Entrevue de fond: Manon Massé

Lundi 1er juin, 9h00. Je rencontre Manon Massé, la militante féministe et députée de Québec solidaire (QS) de Sainte-Marie-St-Jacques (SMSJ) au Pourquoi pas Espresso Bar, une petite merveille de son comté. Cette rencontre, après le 10e Congrès de Québec solidaire (QS) est apparue comme une opportunité de faire un retour sur les presque 10 années complètes du seul parti se disant féministe depuis sa création.

Dès son arrivée, on aborde le Congrès de QS de la fin de semaine et la position consensuelle sur l’épineuse question féministe (s’il en est une!) du débat prostitution/travail du sexe (TDS).

Comment s’est passé le 10e Congrès de QS?

Bien, super bien! C’était chargé comme programme. On a réussi à adopter une position consensuelle sur la question travail du sexe/prostitution!

La fierté de la députée se lit dans ses yeux: elle est fière que son parti ait réussi à adopter une position consensuelle sur la délicate question TDS/prostitution. Cette proposition vise à dénoncer l’exploitation sexuelle dont sont victimes certaines personnes, reconnait le droit des personnes choisissant d’exercer le travail du sexe de s’organiser syndicalement, d’assurer leur sécurité et leur dignité, tout en voulant dénoncer les pimps et le crime organisé qui contrôlent actuellement la majorité des travailleuses. Le parti n’a toutefois pas pris position quant à la criminalisation des clients.

On n’a pas voulu s’aventurer là. Mais la proposition dénonce la misogynie et l’instrumentalisation du corps des femmes dans les publicités sexistes – tout en reconnaissant le droit de ces mêmes femmes d’instrumentaliser leur corps si tel est leur choix. J’aime mon parti! Je suis fière de mon parti!

Alors qu’on aborde les publicités sexistes, la députée de SMSJ explique la mince ligne qui sépare la dénonciation et la censure, tout en mettant en garde de ne pas verser dans la putophobie.

Les groupes de gauche sont très réticents à censurer et prônent plus une approche d’éducation, d’encadrement. Moi, je viens de l’éducation populaire, des groupes communautaires. J’aimerais ça que ça soit les consommateurs qui décident de ne plus acheter une bière qui utilise une femme nue dans leurs publicités.

Quel constat dressez-vous de la marche Du pain et des roses, 20 ans plus tard?

La marche Du pain et des roses a permis de remobiliser le mouvement des femmes au Québec qui était ébranlé après… les années 1980, au début 1990. Elle a permis de mettre les bases pour la Marche mondiale des femmes, parce qu’on pensait déjà à 5 ans plus tard. Les priorités établies par les femmes ayant participé à cet événement ont obtenu des réponses du gouvernement d’alors. C’est rare, mais le gouvernement avait répondu à beaucoup de nos demandes.

Manon Massé affirme que la marche du Pain et des roses a permis la mondialisation de la lutte des femmes. 15 pays jadis dits « en développement » (dit-elle en grimaçant) avaient envoyé des femmes pour participer à l’événement.

Qu’en est-il de l’année internationale de la femme de l’ONU en 1975, alors?

La première conférence mondiale sur le statut des femmes à Mexico en 1975 était l’élitisation de la lutte des féministes intellectuelles onusiennes, alors que la Marche mondiale des femmes est menée par la base, c’est le réseau des groupes de femmes qui mène et établis les priorités et les démarches. C’est la coalition pour la Marche mondiale des Femmes qui a pu mondialiser les revendications des groupes communautaires du mouvement des femmes du Québec. Il ne s’agit pas d’une récupération de la société civile, parce que le mouvement est porté par la base, issu des groupes communautaires de la société civile. On ne se détache pas des militantes.

Quel est le projet de QS?

Manon MasséManon Massé affirme que Québec solidaire propose un projet de société cohérent. C’est le peuple, les comités citoyens – qui n’avaient jamais été sondés par les partis, mais Manon Massé a tenu à intégrer leurs revendications parce qu’elle a baigné dans ce milieu -, les coalitions de groupes communautaires, des groupes de femmes, des syndicats. QS offre son appui aux peuples autochtones, tout en ciblant précisément les femmes, la pauvreté, la précarité.

Est-ce que Québec solidaire prétend représenter toutes les féministes?

Je ne vais pas répondre pour le parti, je vais répondre pour moi. Si le parti le prétendait, je le trouverais bien naïf. Québec solidaire ne prétend pas représenter ni rassembler toutes les féministes, mais il espère rallier leurs votes, si ce n’est pas leur membership, parce que ce qu’on adopte passe par une première grille d’analyse, du fait qu’on consulte la base.

Que diriez-vous aux jeunes féministes?

De rester en dialogue avec le parti.

D’ailleurs, la députée de SMSJ s’illumine lorsqu’elle aborde la féministe écossaise Cat Boyd qui est venue leur « brasser la cage » au Congrès en indiquant qu’aucune indépendance ne pourrait se faire sans les jeunes, ni en Écosse, ni au Québec, ni nulle part ailleurs.

Continuez à nous inspirer. Les jeunes féministes doivent contribuer à influencer la société dans son ensemble. Le capitalisme isole et désolidarise tandis que la lutte des femmes est collective. Ce n’est pas parce qu’on ne s’entend pas qu’on ne travaille pas ensemble!

Qu’est-ce que ça a changé pour vous de militer pour QS?

Le fait de démarrer un parti féministe m’a permis, pour la première fois, de parler de féminisme dans un milieu non-mixte. Soudainement, on n’était plus seules pour lutter pour que ça change. Et c’est beau de voir l’autogestion des hommes – des femmes aussi, mais surtout des hommes – lorsqu’il y en a un qui se présente au micro et dit une grossièreté ou quelque chose de sexiste, parce qu’il y en a partout, des gens qui ont des préjugés.

La députée de SMSJ indique que nos institutions démocratiques souffrent… d’absence de démocratie. Elle souligne que le mode de scrutin actuel ne permet pas la diversité des points de vues à l’Assemblée nationale, qu’un mode de scrutin proportionnel serait beaucoup plus représentatif et permettrait beaucoup plus de temps de parole aux député.es des partis ayant moins d’élu.es. Selon Manon Massé, les institutions démocratiques actuelles sont trop ancrées dans une perspective guerrière de gagnants et de perdants. Ça manque de civilité. Il y aurait d’autres façons de procéder et de forcer une coopération entre les partis, plutôt qu’une compétition. Elle écorche au passage le fait que ce soit l’élite qui dicte les règles et met en garde contre la concentration de la presse, abordant rapidement le cas du nouveau chef du PQ.

Qu’en est-il des jeunes femmes et la politique actuelle?

Manon Massé souligne avec enthousiasme que le baby-boom des députées a forcé les parlementaires à s’adapter à la réalité des jeunes femmes politiciennes. Aussi, elle a confiance en son parti pour favoriser le développement de nouvelles politiques qui tiennent compte du monde politique est en changement. D’ailleurs, plusieurs jeunes femmes dans la trentaine ont de grosses responsabilités au sein du comité de coordination national.

En tant que blogue par et pour les jeunes féministes, Je suis féministe reçoit souvent la critique qu’au final, on ne présente que la voix de jeunes féministes, blanches, universitaires. En tant que parti féministe, comment QS favorise-t-il la diversité?

Bien que les deux députées de Québec solidaire soit deux femmes blanches, Manon Massé souligne que le premier député élu du parti était un homme, certes dans la 40aine, mais tout de même racisé. Que son actuel président et porte-parole extra-parlementaire est également un homme racisé. Elle ironise même que le parti a réussi à faire élire une lesbienne à moustache.

Est-ce que la diversité mérite d’être élargie au sein du parti? Certainement. Mais, on ne peut pas dire qu’il n’y en a pas. Deux hommes racisés, une lesbienne à moustache et une bourgeoise. Mais… la démocratie, c’est long!

Pour conclure, la députée revient sur les événements du printemps 2012. Ses yeux s’illuminent. Selon elle, 2012 a politisé beaucoup de gens et le mouvement étudiant s’est mis en mode changement. Les grèves étudiantes ont créé un espace d’éducation populaire qui a permis à la population de comprendre ce qui arrive à cette jeune génération. À l’évocation de cette génération marquée, Manon Massé indique que la responsabilité des jeunes féministes intellectuelles (comme celles de Je suis féministe) est d’interpréter et de rendre accessible les enjeux féministes, d’aller sur le terrain et de brasser les idées des personnes au pouvoir. Elle espère qu’on leur « brasse la cage » et qu’on les remette en question.

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Quels seraient VOS moyens pour brasser la cage de l’élite politique?

4 Comments

  • Totote
    12 juin 2015

    Ah bon, donc le parti a pris position pour la légalisation de la prostitution. Il serait bon de ne pas faire de langue de bois, c’est un minimum.
    En effet, la position abolitionniste qui est la position idéologique opposée est celle qui criminalise l’achat de sexe c’est à dire qui pénalise les clients tout en décriminalisant les prostituées elles-même. Et propose des programmes de sortie de la prostitution. C’est « le modèle suédois ».

    La position de légalisation du travail du sexe, en fait un commerce respectable, avec des hommes ou femmes d’affaires autorisés légalement à ouvrir des maisons closes comme en Allemagne ou aux Pays Bas. Celle-ci, qui est donc la position retenue par le parti et apparemment par les rédactrices du site « je suis féministe » est la position choisie.

    Il ne s’agit pas d’un « compromis » entre les deux positions.

    au moins un peu de clarté dans le propos aiderait tout le monde à bien comprendre les règles du jeux. Sinon, c’est limite de la manipulation.

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  • Daphné
    17 juin 2015

    La légalisation de la prostitution entraîne plus d’exploitation sexuelle. Je vois aussi une autre contradiction entre cautionner le corps des femmes comme une entité à louer pour le plaisir des hommes (la grande majorité des prostituées sont des femmes, et servent des hommes) et dire vouloir contrer l’instrumentalisation du corps des femmes. L’industrie du sexe véhicule des idées anti-féministes qui affectent toute la société. À l’image de celles-ci, ses pratiques demeurent dommageables pour les femmes, fait qui demeure après légalisation. Déçue de la position de QS; j’aurais pensé/espéré qu’elle adopte le modèle suédois, qui me semble plus compatible avec les idéaux de société féministes.

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  • Mr Whorhag
    23 juin 2015

    Les féministes abolitionnistes répandent des tissus de mensonges sur les réseaux sociaux à propos de Québec solidaire qui a choisi une 3ème voie : « ni abolition, ni légalisation » en écho à la position de la FFQ sur le foulard islamique (« ni obligation, ni interdiction »). Le fait que la position du parti sur le TDS/prostitution soit critiquée et par certaines abolitionnistes et par certaines TDS est très bon signe. Voici les résolutions adoptées à une écrasante majorité par Québec solidaire :

    Québec solidaire s’assurera que toutes mesures, législatives ou autres, qui visent à encadrer la prostitution/le travail du sexe, priorisent les droits fondamentaux des personnes prostituées/des travailleuses du sexe (dont le doit à la vie, à la sécurité, à la dignité, et à la liberté) et que les conséquences de ces mesures ne portent pas atteintes à ces droits.
    Concernant ces droits, il faut :
    a) reconnaître et appuyer les personnes prostituées/travailleuses et travailleurs du sexe en tant qu’actrices et acteurs principales des changements sociaux, politiques et législatifs les concernant;
    b) déjudiciariser les personnes prostituées/travailleuses et travailleurs du sexe, ainsi que les tierces-personnes qui jouent un rôle sécuritaire, et dénoncer toute forme de harcèlement et de profilage par les services policiers;
    c) lutter dans le but d’éliminer la violence, l’exploitation (notamment par les proxénètes) et l’absence de plein consentement qui peuvent être présentes dans la prostitution/le travail du sexe;
    d) mettre en place et favoriser le soutien social et des alternatives économiques à l’entrée dans la prostitution/le travail du sexe ainsi que pour les personnes qui souhaitent en sortir;
    e) sensibiliser et éduquer la population, et les hommes en particulier, quant à :
    i. la stigmatisation que peuvent vivre les personnes prostituées/travailleuses du sexe;
    ii. les risques de violence contre ces personnes et le harcèlement dont elles peuvent être victimes;
    iii. le risque de violence et de harcèlement contre d’autres personnes qui ne sont pas prostituées/travailleuse du sexe, par exemple des femmes qui se font aborder pour services sexuels dans les rues de certains quartiers;
    f) favoriser et soutenir les initiatives visant à mettre en place une cohabitation harmonieuse entre les personnes prostituées/les travailleuses et travailleurs du sexe et les citoyen-ne-s résidant dans les quartiers où ces activités se déroulent;
    g) promouvoir des recherches-actions sur la situation des personnes prostituées/les travailleuses et travailleurs du sexe
    h) soutenir des personnes prostituées/des travailleuses et travailleurs du sexe qui veulent s’organiser et définir leurs besoins.

    Québec solidaire :
    a) reconnaît que la prostitution/le travail du sexe constitue à plusieurs égard un problème social;
    b) considère que la recherche de solutions doit se faire dans un contexte non-partisan;
    c) entend mettre en place les conditions nécessaires à l’obtention d’un consensus social sur les mesures à instaurer dans ce domaine;
    d) participe activement à la recherche de ce consensus sur la base de ses valeurs progressistes et féministes.

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