Faux-amis

Je suis une jeune étudiante au baccalauréat à l’UQAM, qui s’implique dans les mouvements féministes depuis 2008.

Travailleuse du sexe depuis le début de l’année 2013, mon travail m’a obligé à redéfinir mon féminisme, étant donné que plusieurs organismes où je m’impliquais refusaient désormais de me nommer « féministe ».

Je suis une femme ordinaire qui se questionne sur sa sexualité et son travail, et qui osera mettre quelques questions au grand jour, ici avec vous, sans avoir toutefois la prétention de toujours trouver les réponses.  

 

feminist1-300x300Quand j’ai commencé à m’impliquer dans le mouvement féministe une des premières problématiques, qui m’a amené à me remettre en question et à prendre position est le rôle et l’espace donnés aux alliés (par exemple, les proféministes ou les alliés LGBT) dans les lieux consacrés aux membres du mouvement.

Même si je pense sincèrement que le slogan « Ne me libère pas, je m’en charge! » devrait être représentatif de la réalité, une part de moi doit avouer que la lutte est plus simple et plus facile quand nous avons des alliés qui peuvent faire passer le message dans d’autres sphères et nous donner une visibilité que nous n’aurions pas sans leur aide.

Cependant, comment savoir que le message qu’ils vont transmettre est celui que nous voulons faire passer?

Comment être sure que leurs actions ne nuiront pas à la lutte?

Et plus indirectement, quels sont les objectifs que je veux atteindre? Quelles sont les raisons pour lesquelles je me bats?

Après plusieurs heures de réflexion, j’ai décidé de me concentrer sur deux aspects de la lutte pour les droits des travailleuses du sexe (TDS); la sécurité et le respect des individus qui exercent ou ont exercé un métier dans l’industrie du sexe.

Premièrement, le respect des TDS est presque unanimement reconnue dans les milieux féministes comme étant quelque chose à travailler dans notre société. Le « slut-shaming » est de plus en plus dénoncé, et nous reconnaissons maintenant la violence que peut occasionner un passé ou un présent dans l’industrie du sexe, lorsque celui-ci est découvert par l’entourage.

Presque tous les organismes, que ce soit des groupes abolitionnistes, prorèglementations, etc. seront surement d’accord avec moi: il faut ultimement permettre aux personnes qui travaille, ou ont travaillé dans l’industrie du sexe,  de ne pas souffrir socialement de ce fait, entre autres en ne les criminalisant pas pour leur permettre, s’ils le souhaitent, de se trouver un autre emploi sans avoir de casier judiciaire.

Sur ce point, les TDS ont de très nombreuses alliées, mais qu’en est-il du droit de travailler en sécurité?

La sécurité des TDS, elle, touche plusieurs points. De très nombreuses études ont démontré que la seule façon d’assurer une réelle sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe est de les laisser règlementer et créer elles-mêmes le cadre qui entoure le travail du sexe d’un pays donné, par exemple: la Nouvelle-Zélande.

Par opposition, le modèle nordique, en ce moment prôné par notre gouvernement et qui est soutenu par de très nombreux organismes féministes soulève quelques questions qui méritent manifestement notre attention.

Quel but souhaite-t-on atteindre en pénalisant les clients?

L’abolition de la prostitution, la diminution de la demande pour diminuer l’offre, si l’on veut être un peu plus cru.

Nous ne visons donc manifestement pas les mêmes objectifs, ce qui m’amène à croire que les groupes abolitionnistes et le gouvernement ne sont pas du même côté du ring que moi.

Effectivement, de nombreuses travailleuses de rues suédoises ont rapporté un certain nombre de situations dangereuses introduites par la criminalisation des clients; un plus grand empressement à conclure les transactions, un refus de se faire tester avec la travailleuse en cas de bris du condom, une demande moins forte et donc une plus grande précarité financière, une augmentation du nombre d’agresseurs vs clients.

Ici, j’élimine donc les groupes abolitionnistes et le gouvernement de mes alliés.

Ce qui m’amène à la dernière catégorie ambigüe; les clients.

À première vue, ils ont tout à gagner à ce que l’on travaille en sécurité et sans conséquence sur notre vie privée. En fait, pas tout à fait. Les clients, en tant que groupe, créent la demande à laquelle nous devons souvent ajuster l’offre.

Par exemple, plus le milieu sera marginal et plus les clients pourront nous demander des services sans condom, comptant sur l’idée que si nous refusons ils trouveront de toute façon une autre personne qui l’offrira, nous obligeant donc à céder pour nous éviter la précarité financière, à accepter des services pouvant mettre notre santé en danger pour nous conformer à l’offre de ce marché noir. Alors que si le milieu était décriminalisé et qu’il était illégal d’offrir des services sans condom, ils devraient se soumettre aux lois.

Les clients refusent aussi majoritairement de nous donner des informations permettant de les identifier (vrai nom, numéro de téléphone, adresse, etc.) par peur de la stigmatisation associée au travail du sexe. Même si je comprends tout à fait leur motivation, ils laissent ainsi, en tant que groupe, la porte ouverte aux agresseurs qui eux ne veulent pas nous donner d’informations identifiables dans le but évident de pouvoir nous agresser en toute impunité.

Leurs considérations égoïstes mettent donc en danger les TDS, involontairement ou non.

Si les clients sont individuellement des personnes qui peuvent être de véritables alliés, ils ne le sont pas en tant que groupe.

Mais alors qui reste-t-il?

Cette question n’a pas de réponse. Chaque jour je découvre de nouveaux textes, de nouveaux groupes qui se réclament alliés de notre lutte. Certains passent avec succès mon petit test, d’autres non. Ce qui me permet un peu chaque jour de réfléchir à cette lutte et de faire face à des idées nouvelles permettant au mouvement de se renouveler.

 

2 Comments

  • Daphne
    6 février 2014

    Je suis d’accord avec vous concernant la sécurité des femmes qui doit être centrale. Je ne sais cependant pas quel est le meilleur moyen pour y arriver. Je me pose la question suivante concernant la décriminalisation complète de toutes les activités entourant le travail du sexe: est-ce que cela peut contribuer à faire augmenter la demande, donc l’offre, donc le trafic/l’exploitation à des fins de commerce du sexe?

    Je suis d’avis que l’industrie du sexe, dans son ensemble (escortes, salons de massage, bars danses contact), tend à renforcer une idéologie d’inégalité dans la relation entre les sexes. Il ne faut pas oublier que ce sont les hommes qui achètent l’accès aux femmes, et non l’inverse. Ce sont les femmes qui se trouvent ainsi au service sexuel des hommes. Je crois que cela participe à cette conception de la sexualité où c’est encore la femme qui se soumet aux désirs de l’homme. Et je crois que l’industrie du sexe, très présente, propage cette conception de la sexualité et cela a un impact sur l’intimité de tout un chacun, dans les attentes et exigences qu’ils se font du rôle de chacun. Est-ce que l’industrie du sexe ne va pas en ce sens à l’encontre d’un idéal féministe?

    J’ai moi-même travaillé comme escorte quand j’avais 22 ans (j’en ai aujourd’hui 38). Avec le recul, si c’était à refaire, je ne referais pas ce travail. À l’époque, je ne savais même pas ce qui était légal ou non. L’agence pour laquelle je travaillais annonçait ouvertement dans le Journal…

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