«Est-ce que vous avez dit, pardon, une invitation pour aller prendre un verre ?»

Hier, je lisais dans le Devoir que, selon une étude ESSIMU, une personne sur trois aurait été victime de violence sexuelle depuis son arrivée à l’université. Plus tard sur facebook, je tombe sur l’entrevue qu’une des chercheuses de l’étude, Sandrine Ricci, a accordé à Paul Arcand en matinée.

Un tiers des cas, de répondants, qui disent avoir subit de la violence sexuelle à l’université. Ça nous parait hors proportion.

Paul Arcand

Croyant probablement faire le pont entre ses auditeurs et la chercheuse, l’animateur tente cette posture du faux-centre : cette position antagoniste à l’invité, extrêmement populaire dans nos médias, qui consiste à donner l’impression de faire du bon journalisme d’enquête en essayant de trouver de fausses failles, sur un ton dramatique et faussement impliqué.

Entendons-nous : il est totalement justifié qu’on demande à madame Ricci qu’elle est la définition de « violence sexuelle » utilisée pour l’étude. Il aurait été tout aussi justifié qu’on lui pose des questions sur sa méthodologie ou sur le genre de questions qui ont été posées.

[ …]des attentions sexuelles non-désirée, un ensemble de geste, qui vont d’une invitation à prendre un verre à des remarques qui mettent les gens mal à l’aise sur leur physique…

-Sandrine Ricci, définissant les différentes catégories de violence sexuelle considérées pour l’étude.

Est-ce que vous avez dit, pardon, une invitation pour aller prendre un verre ?

-Paul Arcand

Et oui ; le reste de l’entrevue, assez longue, consistera à définir si oui ou non une invitation pour aller prendre un verre constitue une forme de violence sexuelle valable.

Voyez-vous monsieur Arcand, je doute fort que madame Ricci, doctorante en sociologie, ait fait cette étude ESSIMU pour vous permettre, en ondes, d’exposer votre vision de ce qu’est de la violence sexuelle et, par le fait même, de décider « qu’inviter quelqu’un à prendre un verre » ne rentre pas dans le cadre.

Ce qu’expose ici madame Ricci, c’est la perception de milliers de personnes, majoritairement des femmes, qui sont nerveuses de rentrer dans leurs salles de cours, qui ont peur de marcher dans certains corridors et qui perdent énormément de temps et d’énergie à gérer des désirs qui ne leur appartiennent pas au lieu de se concentrer sur l’essentiel.

Parce que oui, se faire inviter à prendre un verre par un professeur ou par un patron est une situation stressante pour beaucoup d’entre nous. Refuser des avances douteuses, à l’université, comme au travail, fait partie du quotidien de beaucoup de femmes. Et oui, gérer des relations suffocantes suite aux refus des avances douteuses aussi.

Vous n’étiez pas dans l’obligation de donner une entrevue à madame Ricci. Vous avez utilisé ses conclusions-chocs pour capter l’attention de vos auditeurs entre deux jingles. Vous avez utilisez la violence contre les femmes pour vous faire du code d’écoute.

Et ça, c’est particulièrement bas.

Merci pour cette opportunité ratée.

Merci pour ces questions journalistiques essentielles qui n’auront pas été posées. À quoi associez-vous un taux aussi élevé de violence sexuelle à l’université ? Quelles sont les pistes de solution que vous proposez pour régler le problème ? Quel est le pourcentage de personnes, qui selon vous, ont refusé de témoigner ? Croyez-vous que des procès comme celui de Ghomeshi incitent les victimes à garder le silence ? Parce que dans ce contexte, j’ai bien peur que l’expression « majorité silencieuse » prenne ici tout son sens.

Coordialement pas des vôtres,

Isabelle Montpetit Comédienne et scénariste

Note: Ce texte a été publié sur la page Facebook de l’auteure et qu’il a été envoyé à l’équipe d’Arcand

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