quelqu’un sans plus le désirer. De se forcer à coucher avec quelqu’un sans plus le désirer et sur le long terme. De se forcer sur le long terme à coucher avec quelqu’un sans plus le désirer et n’avoir un plaisir que déficient et une douleur bien réelle. Et en faire des cauchemars de viol et d’étouffement. Et se mettre à angoisser à la seule idée d’avoir une nouvelle relation sexuelle. Et angoisser jusqu’à avoir, au moment d’une énième pénétration, un spasme du côlon atroce qui te plie en deux pendant des heures et des heures et se fait encore sentir plusieurs jours après.
    Et moi aussi j’étais capable de sourire et de dire que ça allait (même pendant le spasme où je n’étais pas même capable de me lever pour reprendre mes vêtements) et qu’à chaque fois c’était moi qui avais choisi en mon âme et conscience d’accepter chaque relation sexuelle et que je n’étais pas du tout forcée ni traumatisée.
    Heureusement que j’ai rencontré quelqu’un d’autre qui a enfin considéré mon plaisir comme un but dans sa relation avec moi.

    Ça m’a au moins permis, à ma toute petite échelle, d’avoir un aperçu de ce que vivent le commun des prostituées. Moi, j’ai fait ça par amour, c’était avec quelqu’un que j’aimais, que j’estimais, que j’avais commencé à désirer avant que mon désir s’évanouisse grâce au feu d’artifice mauvaise pilule + manque d’attention de sa part. Alors j’imagine ce que ça doit être, de se forcer tous les jours à écarter les cuisses pour des gens qu’on ne connaît pas, qu’on n’aime pas, qu’on ne désire pas, et qui sont parfois sales, repoussants, malades, pervers ou violents.
    Personnellement, ce sont avec ces prostituées-là que je ressens une profonde empathie. Et s’il y a un pourcentage aussi important que, disons, 30% des prostituées (et je doute qu’elles soient aussi nombreuses) qui, elles, ont une pratique privilégiée et édulcorée (possibilité de choisir leurs clients et donc d’éliminer les pires, de n’avoir que des réguliers dont on est sûr, pratiquer dans des lieux hygiéniques et assez sécurisés), qui l’apprécient et qui ne veulent surtout pas perdre leur fond de commerce, eh bien j’avoue que quoi qu’il arrive je serai toujours du côté des 70% (ou de n’importe quel pourcentage que ce soit) qui vivent dans la misère, l’esclavage, l’alcoolisme, la toxicomanie, la malpropreté, les insultes, la violence quotidienne, la peur, la maladie, l’auto-mutilation et les cauchemars.
    Et c’est un choix que je considère comme rationnel et humain, n’en déplaise aux gens « souples, intelligents, ouverts au débat et non dogmatiques ».

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  • Prune
    25 décembre 2013

    A propos de la méchante personne qui dit à Seb de se taire, d’abord, sachez que je ne suis pas la seule car c’est un troll régulier d’un site féministe français « les nouvelles News », cite précédemment référencé par lui-même. Ensuite, je vous laisse juge de ces propos habituels.

    Afin d’illustrer les beaux partisans que vous avez là et leur « féminisme souple, intelligent, ouvert au débat et non dogmatique. »

    http://lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/civilisation/3321-des-blagues-a-la-discrimination-le-poids-du-sexisme-en-entreprise

    Seb par lui-même. Et puis bon ces interventions sont récurrentes vous n’avez qu’à vous balader un peu sur les nouvelles news, vous aurez de quoi vous familiariser avec sa notion du féminisme, qui je l’espère ne rencontre pas la votre sur tous les points…

    Bonne continuation, merci au commentaire de T que je partage entièrement.

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