Dialogues: pwll

Cette semaine, nous dialoguons avec pwll de la Tomate Noire, ayant déjà écrit auparavant sur Chercher des poux.

1) Quel est ton parcours de blogueuse?

J’ai commencé en 2007 sur Chercher des poux, un blog commencé par une amie qui m’a convaincue d’en faire notre projet commun. Au travers d’images, de compte-rendus et de critiques de shows nous avons commencé à écrire des textes où nous parlions plus généralement d’éducation et plus particulièrement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Être étudiante à l’UQAM et militer dans le mouvement étudiant est définitivement ce qui m’a poussé à écrire sur des sujets politiques. Ça m’a fait élargir mes intérêts à des sujets comme la brutalité policière, le féminisme, la droite et l’extrême droite, le racisme, et le militarisme. Cherchez des poux à été d’une importance capitale dans la radicalisation de mes idées et de mon écriture : j’y suis passée d’une pensée sociale-démocrate à une pensée anarchiste, de femme qui ne voulait pas se décrire comme féministe, et penchant plutôt vers le Girl Power, à féministe radicale assumée. Le projet s’est terminé en avril dernier au même moment où, avec un nouveau collectif anarchiste, s’est créé le blogue La tomate noire. Celui-ci n’existe que depuis quelques mois, mais je suis très enthousiaste de toutes les possibilités que j’y entrevois. Le féminisme est maintenant un des piliers de ma pensée et de ma pratique politique. Avec La tomate noire j’ai donc l’impression d’entrer dans un nouveau stade de mon parcours de féministe blogueuse.

2) Quels sont les sujets qui te passionnent, qui motivent ta pratique d’écriture?

La brutalité policière, les inégalités sociales, le nationalisme québécois et le racisme sont des sujets qui me font réagir en général, mais j’aime écrire plus particulièrement sur la culture du viol ainsi que sur les représentations de sexisme et de machisme dans mes propres milieux. Je réagis aussi à l’extrême droite et aux idées fascisantes, ainsi qu’à ce qui touche l’industrie du sexe.

Je suis poussée à réagir face à l’extrême-droite, aux idées fascisantes moins évidentes, ainsi que face au racisme. Ces idées d’ordre, de hiérarchie, de séparations, de création et d’entretien d’un « eux » vs « nous » sont très dangereuses pour la liberté de toutes et tous, et elles ne sont jamais émancipatrices pour les femmes. Les idées d’ordre et de hiérarchie utilisent le plus souvent une rhétorique patriarcale conservatrice où les femmes doivent garder une place bien précise. Sans oublier que toutes ces idées maintiennent des séparations entre les groupes. Évidement que la diversité existe, et ce même à l’intérieur du groupe des femmes, autant qu’à l’intérieur de leur individualité (femmes, mais aussi femmes de couleur, femmes trans, femmes de classe défavorisée, etc.), ce qu’il faut reconnaître sans jamais hiérarchiser. Ces idées affaiblissent les luttes féministes parce qu’elles cachent la diversité des femmes et les possibilités pour les féministes d’être en solidarité avec d’autres luttes.

J’aime écrire sur le milieu de la gauche radicale, parce que c’est en partie mon milieu et que je me sens à l’aise de le critiquer ou de louanger ses bons coups. C’est un milieu qui est assez éveillé sur l’existence des oppressions qui structurent le monde dans lequel nous vivons pour essayer de changer ses pratiques au jour le jour. Évidement rien n’est parfait, mais si je peux critiquer le sexisme et le machisme qui existent dans ce milieu, je me rend aussi compte qu’à travers les drames et les grincements de dents, des discussions sont possibles, et ça, dans un but de transformation, c’est précieux.

Je me sens poussée à écrire sur la culture du viol parce que malgré le travail titanesque accompli les féministes pour la rendre visible, il va falloir encore travailler très fort pour rendre banale l’idée que « seulement oui veut dire oui ». La notion de consentement est encore bizarre pour beaucoup de gens, par exemple, en parlant de drague, « s’essayer sur une personne » veut encore majoritairement dire essayer de l’embrasser ou d’avoir un contact physique avec elle. Comme si l’idée de demander à une personne si elle avait envie de nous, d’avoir un contact physique et/ou sexuel avec nous était complètement farfelue.

Et finalement, pour plusieurs raisons personnelles et politiques, je suis poussée à écrire sur des enjeux liés à l’industrie du sexe. Je trouve que la polarisation pro-travail du sexe vs abolitionnisme prend beaucoup trop de place chez les féministes et cache les nuances de l’industrie et des expériences des gens qui y sont. Le sujet est délicat et il faut faire attention aux alliances dans cette lutte : d’où vient l’argent des groupes militants, à qui profitent les légalisations déjà existantes dans le monde et dans quel esprit est-ce qu’on veut abolir ou légaliser ? Par exemple, je rejette vivement le discours qui allie automatiquement l’industrie du sexe à l’émancipation ou au libre choix, mais je rejette également le discours moralisateur des Conservateurs. Et je pense que les abolitionnistes qui adhèrent sans critiques au projet conservateur parce qu’elle atteint un objectif important, rendre visibles et imputables les clients, pourraient se permettre d’être plus critiques.

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3) Quelle importance a le féminisme dans ta vie, tes projets, tes valeurs?

Ça influence ma pensée, les projets auxquels ça me tente de participer, les discussions que je peux avoir, et les gens de qui je veux le plus m’entourer. Ça a une place dans toutes mes relations interpersonnelles. Par contre, même si cette influence est centrale, elle n’est pas rigide. En tant que féministe j’ai des non-négociables (non une joke de viol n’est jamais drôle, oui les femmes sont toujours les seules à décider de ce qui se passe avec leurs corps, etc.), mais je vis aussi des contradictions. Je n’ai heureusement pas réponse à tout et je trouve que mettre en pratique ma pensée féministe ce n’est pas toujours facile. Avoir des non-négociables m’aide beaucoup à répondre à mes propres questions, mais aussi discuter avec d’autres féministes ou les lire, prises aussi avec leurs contradictions. Des fois on aime se maquiller et porter des talons haut, être hétérosexuelle amène des questionnements qui peuvent être difficiles dans notre pratique féministe, les femmes ne vivent pas toutes les mêmes expériences d’être femme et des fois je dois me taire et écouter, être inclusive est parfois contradictoire à la poursuite d’un but politique donné. Toutes ces questions, et bien plus encore, sont complexes et je n’y réagis pas toujours de la même manière.

4) La blogosphère québécoise et/ou cyberféministe : qu’en penses-tu? Ses points forts, ses points faibles?

Je pense que la blogosphère cyberféministe québécoise peut être trop concentrée sur des enjeux de femmes blanches de classe moyenne, mais au moins elle est vive et réagit rapidement à des enjeux d’actualité. En effet, des fois j’ai l’impression de lire seulement par rapport à l’importance de l’apparence, la persistance du plafond de verre, ou les stéréotypes de genre, mais en même temps je constate une claire ouverture par rapport à des sujets comme l’homosexualité et les questions d’identités sexuelles. Je pense aussi que la présence de certaines blogueuses féministes sur les médias sociaux est une bonne chose, par contre je déplore aussi une espèce d’homogénéité de pensée des blogs féministes qui ne se contredisent jamais, ou tellement rarement. Ça m’agace et je ne trouve pas ça représentatif de la manière dont cohabitent les féministes, en théorie comme en pratique.

5) Selon toi, quels sont les enjeux féministes primordiaux aujourd’hui?

Je pense que les questions qui touchent aux femmes des Premières nations sont primordiales. En tant que féministes qui évoluent dans le contexte québécois et canadien, tant qu’à moi il va de soit que nous devrions être en solidarité avec elles. Ce qu’elles vivent est basé, entre autre, dans le patriarcat et le colonialisme des États canadien et québécois et de leur population blanche. Être en solidarité avec les luttes qu’elles mènent, de la manière dont elles-même décident de les mener, me semble essentiel.

L’enjeu de la pensée néolibérale, et l’austérité qui la suit, est aussi de taille. Dans notre contexte où les femmes gagnent encore moins que les hommes, ont des emplois plus précaires, sont le plus souvent les aidantes naturelles et sont celles qui sont le plus monoparentales, les coupures dans la santé et les services sociaux, ainsi que les augmentations de tarifs, les touchent plus directement. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance de l’augmentation des frais de scolarité, l’éducation étant historiquement un outil de première importance pour l’émancipation des femmes. L’idéologie néolibérale veut nous faire croire que l’État doit se serrer la ceinture quand nous constatons, qu’en fait, l’État coupe dans les services mais finance des entreprises qui coupent dans les salaires et les conditions de travail ou saccagent notre environnement pour faire plus de profits. Ainsi, quand on dit « les temps sont durs » il est intéressant d’observer pour qui ils ne le sont pas.

Finalement je pense qu’un des grands enjeux des féministes est encore d’accepter nos confrontations internes. Les féministes ne sont pas une sororité et elles n’ont pas à bien s’entendre. Des fois elles se confrontent, n’ont pas les mêmes buts, ou veulent utiliser différents moyens pour se rendre à leurs buts. Je trouve ça correct, et même très sain. Je pense qu’il faut savoir s’unir pour des luttes politiques ponctuelles, par exemple faire front commun pour défendre l’accès à l’avortement libre et gratuit, mais il faut aussi être en mesure de reconnaître que nous pouvons avoir des intérêts divergents. Je pense que les féministes ont tout intérêt à reconnaître que des fois la défense de nos intérêts devrait passer par des unions avec d’autres groupes plutôt que de regretter une union totale des féministes qui n’existe pas. Par le fait même nous pourrons tendre vers des pratiques féministes plus respectueuses de la diversité des femmes.

6) Un blogue/page/initiative féministe/pro-féministe que tu as envie de plugger?

Les hyènes en jupons : http://hyenesenjupons.com/ Parce que ce collectif est né de la confrontation. Parce qu’elles ne cherchent pas à plaire et parce qu’elles ont une analyse radicale de notre société. Aussi, parce qu’elles ne font pas qu’écrire.

Studio XX : http://www.studioxx.org/ Parce qu’elles sont juste trop géniales ! Elles rejoignent deux trucs que j’adore, la technologie et des femmes qui s’organisent entre-elles, et elles me donnent envie de plus m’intéresser à l’art. Leurs activités sont vraiment intéressantes et je me suis toujours sentie à ma place même en tant que techno-débutante.

pwll [pwel]

http://tomatenoire.noblogs.org

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