Soeurs volées dans l’indifférence

Emmanuelle Walter et Laurie Odijick a Tout le monde en parle en mars 2015 (source : ICI Radio-Canada)

Emmanuelle Walter et Laurie Odijick à Tout le monde en parle en mars 2015 (source : ICI Radio-Canada)

J’ai été initiée à une partie de la réalité des peuples autochtones au Canada lors de mon engagement chez Amnistie internationale. J’étais alors adolescente. J’ai regardé le film documentaire Le Peuple invisible de Richard Desjardins et Robert Monderie à de nombreuses reprises, avec mes collègues militants de l’époque. Une réalité qui m’a révoltée, choquée et qui a laissé de nombreuses questions en suspens.

Comme de fait, cela faisait un bon moment que je voulais lire Sœurs volées d’Emmanuelle Walter. L’ouvrage lancé à la fin de 2014 s’intéresse à la réalité des femmes autochtones assassinées et disparues en sol canadien. Un sujet plus que pertinent pour une personne comme moi qui a étudié le phénomène de la criminalité et de la victimologie au cégep. « Féminicide » est le terme employé dans cet ouvrage pour qualifier l’hécatombe qui s’abat sur ces communautés depuis 1980. En effet, près de 1200 femmes autochtones manquent à l’appel. En proportion, cela représente 55 000 femmes françaises, 30 000 Canadiennes ou encore 7000 Québécoises. Pour emprunter une phrase employée par l’auteure Fatou Diome dans une vidéo visionnée récemment, nous sommes forcés d’admettre que si autant de personnes appartenant à la culture dominante subissaient le même sort, « la terre serait en train de trembler ».

Oui. Un féminicide est bel et bien en train de se dérouler sur notre territoire dans un pays comme le nôtre qui se vante d’être un chef de file en matière de droits humains. Plusieurs de ces communautés ont des conditions de vie qui s’apparentent à celles de certains pays du tiers-monde. Au Canada. Et ces meurtres et ces disparitions n’éveillent pas les passions populaires. Leurs causes étant complexes, systémiques et historiques, elles ennuient. Ce qui explique en partie l’indifférence presque généralisée face à cette situation.

L’ouvrage de madame Walter – qui est tout simplement magnifique et bouleversant – relate l’histoire de Maisy Odijick et Shannon Alexander. Deux adolescentes portées disparues depuis 2008. L’auteure est parvenue à gagner la confiance de plusieurs membres des familles de ces adolescentes ainsi que de leur communauté. Elle a recueilli leurs confidences pour offrir un ouvrage touchant, humain, solide et vrai.

Le livre dénonce le laxisme et le victim-blaming des autorités qui ne traitent pas les meurtres et les disparitions des femmes autochtones avec le même sérieux que les meurtres et disparitions que subissent d’autres citoyennes canadiennes. On y dénonce également le fait que cette situation n’est à peu près jamais abordée par les médias traditionnels et que lorsque c’est le cas, cela n’est fait que de manière embryonnaire. Les traumatismes subis notamment à la suite des sévices vécus dans les pensionnats ou encore en raison du Sixties Scoop se transmettent de génération en génération sans que les autorités ne posent des actions concrètes pour panser cette plaie psychique et briser le cycle. La méconnaissance de la population en général sur cette situation est réelle. Et on ne peut pas agir pour éliminer un phénomène que l’on ne connaît pas ou que l’on ne comprend pas.

Malgré ce portrait peu reluisant, l’ouvrage offre des pistes de solutions, dont trois majeures. Il faut, en premier lieu, une enquête publique et indépendante sur les meurtres et les disparitions menée en partenariat avec des experts, les familles ainsi que les associations de défense des droits des peuples autochtones. Deuxièmement, il faut multiplier les maisons d’hébergement de deuxième étape pour les femmes autochtones victimes de violence conjugale. Finalement, il faut guérir ces hommes de cette violence, car la majorité de ces victimes le sont par des hommes qu’elles connaissent. Jusqu’à présent, les revendications de ces communautés se sont butées au refus du gouvernement fédéral.

Je suis étudiante en travail social à l’université McGill. En 2009, l’Université recensait que seulement 0.8% de ses étudiants étaient autochtones, et cela malgré le fait que l’Université soit construite sur un territoire autochtone.

Alors que je terminais ma première année dans ce programme, un enseignant, lors d’un cours à option sur l’histoire des autochtones à travers les Amériques, a dit quelque chose qui m’a beaucoup marquée. Il a dit espérer que les étudiants vont voir dans leur chance d’accéder à l’éducation quelque chose qui signifie beaucoup plus que d’avoir des notes et un diplôme. Il souhaite que notre génération cherche à faire des actions concrètes pour faire avancer la société avec ces connaissances nouvellement acquises. Et c’est exactement pour ça que j’ai décidé d’aller à l’université. Non pas pour parler au nom des autres parce que je crois au concept d’empowerment et à l’autodétermination des individus. Les peuples autochtones sont les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour eux et sont tout à fait capables de l’exprimer. Ils sont les experts de leurs propres vies. Les mouvements tels qu’Idle No More ou encore Sisters In Spirit sont nécessaires. Le féminisme autochtone a toute sa pertinence. Or, j’ai décidé d’aller à l’université pour comprendre, pousser ma réflexion et mon sens critique plus loin et surtout pour me poser les bonnes questions. Pour être une meilleure alliée. Pour être armée et outillée face à l’indifférence.

Avez-vous lu le livre d’Emmanuelle Walter ? Avez-vous vu son passage à Tout le monde en parle ? Qu’en avez-vous pensé ?

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