Le sexe, un travail?

Notes de l’auteure : Afin de me concentrer sur l’angle choisi, j’ai évacué tout le côté considéré malsain sans être relié directement à la prostitution (abus, exploitation, etc.). Évidemment, je reconnais que tout n’est pas rose, comme dans tous les domaines d’ailleurs. J’ai laissé le côté plus pratique et légal aux autres pour développer une idée plus claire.

À noter que lorsque j’utilise le terme travail du sexe, je parle du choix d’une personne de travailler dans l’industrie du sexe (escorte, danseu.r.se nu.e, act.eur.rice porno) avec de bonnes conditions de travail.

En décembre 2013, la Cour suprême du Canada a invalidé trois articles de loi concernant la prostitution : ceux interdisant le proxénétisme, la tenue de maison de débauche et la sollicitation dans la rue. Ce jugement donne un maximum de 12 mois au gouvernement fédéral pour revoir la loi. D’ici là, les articles de loi limitant la prostitution continueront de s’appliquer.

Cette nouvelle, qui fut acclamée par la majorité des groupes de travailleuses et travailleurs du sexe, a créé un réel schisme au sein de la plupart des groupes féministes. Certains croient fermement que la prostitution devrait être abolie afin de libérer les femmes de « l’exploitation » et d’autres pensent que la prostitution est un travail. Ces derniers se réjouissent du jugement, car il permettra probablement d’encadrer le système et ainsi de s’assurer que les femmes et les hommes travaillent dans de meilleures conditions.

 

Le sexe, un travail ?

Évidemment, ce métier est peu commun et tabou. Comme le rappellent plusieurs abolitionnistes : on ne voit jamais des publicités gouvernementales faisant l’apologie du travail du sexe. Certes, on ne voit jamais, non plus, des publicités faisant la promotion du travail d’éboueur ou de chauffeur d’autobus; pourtant, des milliers de Montréalais utilisent le transport en commun et tous ont besoin qu’on ramasse leurs déchets.

Est-il légitime de croire qu’une femme ou un homme vaut mieux que d’être un.e prostitué.e? Cette décision ne revient-elle pas à la personne concernée ? J’ai interrogé Mélodie Nelson sur ses motivations à devenir travailleuse du sexe : « J’ai toujours été très curieuse par rapport à la sexualité. Je n’ai jamais écouté de film porno avant d’avoir dix-huit ou dix-neuf ans, je devinais que je n’y apprendrais rien, sauf des faux bruits d’orgasme et des positions plus ou moins excitantes. J’ai lu toutefois plein de livres sur l’industrie du sexe, certains écrits par des auteures ayant déjà été escorte ou pornstar, comme Virginie Despentes et Ovidie. […] Avant même la curiosité, il y a probablement aussi l’envie d’avoir de l’argent, suffisamment pour payer ma location d’appartement et mes études universitaires à temps plein. Je ne crois pas que travailler comme escorte soit facile, je ne crois pas à la notion d’argent facile. Je crois cependant que travailler comme escorte permet une grande liberté : financière et contractuelle aussi, puisque je choisissais moi-même mon horaire. Je travaillais avant comme libraire une trentaine d’heures par semaine. J’étais épuisée. Escorte, je ne travaillais plus que deux jours par semaine, soit 15 heures. »

 

Un choix

Mélodie Nelson n’a jamais été forcée de faire ce travail et n’a jamais été exploitée lorsqu’elle le pratiquait. Elle travaillait très peu, avait un salaire plus que décent, choisissait ses horaires et avait d’excellentes conditions de travail. Elle avait la possibilité de refuser des clients et de choisir ce qu’elle acceptait ou refusait de faire. Ces 15 heures de travail hebdomadaires lui permettaient, par exemple, d’aller à l’université.

La rétribution n’est pas le seul point reproché au travail du sexe; le fait qu’une femme vende son corps est souvent critiqué et utilisé afin de prouver que le travail du sexe est une exploitation de la femme. Pour plusieurs, il est impensable que la prostitution puisse être un choix. Mélodie Nelson pense autrement : « […] Nier que le travail du sexe est un choix est recourir à la victimisation de la femme. C’est la voir comme une éternelle victime face à l’homme, qui lui, a droit d’avoir des pulsions sexuelles, contrairement à la femme, selon le discours victimisant et moralisateur. ».

Est-ce alors une question de puritanisme ? Est-ce parce que le sexe est impliqué qu’il semble impossible qu’une femme puisse faire le choix de vendre des services sexuels sans être exploitée ? Est-ce responsable de vouloir criminaliser un groupe de personnes, non pas en fonction de la raison, mais selon une certaine morale ?

 

Et après quoi ?

Le gouvernement fédéral a donc un an pour établir un nouveau cadre législatif respectant les mises en garde la Cour. Il a déjà fait part de son intention : criminaliser les clients. Certain.e.s voit cette idée d’un bon œil, car elle enlève la responsabilité criminelle aux travailleuses. Cependant, quand on s’y attarde, on réalise que ce projet nuirait aux travailleuses en les empêchant de travailler. À quoi bon permettre d’ouvrir un restaurant si du même coup on interdit d’acheter de la nourriture ? Copier le modèle de la Suède n’est pas une solution : depuis que le pays a criminalisé les clients, le nombre de travailleuses n’a pas diminué. Aussi bien dire que la loi n’a eu aucun impact sur le nombre de travailleuses. Leur travail est simplement plus difficile : plusieurs se sont exilées et les autres doivent travailler en cachette, se soumettant ainsi à un plus grand risque de violence. Selon la même étude, depuis que les clients se sentent persécutés, ils projettent leur violence et leur colère sur la travailleuse.

Alors quelle loi serait appropriée et juste afin de permettre aux travailleuses d’être en sécurité et de pouvoir pratiquer leur métier ? Mélodie Nelson m’a proposé le modèle de la Nouvelle-Zélande où ni les travailleuses ni les clients ne sont criminalisé.e.s. Les conséquences de cette initiative sont claires : aucune augmentation du nombre de travailleuses, plus de la moitié travaillent dans des maisons (donc en sécurité), 82% font ce métier pour payer leurs dépenses quotidiennes, et la police n’arrive pas, ou plus, à mettre en lien le travail du sexe et le crime organisé puisque la décriminalisation a permis aux femmes de se libérer du joug des organisations criminelles. En effet, étant libres de pratiquer leur travail, elles n’ont plus besoin d’un groupe pour les protéger ou leur trouver des clients.

Ce projet a eu pour impact de permettre aux femmes de dénoncer les agressions, d’avoir accès à des soins de santé sans avoir à cacher leur métier, de pouvoir engager des gens afin de rendre leur tâche plus facile et aussi de faire plus d’argent parce qu’elles ne sont plus obligées de se cacher. Le plus incroyable dans tout ça ? Seulement 4% des personnes sondées ont dit travailler pour quelqu’un d’autre.

Article précédemment publié sur Point de fuite.

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8 Comments

  • Titine
    8 février 2014

    Oui enfin bon, si vous interrogez catherine Deneuve, elle vous dira qu’être actrice c’est un boulot génial, mais si vous demandez à la fille qui est au troisième plan derrière elle, vous aurez peut-être un tableau du métier moins réjouissant et qui ne sera pas un chemin couvert de fleurs…
    Vous avez interrogé les gamines qui ont été importées de l’Europe de l’Est sinon ?

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  • cath6269
    8 février 2014

    La femme que vous avez interrogez ne représente que 5% des femmes dans la prostitution. Le reste (95%) vit dans la violence chaque jour et n’est pas là par choix, loin de là. Le fait que de tels crimes -parce que ces femmes (ou ces filles plutôt, car elles commencent majoritairement mineures) sont enlevés et forcer par une violence autant physique que psychologique par leur proxénète (la majorité d’entre elles en ont un) à se prostituer- subsiste encore dans une démocratie comme celle du Canada est plus qu’alarmant. De tels crimes ne devraient plus exister de nos jours dans un pays développé comme le Canada! Donc, s’il y a des femmes pour se dire là par choix, nos efforts doivent se concentrer sur la majorité : ces femmes qui chaque jour sont forcés à se prostituer. Le mauvais état physique et mental des prostituées ne dépend pas de l’amélioration de leur accès aux soins de santé, pas plus qu’il ne dépend de l’amélioration de conditions de pratique ni de la législation. La violence est inhérente à la prostitution. Il n’est pas égalitaire de décriminaliser la prostitution et de la qualifier de travail, les femmes ont le droit de vouloir plus que la prostitution. De plus, j’ignore où vous vous êtes renseignez sur les résultats de la législation suédoise, mais moi j’ai lu que le nombre de prostituées a diminué de moitié et que le recrutement des femmes a complètement cessé. La Suède a vue une diminution du crime organisé dans l’industrie du sexe (là où la pratique est plus difficile, il y a mois de proxénète et trafiquants car il y a moins de profits). En effet, l’industrie du sexe, qui comprend la prostitution, les bars de danseuses nues et la pornographie, est dans les mains du crime organisé pas seulement au Canada mais sur toute la planète. Alors, je sais pas pour vous, mais écarté la violence de la prostitution c’est ne pas parler de la prostitution, selon moi.

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  • Lila
    12 février 2014

    Statistiquement, la plupart des femmes prostituées ont été au cours de leur vie victimes d’agressions sexuelles (et je citerai cette phrase ô combien pertinente de Virginie Despentes : « Le viol fabrique les meilleures putes »), et elles sont le plus souvent issues d’un milieu défavorisé et/ou étaient dans une situation de précarité. À partir de là, peut-on encore parler de la prostitution comme d’un choix, alors que c’est finalement (même pour celles qui le vivent « bien ») une conséquence de tout un tas de choses qui n’allaient pas ?

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  • Titine
    13 février 2014

    Le problème c’est de faire comme si le fait de légaliser allait par magie tout arranger, et rendre les clients « gentils », ou la profession « sécuritaire ». Ce n’est pas vrai, il suffit d’observer ce qui se passe dans les pays qui ont régularisé, c’est facile.

    Le rapport de la Suède sur les effets de la loi n’est pas consultable, le lien qui est donné ne fonctionne pas et du coup les affirmations de ce qui se trouve dans ce rapport sont totalement invérifiables.
    Le lien qui renvoi au rapport d’une sorte de syndicat néo zélandais du travail ( ? à vérifier quand même) ne débouche que sur la page d’accueil et pas sur le fameux guide que je n’ai pour ma part, pas réussi à trouver.
    Quelques études sérieuses, publiées dans des revues scientifiques mais dont le sujet d’étude principal est la transmission ou non des maladies sexuellement transmissibles dans la prostitution, donc pas d’étude par exemple sur les conséquences de la prostitution sur les personnes prostituées elles-même. Alors que ces études existent.
    Beaucoup d’études sur la prostitution masculine et transgenre alors qu’ils sont minoritaires dans la prostitution. Bon et la traite n’est visiblement pas un sujet dont ils se préoccupent, ça n’a tout simplement pas l’air d’exister dans leur analyse. Alors qu’il me semble qu’en France on considère que 95% des prostituées sont issues de la traite. Donc bon…

    Non mais lisez les articles allemands sur la légalisation de la prostitution là, par exemple :
    http://angrywomenymous.blogspot.fr/2014/01/un-garden-tres-fun.html

    Sinon la réalité du métier raconté par les premières concernées, dont le récit d’une militante pour la réglementation de la prostitution elle-même que l’on ne pourra donc pas taxé d’être partisan :
    http://angrywomenymous.blogspot.fr/2013/12/une-ex-prostitutee-allemande-raconte.html

    Le problème de la prostitution c’est que ça rapporte trop gros pour que le crime organisé ne viennent pas s’en mêler, c’est d’ailleurs ce qui arrive dans les pays où on légalise, l’Allemagne est un exemple en la matière. Vient le deuxième problème, il y a beaucoup plus de demande que d’offre, alors que fait la mafia, parce que ce serait dommage de passer à coté de tout ce fric, eh ben elle fait dans la traite d’êtres humains.
    Je vous conseil de visionner les témoignages de personnes victimes de la traite sur youtube suffit de taper sex trafficking testimoy
    et de regarder quelques vidéos. C’est quand même majoritairement ça, le visage de la prostitution.
    Et pas Maîtresse Gilda du Strass, malgré ce qu’elle en dit…

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  • Titine
    13 février 2014

    « les églises se combattaient à coup d’excommunications, quand ce n’était pas à coups d’épées. Tout peut aller vite…  »

    Oui enfin pour les Eglises ça à quand même prit un siècle ou deux, c’est pas super rapide quand même hein…

    Oui évidement moi je suis pour le revenu minimum pour tous, mais en attendant on ne peut pas ne rien faire contre la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution, c’est une urgence sanitaire.

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  • Cybèle L'esperance
    16 mars 2014

    Ça parle de sexe, mais c’est pas dans la section sexe. Le sexe tarifé n’est-il pas du sexe ? Pour moi, ça en est ! La grande différence, c’est qu’au début de la rencontre, nous savons tous les deux ce qui se passera, et que je leur fait beaucoup plus facilement de la place à mon horaire, même s’ils ne sont pas des gens avec qui j’ai beaucoup d’affinités. Nous passons un bon moment, je jouis souvent (c’est important pour lui, généralement)… Et je repars avec de quoi payer les fringues, les capotes, le lubrifiant, le maquillage, le loyer, la connexion Internet et les frais de scolarité.

    Un boulot qui me plait et où mes clients sont attentionnés, attentifs à mes limites (« Est-ce que c’est ok si je fais ceci ? Est-ce qu’il y a quelque chose que tu ne veux pas que je fasse ? ») Un client me déplaît, sans être forcément violent ou arrogant ? Je n’ai aucune obligation de le revoir.

    Les trucs les plus chiants de ce boulot : les réactions bizarres des non clients quand ils apprennent ce que je fais, et qu’ils me manquent de respect, les abolitionnistes qui parlent en mon nom, me psychanalyse et me rendent responsables de la souffrance de la « majorité silencieuse ». Moi j’ai plutôt hâte que la police intervienne là où elle a déjà des outils pour le faire, plutôt que de considérer comme des criminels des gens comme moi (je connais plus d’escort-boys que de femmes) et des gens comme mes clients, soucieux de l’achat de sexe « équitable ».

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