Pardonnez-moi, ma soeur, parce que j’ai péché!

***Ce texte a été préalablement publié sur le blog de l’auteure***

Tout a commencé lors d’un souper bien arrosé où j’ai perdu le compte de mes coupes de vin. Un ami nous montra la photo d’une femme avec qui il avait soupé la veille dans l’espoir de trouver la bonne ou un match pas trop pire. C’est à ce moment que la phrase « Elle à l’air d’une danseuse! » est sortie de ma bouche. Non pas parce qu’elle donnait l’impression d’avoir un agréable sens du rythme ni parce qu’elle semblait détentrice d’une flexibilité incroyable, mais parce qu’elle portait un décolleté plongeant sur deux seins énormes et refaits.

 

Le lendemain matin, la scène me revenait. Je sentais encore le jugement qui m’avait traversé. Je me demandais comment moi, qui écris des textes sur l’instrumentalisation du langage et sur la domination des femmes dans le milieu des clubs, ai pu dire une chose aussi ridicule que : « Elle a l’air d’une danseuse ! ». Ouach! J’ai lavé ma langue avec de l’eau de javel, fait 60 push-up et allumé des lampions dans l’espoir de ne pas trop perdre de points karmatiques. Dans mon discours, j’ai réduit une femme à sa simple enveloppe. Même si je sais que des implants mammaires n’enlèvent rien à la matière cérébrale de celle qui les porte. Même si je sais que danser n’enlève rien à l’intelligence de celle qui gagne sa vie comme elle le veut. J’ai prononcé des mots dégradants, d’une manière vulgaire, parce que j’étais choquée, parce que je suis entrée dans « le jeu » social où la femme n’est qu’un corps.

 

À ce souper, j’ai entendu un homme: « Si les filles sont bitch en voyant une autre fille, ça veut dire qu’elles sont jalouses et donc, que cette fille est belle. » Je crois qu’il avait raison. Reste quand même que cette phrase, sortie de la bouche d’un homme, m’a fait l’effet d’un doigt dans l’œil. C’était violent, comme seule la réalité peut l’être. Diviser pour mieux régner, ça vous dit quelque chose ?

 

En effet, de par le discours invisible qui traverse notre société, nous, les femmes, sommes souvent jugées en fonction de notre apparence. Les médias passent leurs journées à nous faire dire « Je ne suis pas assez! », dans l’espoir de nous vendre des rouges à lèvres, des mascaras et des crèmes revivifiantes antirides au complexe de chats des neiges biologiques séchés au soleil une année bissextile. Ça, s’est sans compter les films pornographiques qui font monter en flèche le nombre de complexes féminins et les rendez-vous chez le chirurgien plastique. Dans une société où l’on dit aux jeunes filles que la princesse était la plus belle du royaume et que c’est grâce à son esthétique qu’un prince est venu la sauver d’une mort certaine, nous ne devrions pas nous étonner de voir augmenter le nombre de victimes de troubles alimentaires. Tout comme je n’étais pas étonnée l’été dernier d’entendre mes collègues de 19 ans, avec leurs faux seins énormes, discuter de leurs prochaines chirurgies : augmentation des lèvres, raffinement du nez, liposuccion des cuisses. 19 ans! Probablement dans le top 10 des plus belles filles que j’ai jamais vues: grandes, minces, jeunes… Mais pas assez. Jamais assez!

 

En essayant de faire rouler l’économie capitaliste en réduisant les femmes à leur corps, on les monte les unes contre les autres. Parce que la seule qui se fait sauver, c’est la plus belle du royaume. Parce qu’il est important d’être compétitive, d’être baisable, d’être sexy, en plus d’être intelligente, de concilier travail et famille, d’être bonne cuisinière, d’être carriériste… Et j’en passe. Une bonne consommatrice est complexée, ça, les publicistes l’ont compris. En plus, on s’assure que les femmes se bitcheront sans penser à s’unir pour sortir de ce piège qui, souvent, devient obsession.

 

Ma réaction devant ses faux seins n’avait rien à voir avec elle, cette femme que je ne connais pas. C’était mes propres peurs qui s’exprimaient. C’était mes craintes de ne pas « être assez » devant un corps qui avait abdiqué, qui s’était fait ouvrir, puis refermer. Un corps recousu au nom de l’apparence. Je me suis « défendue » contre une fausse menace parce que cette fille ne me veut aucun mal et qu’elle ne me connaît même pas. Je me suis rassurée en rabaissant l’autre : « Moi, au moins, j’ai l’air d’une fille respectable! » Ouach! Le pire, c’est qu’en le disant, je me suis crue. Comme si, moi, personne ne m’avait jamais jugé sur mon apparence : n’importe quoi !

 

Je ne suis PAS en train de pointer du doigt les femmes qui choisissent de subir une intervention chirurgicale au nom de leur beauté physique. Je pointe du doigt les discours qui nous poussent à dépenser 10 000 $ en implants mammaires plutôt qu’en voyage, qu’en mise de font pour une maison ou qu’en investissements dans notre propre business. Je pointe du doigt ce qui nous pousse à nous voir comme des enveloppes, à ce qui nous pousse à nous voir comme des ennemies. À ce qui fait dire aux hommes : « Les filles se bitchent! » Parce que ça leur donne l’impression d’être plus matures, d’être supérieurs. Parce qu’on est encore prise dans la honte d’avoir mal réagi, d’être rien qu’une « jalouse ». J’en veux terriblement à ce système qui nous enferme dans le regard de l’homme pour nous faire acheter en bousillant notre confiance, en jouant avec notre estime personnelle. J’en veux à toute cette violence, perverse et discrète, qui se cache habilement derrière les images de mode. Je m’en veux de tomber, encore, dans le piège en sachant qu’il existe… Mais bon, Rome ne s’est pas construite en un jour et on ne se débarrasse pas de ses démons en criant « Pomme grenade ! » Croyez-moi, j’ai essayé.

 

Je finirai en m’excusant auprès de cette femme et de toutes les autres que j’ai pu juger au cours de ma vie. Avec, ou sans implant, on est toutes dans le même bateau. Nous sommes toutes femmes, avec tout ce que ça représente de beauté, de complexité et de défis. Ensemble, c’est les mains que nous devrions nous tendre.

 

This is about : Girl Power!

🙂

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