La « beauté intérieure » : une fausse bonne idée

***Ce texte a été préalablement publié sur le blogue De colère et d’espoir***

Le féminisme pop s’est emparé du sujet de l’estime de soi, de la diversité des apparences (tant qu’elles ne sont pas trop diversifiées) et de l’amour de son propre corps. Une de ses trouvailles : la « beauté intérieure ». Quand une femme ou une fille n’aime pas son apparence physique, on lui dit que « ce qui compte vraiment » c’est ce qu’elle a à l’intérieur, on la rassure en lui promettant qu’elle est « belle en dedans ». Ne pouvait-on pas trouver mieux? Qu’est-ce qu’on peut entendre par « beauté intérieure »?

Commençons par le plus évident : parler de beauté pour qu’on parle moins de beauté… c’est un peu raté. On ne peut pas dire que l’importance qu’on doit accorder à la beauté est réellement diminuée par ce discours – c’est plutôt un simple déplacement. La beauté, c’est encore l’apparence. Si la « beauté intérieure » ne nécessite pas qu’on s’applique du poison sur le visage, qu’on porte des souliers déformants ou qu’on s’arrache certains poils pour en faire rallonger d’autres, elle réside tout de même dans le regard des autres. La beauté, c’est la manière dont on parait et dont on est jugée. C’est aussi notre degré de conformité avec des standards arbitraires et patriarcaux.

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Plus encore, cette expression crée une dichotomie « beauté intérieure » versus « beauté extérieure ». L’utilisation de « mais t’es belle en dedans » qui suit de près l’aveu d’un complexe quant à son physique renforce l’idée selon laquelle ces deux types de beauté s’opposent. Ainsi, les femmes qui sont « belles de l’intérieur » sont à coup sûr moches et grosses, et celles qui correspondent aux standards de beauté actuels sont forcément méchantes, ou niaiseuses, ou jalouses. La plupart des films populaires vous le confirmeront : il y a la fine et la supercanon – et elles sont, bien sûr, en compétition pour la considération du gars. C’est bien connu, les femmes « on ne peut pas tout avoir ».

Pourquoi ne pas explorer les alternatives? On pourrait se féliciter d’avoir de la personnalité ou du caractère, être fières d’être intelligentes, courageuses, aimables, justes… La personnalité, c’est précisément ce qui définit la personne : on est et on a notre personnalité, peu importe qui regarde. C’est ce qui fait de nous un être unique. Avoir du caractère, c’est ce qui nous permet de tenir tête aux autres, de mettre nos idées de l’avant, de nous démarquer. « Elle a du caractère », ça me donne envie de la rencontrer. C’est réellement positif, voire subversif sur les bords. En comparaison, avouez que la « beauté intérieure », ça sonne beaucoup trop comme un prix de consolation.

Il y a deux manières de rendre le concept de beauté subversif et revendicateur. Et soit dit en passant, la mode à la sexualisation des femmes légèrement grosses – mais toujours blanches, maquillées, sans handicap, et rasées de près « au naturel » – n’en fait pas partie. On peut, au choix, s’en débarrasser ou le redéfinir. Célébrer la beauté des femmes noires, handicapées, « masculines », par exemple, permet de se réapproprier une arme patriarcale au profit d’identités et d’apparences marginalisées. Plus radicalement, on peut décider qu’on n’a pas besoin d’être belles, que la beauté n’importe pas. Bien sûr, c’est un mensonge partiel : dans notre société, être belle est important. Mais on peut tenter d’en faire une vérité chez nous – un travail de tous les instants. Par contre, rajouter encore une autre modalité de l’expression de la beauté des femmes me parait contre-productif. L’industrie de la beauté est experte à élargir le champ des possibles en matière de complexes : couleur de la vulve, longueur des cils, consistance des seins, largeur des chevilles, coiffure post-accouchement… Sa créativité est sans limites. Elle n’a pas besoin que le féminisme lui donne un coup de main.

Suzanne Zaccour

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