Arrêt Jordan

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En gros, l’arrêt Jordan, ce qu’il dit aux victimes, c’est ça : le système judiciaire est trop lent – il l’est, c’est indéniable – alors si ça prend trop de temps avant qu’on fasse un procès aux présumés criminels, ces derniers pourront être libérés, peu importe ce qu’ils ont fait.

– Qui c’est Jordan? Un homme inculpé pour possession et trafic de drogue qui a reçu un verdict de culpabilité 49 mois après avoir été inculpé. 49 mois, c’est long. TRÈS long. C’est un peu plus de 4 années de ta vie à vivre l’enfer judiciaire. Et t’as même pas été condamné! Donc les avocats du gars sont allés en appel de sa condamnation, arguant que leur client avait fait face à des délais déraisonnables.

– Ils se basaient sur quoi pour dire ça? Sur la Charte des droits et libertés qui garantit que toute personne inculpée sera jugée dans un délai raisonnable… Et selon moi, c’est raisonnable comme droit. – Mais c’est quoi, un délai raisonnable? C’est ce que la Cour Suprême du Canada vient de trancher. Dans une mince majorité de cinq juges contre quatre, elle a statué qu’un délai raisonnable, c’était 18 mois pour les cours provinciales et 30 mois pour les cours supérieures. Si ces délais sont dépassés, on estime que les droits de l’accusé ne sont pas respectés.

– Et qu’est-ce qui arrive dans ces cas-là? Comme dans le cas de M. Jordan, de nombreuses condamnations et inculpations risquent ou sont en train de tomber à cause des délais. Des accusés et des avocats invoquent le dépassement des délais pour obtenir un arrêt complet des procédures. – Mais pourquoi les délais sont si longs?
Il y a plusieurs facteurs. Parmi eux, le manque criant de juges, mais le gouvernement traîne à en embaucher suffisamment.Mais en ce moment, est-ce que l’arrêt Jordan est actif? Oui. En voici quelques exemples.

1. Annulation du procès de l’ex-patron de la firme BCIA Luigi Corretti. Dans ce dossier, M. Corretti, qui a donné de l’argent à un ancien député libéral déchu, a été accusé de fraude, de fabrication de faux et d’usage de faux, mais n’a jamais été jugé. – Où sont les femmes là-dedans? Le gouvernement provincial se doit de nous représenter et de se garder d’enfreindre ses propres lois.
2. Annulation du procès d’un Hells Angel et de trois coaccusés. Richard Hudon, un membre fondateur du groupe de motards criminalisé, et trois autres présumés trafiquants sont sortis en hommes libres des accusations portées contre eux, et face auxquelles ils avaient plaidé coupable… Et ça fait deux fois que la police et l’État échouent à faire condamner M. Hudon. – Et les femmes? Disons que je laisserai le loisir à qui le veut de lire au sujet des femmes dans les groupes de motards criminalisés et sur ce que les femmes vivent lorsqu’elles deviennent dépendantes de drogues.
3. Annulation de procédures contre un Montréalais accusé d’avoir assassiné sa femme. Un meurtre « particulièrement violent », pour reprendre les mots de Radio-Canada sur le sujet. Et à raison : la jeune femme a été poignardée à de multiples reprises. De surcroît, l’accusé, Sivaloganathan Thanabalasingam, était connu de la police pour violence conjugale impliquant notamment des voies de fait et une agression à main armée. Pourtant, lorsqu’on a accusé M. Thanabalasingam d’avoir causé la mort de son épouse, ce fut pour meurtre « non prémédité »… y a-t-il plus prémédité comme meurtre que celui s’inscrivant dans un sillage de violence conjugale avec des coups et des armes? – le débat est ouvert –, et le seul suspect dans cette affaire est désormais libre comme l’air, sans même avoir eu à subir un procès. – Et personne n’a réagi? Tout ça a fini dans l’arène politique, où l’opposition a demandé au gouvernement d’intervenir. En vain, à tout le moins pour l’instant.

– Mais est-ce qu’il y aura beaucoup d’autres événements du genre dans l’avenir? Je ne suis pas devin, mais on peut penser que oui, car le 6 avril dernier, seulement au Québec, le Directeur des Poursuite criminelles et pénales avait reçu 805 demandes pour arrêt de procédures, dont 485 – plus de la moitié! – en matière criminelle. La multiplication des demandes allant dans ce sens n’aura sûrement pas pour effet d’alléger et d’accélérer le système judiciaire. Autrement dit, les délais ne disparaitront pas parce qu’un arrêt de la cour met de la pression sur les acteurs du système. – Alors l’arrêt Jordan, il sert à quoi? À faire respecter la Charte des droits. Les droits des personnes accusées, justement ou non, doivent être respectés. Je ne m’oppose pas à cela, bien au contraire. Je ne voudrais pas être mise en accusation et traîner le poids de ce genre de procédures des années durant avant de connaître ma sentence. Mais je crains une dérive du système qui non seulement ne sera pas moins engorgé qu’il ne l’était, mais qui le sera dorénavant au détriment de nombreuses victimes.

Alors oui, j’estime que d’aborder ce sujet, très grave sur le plan législatif, est essentiel, car nous avons déjà un tragique exemple des potentielles dérives auxquelles des femmes victimes de violence et d’agressions pourraient avoir à faire face avec le cas de cet homme qui a poignardé sa femme à mort. Car encore aujourd’hui, il est très difficile pour une femme de dénoncer un agresseur et d’être crue, puis soutenue, et enfin entendue jusqu’à ce que justice soit rendue. Il y a en fait très peu de victoires de ce genre, que 1% du 5% à 10% des accusations portées pour agressions sexuelles! Alors que penser d’un système de justice qui, désormais, libèrera nos éventuels meurtriers…?

En conclusion, je suis de cette proposition : désengorgeons le système des procès aux sans-abris qui somnolent dans un parc, des jeunes qui se bagarrent dans une rue, des plaintes entre voisins qui sont incapables de se supporter, et utilisons-le pour l’essentiel. Le reste, pour beaucoup, peut se résoudre en coopération et en médiation. Pas.des.meurtres. Ni des agressions violentes ou à caractère sexuel.

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