Dont’ call me babe – femmes et pouvoir à l’écran

Je lisais dernièrement un article qui s’intitule I Hate strong female character. À mesure que j’avançais dans la lecture de ce texte, je réalisais avec déception que l’auteure n’avait pas tort :

« No one ever asks if a male character is “strong”. Nor if he’s “feisty,” or “kick-ass” come to that.

The obvious thing to say here is that this is because he’s assumed to be “strong” by default. Part of the patronising promise of the Strong Female Character is that she’s anomalous. “Don’t worry!” that puff piece or interview is saying when it boasts the hero’s love interest is an SFC. “Of course, normal women are weak and boring and can’t do anything worthwhile. But this one is different. She is strong! See, she roundhouses people in the face.” »

Une femme forte est extraordinaire, parce que toutes les femmes dites « normales » sont faibles? Je trouve que l’auteure de l’article y va fort, mais je ne peux pas m’empêcher de trouver que l’équivalent masculin n’existe pas et que cela va de soi qu’un homme à l’écran soit fort.

Je cherche et je ne peux pas nommer un seul personnage masculin qui se place uniquement dans la boite du « Personnage fort ». En effet, cette force vient toujours avec une panoplie de traits de personnalité qui le rendent singulier.

Je pense à Sherlock Holmes et à l’exemple donné dans l’article : c’est un homme intelligent, vif, rusé, manipulateur, poly-toxicomane, alcoolique, romantique, autodestructeur, dépressif, etc. D’un côté comme de l’autre, comme nous le dit l’article plus haut, sa vulnérabilité le rend plus fort. Oui, parce qu’aucune énigme ne lui échappe malgré toutes ses faiblesses. On pense d’ailleurs au Capitaine America et on se dit : « Ah ! En plus, c’est un artiste sensible ! ». Ou à Rambo qui est un être profondément troublé par des souvenirs de guerre.

Et puis je regarde comment on présente des personnages féminins. Je regarde Fiona dans Shrek et je me dis, tout comme l’auteure de l’article, que c’est une sacrée combattante, elle connaît le Kung Fu ! Mais est-ce assez ? Que sait-on au sujet de Fiona ? Elle est gentille, elle crache par terre, elle pète, elle se bat, elle mange des choses horribles. Bref, Fiona est une ogresse, cela va de soi. Mais que sait-on de sa personnalité ? On sait à moment qu’elle rêvait d’un prince charmant… Je me répète, mais que sait-on de sa personnalité ? Fiona connaît le Kung Fu et nous surprend par sa force… Et elle aurait eu besoin d’un homme pour sortir de la tour et pour combattre le dragon ? Je me dis que Fiona est une ogresse, mais que c’est aussi une femme.

Je me tourne vers d’autres personnages féminins. Je pense à Katniss dans Hunger Games. Je la trouve très forte, elle tire à l’arc comme personne et elle sait se battre. Elle est déchirée entre deux hommes, elle n’hésite pas à se battre pour sauver les plus faibles ou les gens qu’elle aime. Elle a du courage… oui. Mais je ne peux pas m’empêcher de me dire que toutes les choses viennent à elle et non le contraire. Katniss répond à des situations de crise avec force… or, sa force est circonstancielle. Qui est Katniss en dehors des hunger games ? Le dernier film nous la suggère drôlement fade : Katniss est une mère de famille, une épouse aimante… Vraiment ? Pas une politicienne rusée, ni même une diplomate renommée ou encore une militaire de haut grade ? Nous avons eu affaire avec Hunger Games à un personnage féminin qui répond avec force à une situation dystopique quelconque, mais qui s’éteint lorsque tout est réglé. Elle est au fond une femme « normale ». Que reste-t-il de Katniss — de sa personnalité — après tout ?

Je me suis mise à regarder quelques personnages féminins dans les séries télévisées que j’aime. Je regarde Mindy Kaling dans The Mindy Project. Je la trouve brillante, complexe, drôle, talentueuse, manipulatrice, sensible, intelligente, tourmentée, insatiable… Et complètement folle. Cette nouvelle façon de montrer des personnages féminins forts et débalancés est quelque chose de plus en plus remarqué. En effet, comme le constate Heather Havrilesky dans un article du New York Times, plus les femmes sont astucieuses et capables à l’écran, plus il est probable qu’elles soient aussi complètement dérangées ¹. À la différence des personnages masculins qui bénéficient souvent de leur folie et qui réussissent à la transformer en force audacieuse et héroïque, les personnages féminins ont des défauts qui nuisent à leur force. Ainsi je regarde Mindy et je réalise que les capacités et les compétences qui la rendent singulières et intéressantes sont couplées avec une tendance bordeline et des troubles histrioniques ! À l’inverse, des folies comme celles de Don Draper, Walter White, Dr. House et Sherlock Holmes sont traitées avec assurance comme audacieuses, intrépides et même héroïques ². Force est d’admettre que l’instabilité est traitée différemment chez les hommes et les femmes…

 

«“If you don’t pull it together, no one will ever love you,” » disait une poupée Barbie à Mindy dans un épisode. Oui Mindy, n’agis pas en folle parce que les hommes n’aiment pas les folles ³.

 

Je trouve que c’est difficile de faire le point. Je me tourne finalement vers Claire Underwood et je me dis qu’il y a de l’espoir. Je la regarde et je vois une femme forte, certes, mais contenue, un personnage qui se place derrière son mari, qui ne parle pas beaucoup, mais dont le regard plombe sur toute l’action de la série. Le regard de Claire est partout et on le sent… On regarde cette femme qui a un appétit sexuel dévorant (pensons notamment au threesome entre Francis, elle et Meechum), une détermination de fer, une intelligence politique, un physique d’enfer et une discipline hors pair. Elle est le complément de Francis, cet homme politique assoiffé de pouvoir, fonceur, impulsif, émotif, éloquent, poétique… Claire est en effet silencieuse, dirigée, contenue, elle travaille dans les coins que Francis semble oublier… Ensemble, ils forment une équipe imbattable (ou presque).

Claire Underwood ne connaît pas le Kung Fu, mais elle dénonce publiquement son agresseur sexuel, appuie la lutte pro-choix et refuse dans la quatrième saison le simple statut d’épouse ! Professionnelle et calculée, Claire Underwood a certes ses failles, mais elle ne les laisse pas remettre en question son autorité ou son leadership. Pourrions-nous en dire autant de Katniss, de Fiona ou encore de Mindy ?

Je peux clairement concevoir Claire Underwood nous redire la phrase célèbre de Barb Wire « Don’t call me babe ». Je voudrais voir plus de femmes comme elle à l’écran. Claire Underwood est un personnage féminin fort et cette force n’est pas entravée par un trouble de la personnalité ou par des moments de folies qui discréditent toutes ses décisions.

Je me demande finalement pourquoi nous avons affaire à ce genre de situation. J’en viens à me demander si on ne doit pas écrire des rôles dédiés aux hommes, mais qu’on remettrait aux femmes. Ça nous donnerait plus de personnages comme Ellen Ripley de la tétralogie Alien. Des femmes qui agissent comme des hommes…

Enfin, je me rappelle cette phrase de Sherrie Inness : « for many people toughnes and feminity are antithetical ⁴».

Et je me dis que nous devrions déconstruire cette phrase, la briser avec notre force, notre folie, notre sensibilité et notre singularité. Je me dis qu’il y a du chemin à faire, mais que ce n’est pas peine perdue.

Qu’en pensez-vous ?

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¹Havrilesky, Heather , « Tv’s New Wave of Women : Smart, Strong, Borderline Insane », New York Times, 12 mars 2013.

²Ibid.

³Ibid.

⁴Inness, Sherrie A., Tough Girls. Women Warriors and Wonder Women in Popular Culture, Philadelphie, PENN, 1999, p.20.

2 Comments

  • Ada
    21 juillet 2017

    Je pense que Claire Underwood, aussi fascinante qu’elle soit, est un personnage dangereux et malin(evil).
    Quand Katniss devient mère de famille, elle délaisse les milieux du pouvoir que de toute façon elle démontre comme étant corrompus. Le rôle de mère, pour autant qu’il est « naturel » n’est-il pas encore celui qui demande le plus de force ?

    J’aime encore Clarisse dans le Silence des Agneaux (je sais, ça me date) et Rey dans Star Wars. Et bien sûr Ripley est un classique.

    Pour mes filles, Mulan est le meilleur Disney qu’elles aient jamais vu mais Dr. Louise Banks (The Arrival) les a bien impressionnées. Ainsi que les 3 muses dans Hidden Figures, qui leur a un peu fait prendre conscience du Privilege Blanc.

    Par contre, des mâles faibles, il n’y a des tas. Comment faire valoir le Mâle Alpha si ce n’est qu’en le contrastant a un paquet de connards peureux et en lui offrant des amis-role-de-soutient qui jamais ne pourraient avancer sans Lui?

    Pour nous – qui avons grandis avec tant de poupounes qui courent en talons hauts et sans brassières après leur homme – les personnages féminins forts sont encore « nouveaux »; mais elles prennent assurément de plus en plus de place. Laissons les entrer en scène, élargissons justement cette scène pour inclure la scène Noire, la scène Asiatique, Autochtone, Musulmane (je pense Persepolis) etc. Voyons ces façons d’être fortes que nous ne nous connaissons pas encore.

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

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