Lettre ouverte suite à l’événement transphobe à l’UQAM vendredi dernier

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Aujourd’hui a eu lieu une conférence du département de sociologie [NDLR : après vérification, il semble que ce soit l’initiative non pas du Département, mais du collectif Société] à l’UQAM portant le nom de  «  Sexes, genres et transidentités : réflexions critiques ». En tant qu’universitaire et en tant que femme trans, j’ai eu l’occasion de lire de nombreux textes qui cherchaient à critiquer le mouvement trans en évoquant la liberté intellectuelle et la nécessité de combattre « l’idéologie progressiste » qui voudrait qu’on accepte toutes les idées trans sans jamais avoir de débat. Traditionnellement, ce genre de débat est mené par des personnalités solides et charismatique qui ont souvent une argumentation qui, malgré leur côté transphobe, est difficile à déconstruire.
C’est un peu à ce genre de conférence que je m’attendais. Aussi, je m’étais dit, en tant qu’universitaire, que j’allais m’y présenter avec toutes mes compétences intellectuelles et rhétoriques pour exposer ses biais. J’étais nerveuse, parce que, ayant souvent débattu avec des personnes qui tenaient ce genre de propos, je savais qu’elles avaient souvent un talent pour avoir l’air intelligentes et pertinentes tout en disant les pires atrocités. Pourtant, ce fut loin d’être mon expérience.

D’abord, il y avait les lectures proposées. Celles-ci étaient, bien sûr, tout à fait transphobes. Cependant, loin de la transphobie insidieuse et subtile qui donne l’impression d’un discours éclairé, c’était plutôt des textes décousus qui exprimaient une vague menace transgenre sans jamais vraiment la définir, poussant même le ridicule jusqu’à comparer les personnes trans aux changements climatiques pour des raisons aussi décousues que non-fondées.
Une fois sur place, je m’attendais à une salle remplie de personnes prêtes à être influencées par son « débat d’idée ». Je m’attendais à ce que, par ma présence et par mes arguments, il y aurait sans doute des personnes que je puisse convaincre du ridicule des arguments présentés. Pourtant, ce ne fut aucunement le cas. La salle était bien bondée, mais bondée en très grande majorité par des protestataires, reconnaissables par leur appartenance aux mouvements LGBT et Queer de Montréal. Les seules personnes qui ne correspondaient pas à ce profil étaient des vieux professeurs poussiéreux, véritables icônes de leur tour d’ivoire.

La conférencière elle-même, que j’aurais imaginée grande, charismatique et habile de ses mots, s’est avérée encore plus décevante pour mon imaginaire rhétorique. Petite, tremblante, la voix éteinte et fragile, il était évident qu’elle n’aurait pas le dos assez solide pour supporter la moindre critique. D’entrée de jeu, la voix vacillante, elle a prévenu qu’elle ne voulait pas entendre de protestation avant la période des questions et qu’elle préférait que toute personne qui était en désaccord et qui souhaitaient l’exprimer sorte de la salle. Bien évidemment, le public, qui était remplie de protestataires, lui fit savoir assez rapidement que ce ne serait pas le cas.

Malgré tout, et suite à quelques rappels à l’ordre des organisateurs, elle entreprit d’expliquer sa démarche. Son intérêt pour ces questions remontait à loin, nous dit-elle, puisque il y a 20 ans déjà, elle avait produit un court métrage pour dénoncer les « dérives transgenre ». Son court-métrage, nous a-t-elle raconté, portait sur « un homme déguisé en femme » qui portait une poupée dans ses bras. C’était, selon elle une façon artistique de montrer comment « certaines personnes sont incapable de s’accepter comme ils sont ».
D’entrée de jeu, ce simple aveu en apparence anodin fut pour moi comme un coup de poing au visage. Elle n’avait pas encore présenté sa première diapositive que déjà elle nous révélait que selon elle, les femmes trans, c’est-à-dire moi et toutes les autres femmes trans qui étaient présentes dans cette salle, n’étions que des hommes délirants qui vivaient dans l’illusion. Par ces seuls mots, elle a dressé un portrait qui était d’autant plus blessant pour moi dans mon intimité que, lors de mes propres démarches de questionnement et de transition, une femme trans envers qui j’avais beaucoup d’admiration et de respect avait produit un court-métrage très similaire où elle se mettait en scène avec une poupée afin d’exprimer sa tristesse de savoir qu’elle ne pourrait jamais porter un enfant et ce cours métrage avait eu un grand impact sur moi et sur mon questionnement.

 

C’est ainsi que, malgré le fait que je m’étais jurée de me contenir jusqu’à la période des questions afin de déverser sur elle mon savoir-faire académique, je n’ai pas pu m’empêcher de rejoindre les protestations. Parce que face à une attaque aussi évidente contre mon vécu le plus intime, prendre une distance académique m’étais tout simplement impossible.
La suite, bien que prévisible, fut tout aussi laide et peu glorieuse. C’est ainsi que, face aux protestations soulevées par son propos, elle déclara que les personnes transgenre l’attaquaient dans son identité de femme. Plus encore, elle déclara même que Caitlyn Jenner, une femme qu’elle n’avait très certainement jamais rencontrée, était une menace à toute son identité par sa seule existence publique en tant que femme.

Devant les protestations grandissantes, mais tout de même assez contenues engendrées par ses paroles, la conférencière décida rapidement d’abandonner sa conférence puisque, selon elle, aucune discussion n’était possible. Et pourtant, c’était bien la discussion que nous étions venu chercher. Les vieux profs poussiéreux, décidément outragés qu’on ose remettre en question le cadre de cette conférence se sont mis à vociférer sur la liberté d’expression, exprimant plus de violence et d’agressivité qu’aucun protestataire n’en avait montré. Devant l’absurdité de la situation,  le public s’est mis à applaudir ironiquement ce débordement d’agressivité et le petit cocon formé par les organisateurs, la conférencière et les professeurs est rapidement sorti de la classe, dépité, sans aucun doute avec la ferme intention d’aller présenter la conférence dans une autre salle de façon incognito.

 

C’est ainsi que se termina la conférence « Sexes, genres et transidentités : réflexions critiques » avant même d’avoir commencé. Dans une tentative de dresser un portrait pathétique des femmes trans, de les peindre comme des hommes délirants n’ayant pas la légitimité de demander des droits, c’est sur elle-même que la conférencière a fait rejaillir le ridicule. La transphobie qu’elle a présentée n’était pas une transphobie triomphante, charismatique et dangereuse, mais plutôt une transphobie fragile, poussiéreuse et souffrante.

 

Au final, il faut admettre qu’elle aura réussi à démontrer ce qu’elle voulait démontrer. Les « violents transgenre » l’auront empêché de donner sa conférence par leur seule présence dans la salle en tant qu’êtres dotés d’émotions. Malgré la violence intime qu’elle a fait subir aux femmes trans par ses propos, malgré l’humiliation du portrait « théorique » qu’elle cherchait à dresser, elle aurait voulu qu’on l’écoute jusqu’à la fin et qu’on entende sa souffrance. Parce que, de toute évidence, elle portait en elle une immense fragilité que la seule existence des femmes trans venait menacer. Sa conférence n’était pas destinée à être entendue par nous. Elle devait être partagée avec d’autres personnes fragiles, qui, comme elle, ne peuvent pas supporter notre existence et ressentent le besoin de la remettre en question. Elle aura finalement réussi à se faire passer pour la pauvre victime souffrante en se contentant de répéter les mêmes stéréotypes désuets que j’ai portés en moi toute ma vie et qui me font encore souffrir dans mon quotidien.

J’aurais aimé entendre ses arguments. J’aurais aimé être une grande universitaire académique capable de débattre froidement des enjeux les plus importants. Mais dans cette salle, devant cette conférencière désarçonnée de nous voir, je n’étais plus que cette femme trans délirante qu’elle tentait de dépeindre. Et ma colère, lorsqu’elle s’ajoutait à la colère légitime de tous les autres protestataires, n’était plus qu’une arme à retourner contre moi et contre toutes les autres femmes trans présentes dans la salle.

 

J’aurais préféré qu’elle soit plus forte. J’aurais préféré que son public lui soit plus sympathique et que ses arguments soient mieux entendus. J’aurais préféré qu’elle ait eu une chance de se battre parce que ça aurait été notre seule chance de sortir gagnants ; de lui montrer notre intelligence, notre sensibilité et de lui faire voir que nous ne sommes pas une menace pour elle ou pour son public. Nous sommes des femmes, avec un vécu intime et une fragilité humaine au même titre qu’elle et n’importe qui d’autre. Nos droits méritent d’être respectés pleinement sans être dépeints comme une attaque à l’intimité ou à la féminité des autres femmes. Nous ne sommes pas des armes ou des arguments politiques. Nous ne sommes que des femmes.

 

**Par souci de transparence, l’équipe de Je suis féministe tient à mentionner que cette lettre se retrouve également sur le site web de Les 3 sex, ici. Il semble que nos deux médias en ait obtenu copie et ait publié au même moment sans savoir que l’autre y avait accès. Tout est clair entre nos entités, n’ayez crainte. L’important, c’est que le message passe!

10 Comments

  • Alexa Conradi
    7 novembre 2016

    Merci d’avoir pris le temps de nous raconter ce qui s’est passé pour vous lors de cet événement anti-trans.

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  • Martin Dufresne
    7 novembre 2016

    Je salue pour son courage la féministe qui a tenté de donner sa conférence à l’UQAM malgré l’attaque dont on fait ici l’apologie, en allant jusqu’à blâmer la femme agressée d’avoir semblé « fragile » et « poussiéreuse » (belle illustration de « blâme de la victime »*).
    Les enjeux qu’elle a tenté de soulever dans ce forum (sécurité des femmes, droits des enfants, des gais et des lesbiennes, liberté de parole, résistance aux stéréotypes, et analyse féministe, entre autres) sont pourtant suffisamment importants pour que l’on n’applaudisse pas sans contrepartie un cas évident de censure. Il n’est pas sans rappeler les années 30 où une montée du fascisme amenait des gens à interrompre des conférences d’enseignants diabolisés dans les universités allemandes. Les droits des personnes trans elles-mêmes dépendent d’une attention exigeante aux dérives qu’elle a tenté de signaler à l’UQAM.
    *JE SUIS FÉMINISTE a récemment publié des textes où des autrices comme MAGENTA parlaient du sentiment de culpabilité associé à la peur. Ne serait-il pas pertinent de manifester autre chose qu’un mépris assez masculin pour les femmes intimidées de la sorte?

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    • Diane Lanctot
      8 novembre 2016

      Rappelons-nous qu’en allemagne nazie, une des premières actions du régime fut de fermer une clinique destinée à aider les femmes trans dans leur transition médicale. Les données de recherches du médecin furent brûlées, et le médecin (juif) Magnus Hirschfeld fut condamné à l’exil. Comme quoi, la marginalisation des femmes trans et le comportement et la méfiance envers un genre qui diffère du sexe est partie prenante de la montée du fascisme.

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  • Julie Hermann
    7 novembre 2016

    Bravo pour ce texte! C’est très touchant de vous lire.

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  • Marie-Julie
    8 novembre 2016

    Merci pour les faits et le style touchant. Merci de partager votre vulnérabilité. La réalité est souvent beaucoup plus nuancée que certains voudraient le faire croire. Et surtout, mon soutien à tous et toutes qui cherchent une paix intérieure et à être qui ils sont vraiment.

    J’ajouterais par contre que le caractère ad Hominem, soit l’attaque de personnalisée de la conférencière me fait drôlement penser à ce que vous lui reprochez… vous lui faites porter le blâme du manque de contrôle de la salle et des personnes qui la soutiennent… Certes ses idées sont déplorables mais même les vieux et les fragiles ont droit de pensée. Critiquons la pensée et non les gens…

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  • Anon
    8 novembre 2016

    Cette conférencière ne semble rien d’autre qu’un fraude académique. Comment est-ce possible de débattre d’idée lorsque le terrain est complètement biaisé envers une des parties. Si la conférencière avait vraiment voulu permettre un débat, elle n’aurait pas une prémisse aussi biaisée et offensante. Surtout que la science a déjà prouver que OUI, ça existe des personnes trans alors qu’on arrête d’essayer d’en nier l’existence en disant toutes sortes de conneries…

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  • Karine Espineira
    8 novembre 2016

    Merci de ce partage. Je me retrouve beaucoup dans ce que tu écris comme femme trans et universitaire face à des gens que je fais « sourire ».

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  • Johanne St-Amour
    9 novembre 2016

    Extrêmement désolant cet article! D’abord, les accusations de transphobes, démontrent une position évidente d’être incapable de recevoir un autre point de vue que le sien. Deuxièment, je serais parfaitement étonnée que Rhéa Jean, la conférencière en question, ait parlé d’hommes délirants! Ce n’est pas son genre et de plus, j’ai assisté mardi passé à sa conférence au Cegep Garneau à Québec et elle n’a jamais insulté personne. Mais des transgenres aime bien déformer les propos pour se donner raison. Troisièmement, protester avant la fin de la conférence, surtout que la conférencière l’avait demané, était franchement antidémocratique! Et quel est le but de décrire physiquement la conférencière? Une autre façon de la dénigrer?

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  • LunaG.
    9 novembre 2016

    Tout d’abord, j’aimerais souligner qu’il n’y avait pas que les vieux professeurs poussiéreux d’un côté et la communauté LGBT et Queer de l’autre. Effacées par la tournure des événements, des auditrices et auditeurs comme mes amies et moi étaient aussi venues assister à la conférence. D’ailleurs, cela peut tout aussi bien être le cas, pour certaines personnes présentes s’identifiants comme queer ou trans. et qui n’ont pas pris part à la confrontation.
    Les interventions visant à déranger ou empêcher la conférencière d’exposer sa pensée ont pris la forme d’une violente appropriation du devoir réflexif et critique des auditrices et auditeurs. La conférence n’ayant pas eu lieu, c’est la possibilité de juger par soi-même des propos de la conférencière et de l’accusation de transphobie qui a été retiré à tous.
    J’aimerais d’ailleurs souligner qu’au regard des textes proposés, il semble que la conférencière puise dans un féminisme bien établi pour sa propre critique de la pensée et de l’activisme queer. Plus précisément, les trois textes partagent une référence explicite au féminisme radical et l’idée que le genre doit être compris comme socialement construit. Le même type de réflexion critique qui anime Sabine Masson et Léo Thier-Vidal dans leur entretien sur le queer. Semblable aussi à la critique sous forme de mise en garde contre la dépolitisation du féminisme de Francine Descarries. Je crois que les précisions et les rapprochements précédents prennent leur valeur par rapport à l’accusation de transphobie. Comme le souligne le texte Jensen proposé par la conférencière, le féminisme radical par sa critique de l’idéologie trans offre une voie alternative pour la critique du patriarcat, des normes de genres, de l’oppression systémique et, cela sans pour autant s’attaquer aux individus s’identifiant comme trans.
    Sans la prise en compte de cette dernière distinction, qui devrait être vérifiée chaque fois que l’occasion se présente, le discours des féministes radicales me semble condamné a priori. En conclusion, l’entretien Pour un regard féministe matérialiste sur le queer exemplifie selon moi une reconnaissance de la pensée queer tout en prenant la forme d’une critique réciproque. Forme qu’aurait pu prendre la conférence si elle n’avait pas été condamnée par avance.

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