Ah Virginité, quand tu me tiens…

Quand j’ai vu défiler sous mes yeux un article du magazine Le Point affichant « une jeune femme vend sa virginité 2,3 millions d’euros ». Je suis tombée en bas de ma chaise.

« Alexandra Khefren, 18 ans, a mis sa virginité aux enchères sur un site d’escortes allemand. Selon le site, de nombreuses jeunes filles souhaitent l’imiter. »

Je relis ces mots et je regarde longtemps le visage de cette fille qui a eu, selon moi, soit la pire idée au monde, soit la meilleure.

Je me demande, à la lecture de cet article, est-ce que la virginité a encore un prix en 2017 ? Je me replonge dans l’histoire, au temps des dots, de ces transactions de femmes exécutées par des hommes. On paye pour vous donner notre fille. Ce genre de choses est encore fréquent en Inde et en Asie.

Je pense à ce reportage que j’ai vu récemment : It’s a Girl. Je repense à toutes ces femmes violentées, mais aussi au potentiel monétaire qu’elles incarnent. Une indienne est interviewée dans le documentaire, rieuse, elle nous dit qu’elle a tué huit de ses enfants parce que c’était des filles. Choquant, mais réel. Si la femme avait eu une fille, elle aurait dû payer pour l’offrir à un homme, et l’argent, elle n’en n’avait pas. Cette situation a malheureusement encore lieu en Chine, en Inde, au Pakistan et en Afghanistan.

Je m’égare dans mes pensées et voilà que je pense à Fifty shades of grey. Drôle de lien, mais je me mets à réfléchir au fait que le personnage principal est vierge avant de rencontrer Grey. Je tente très fort de me rappeler autre chose de ce personnage, même son nom m’échappe. Rien. Mais comme le film traite principalement de sexe, ce dont je me rappelle, c’est qu’elle est vierge et que ça a de l’importance pour elle de le dire à cet homme violent, avant de passer à l’acte. Je me mets à chercher et je vois que les recettes de Fifty shades of grey s’élèvent à plus de 500 millions de dollars (Le Figaro, 2015). Force est d’admettre que le public a consommé massivement ce film. On peut chiffrer le montant déboursé pour voir une vierge se faire violenter à l’écran, et on nous voile le tout sous une romance trouble.

Je pense plus loin, je pense à Twilight et je revois la jeune et naïve Isabella choisie par un être extraordinaire. «Mince et molle », Bella se décrit elle-même comme une fille ordinaire qui se fond dans la masse. Elle semble toutefois avoir le je-ne-sais-quoi qui attire l’attention du mystérieux vampire. C’est à la toute fin des cinq films que je réalise que ce qui attirait le vampire :  la virginité de Bella. La jeune fille n’avait rien d’extraordinaire et d’attirant, cela dit, sa virginité avait de quoi attirer la bête assoiffée de sang. Je les revois « consommer leur amour » et je me dis que c’est fatal, Bella est automatiquement fécondée. Elle devra subir une grossesse horrible. Pire encore, l’accouchement la tue, mais son valeureux vampire la transforme au passage. La virginité de Bella lui coûte la vie. C’est du moins ce que je vois de ces films et de ces livres, et je frissonne en pensant qu’ils sont vendus à plus de 800 000 millions d’exemplaires.

Je me rappelle d’un livre très intéressant de Jessica Valenti, The Purity Myth: How America’s obsession with Virginity is hurting young women. Dans cet ouvrage choquant, l’auteure nous indique que le mot vierge est toujours synonyme de femme, que la culture, la religion et les croyances sociales influencent les rôles que la virginité et la sexualité exercent sur la vie des femmes.

Je revois la publicité d’Yves Saint Laurent montrant une jeune fille, habillée d’un costume de danseuse et de patins, inclinée sur un banc, suggérant fortement qu’on la pénètre. Je repense à sa taille de guêpe, je la vois habillée comme une enfant qui joue et qui vieillit trop vite, ou qui veut vieillir trop vite ? Qui l’a forcée à se pencher ainsi, à s’offrir ainsi ? Qu’est-ce qu’on essaie de vendre au juste?

Je me rappelle mon secondaire, d’une fille de mon secondaire, plus particulièrement. Je me rappelle les rumeurs à son sujet : une pute. Tout le monde portait de l’intérêt envers la sexualité de cette fille. Elle avait passé sur tous les gars de l’école, et plus encore. On savait qui, on avait des preuves et on la trouvait dégueulasse de faire ce que personne ne ferait jamais (yeah right). On n’osait à peine passer du temps avec elle, par risque de contagion ? À l’inverse, on ne se choquait pas d’apprendre que le beau Untel avait eu une nouvelle prise à sa ligne. Je me demande pourquoi est-ce qu’une fille est jugée plus sévèrement sur ses activités sexuelles qu’un garçon.12

Je revois l’article de la jeune Alexandra Khefren et je me demande pourquoi on en fait tout un plat. J’ai moi-même mordu à l’hameçon à la première lecture, mais maintenant je me questionne sur l’importance qu’on peut accorder à la virginité en 2017. Je vois des gens parler de féminisme et je les entends dire que les militantes n’ont plus vraiment à se plaindre. Je me dis à ce moment, et après la lecture de cet l’article, que le mot femme implique bien des compromis et des indéterminations. Vendre une virginité, c’est possible parce que les hommes et la société de 2017 estiment encore que la virginité est liée à la pureté et qu’elle a de l’importance. Quel est l’impact de ce mythe de la pureté sur la femme ? Est-ce qu’on peut parler de mythe ? En même temps, n’y a-t-il pas quelque chose de mythique dans l’achat de 2.3 millions d’euros pour une virginité ?

D’un côté, on nous présente des femmes émancipées dans des séries comme Girls ou Sex and the City, et d’un autre on nous présente des œuvres comme Twilight et Fifty shades of Grey. De quel côté devons-nous nous placer ?

En achetant une virginité, comme le disait Jessica Valenti, on achète une femme. Je ne peux pas m’empêcher de tout mêler : est-ce que la femme revient se poser au centre d’une transaction, dont un homme bénéficie au final ? Est-ce que la jeune Khefren a eu la meilleure idée en chiffrant ce dont une société mythifie inconsciemment ?

Ah, virginité, quand tu me tiens, tu m’embrouilles


Sources:

Davis, Evan Grae, It’s a girl, 2012, 64 min.

Mesqui, Pierre-Emmanuel, « 50 Nuances de Grey vers les 500 000 millions de dollars de recettes », LeFigaro.fr, 10 mars 2015.

Therin, Frédéric, « Allemagne, une jeune femme vend sa virginité 2,3 millions d’euros », Le Point.fr, 11 avril 2017.

Valenti, Jessica, The Purity Myth: How America’s obsession with virginity is hurting young women, Berkeley, Seal Press, 2009, 273 p.

 

 

6 Comments

  • Pop le banis
    15 avril 2017

    Dans mes jeunes années d’étalon, j’ai essayé de vendre ma virginité masculine….je me suis retrouvé avec une facture…
    Ces beaucoup plus facile pour une femme d’avoir du s.e.x.e que pour un homme, ces une question d’offres et demande. Un homme qui multiplie les conquêtes est vu comme un héros, un fonceur…ou un chanceux. Une femme, ont dit quelle en à profité et que le défi n’était pas très haut. Les bars sont une magnifique classe de sociologie abordable..

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  • Julie
    16 avril 2017

    Bravo et bien analysé, un questionnement juste et inquiétant.

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  • Anne L'Heureux
    16 avril 2017

    Quel bon résonnement. Une réflexion pacifique. Je me suis vu revivre mes premiers jours de travail dans un milieu non traditionnel pour les femmes en 2017 et j’ai 57 ans. Et je me demande toujours pourquoi je me rase.

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  • Élisabeth
    18 avril 2017
  • Camille
    18 avril 2017

    C’est toujours dérangeant et on se sent coincées dans ce système.

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  • Marie-Hélène
    20 avril 2017

    Très belle réflexion. Bravo!

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