La transphobie ordinaire

La transphobie ordinaire, c’est se faire mégenrer tous les jours, à l’épicerie, à la pharmacie, au dépanneur, à l’école, dans la rue, par des inconnu-e-s qu’on n’ose pas reprendre parce qu’on a peur de leurs réactions, on a peur de déranger, on a peur de se faire tabasser ou même tuer. Se faire mégenrer par des personnes proches même s’iels sont au courant depuis longtemps. À chaque fois, ne pas savoir si ce sont des maladresses, des oublis, de la mauvaise volonté ou de la pure méchanceté. Avoir mal de ne pas savoir. Est-ce si compliqué? Je suis une personne trans non-binaire neutroise, mon pronom est « iel » et il suffit d’ajouter un « .e » à mes conjugaisons. Non, je ne veux pas qu’on m’appelle monsieur, gars ou dude. Mon identité est valide et je dois me battre chaque jour pour être pris.e un peu au sérieux.

La transphobie ordinaire, ce sont des ami-e-s de longue date qui t’ignorent depuis ton coming out trans ou qui te disent qu’iels ne t’ont jamais vraiment connu ou bien que tu resteras toujours le même, c’est-à-dire un supposé « homme biologique ». Des gens qui se sentent trahis ou sales d’avoir fréquenté une personne trans sans le savoir. Avant ou après ton coming out, tu ne fit tout simplement pas dans le modèle cisgenré binaire et on te le reprochera tous les jours de ta vie. Toujours trop ou pas assez, mais jamais comme il faut. Ton existence les dérange.

La transphobie ordinaire, ce sont des dizaines d’ami-e-s et connaissances Facebook qui te suppriment à cause de tes nouvelles conjugaisons et de tes posts transféministes. D’autres qui t’insultent en message privé et t’envoies des références de psychologues connu-e-s pour leurs propos transphobes. Des gens qui te regardent croche quand tu oses avoir les cheveux mauves ou être maquillé.e en public. Des hommes cis qui te disent dans un bar qu’ils auraient honte de s’habiller comme toi parce que tu portes un gilet de chat. La nuit commence à te faire peur. Tu sors moins. Tu t’isoles.

 

La transphobie ordinaire, c’est faire son CV et passer des entrevues en étant terrifié.e à l’idée de s’affirmer comme une personne trans ou bien essayer de le « cacher » et se sentir profondément mal. Savoir qu’on part en arrière à cause des préjugés transphobes de la société. Redouter de travailler dans le public et devoir se battre encore plus pour son intégrité et un minimum de respect. Subir de la dysphorie sociale en permanence dans ses milieux de travail. Être détesté.e ou ignoré.e par certain-e-s collègues cis. Travailler moins. Vivre sous le seuil de la pauvreté depuis bientôt dix ans.

La transphobie ordinaire, c’est d’être extrêmement sous-représenté.e dans la littérature, au cinéma, dans les séries TV, dans les arts, et quand on l’est, c’est trop souvent de manière spectaculaire et/ou objectifiante, comme une marionnette ou un objet de curiosité pour le politically correct. Se faire inviter en entrevue en tant qu’artiste, mais que toutes les questions tournent autour de ton identité de genre, de ta transition ou de ton statut « minoritaire ». Presque rien sur ta pratique artistique, ton œuvre, ton parcours et tes recherches. Ta singularité ramenée à ta seule personne, te reléguant automatiquement à un.e artiste des marges, en dehors de l’Art avec un grand A qui peut se passer de catégories.

La transphobie ordinaire, c’est de n’avoir aucune toilette publique attitrée à son genre. Se sentir mal dans les toilettes pour hommes. Se faire dévisager par les hommes cis quand on passe trop de temps devant le miroir à prendre soin de soi. Se faire juger comme un intrus ou un pervers dans les toilettes pour femmes. Faire face à l’incompréhension et à l’extrême violence des personnes transphobes qui trouvent que ce n’est pas un enjeu important pour la bonne vieille société québécoise. N’avoir sa place nulle part. Parfois se retenir d’aller aux toilettes pour éviter ces malaises.

 

La transphobie ordinaire, c’est d’ouvrir les grands journaux québécois et tomber régulièrement sur des articles transphobes principalement écrits par des hommes cis blancs privilégiés au max. C’est encore lire des articles féministes transphobes qui disent que les personnes trans vont trop loin ou sont des imposteur-e-s, que le transféminisme est un courant dangereux. Se faire exclure de certains groupes en raison de son identité trans. Se faire répéter que la socialisation masculine est déterminante et marque à jamais les comportements et pensées des personnes trans amab, sans aucune nuance et en rejetant les traumatismes, l’agentivité et la résistance. Se faire dire que nos luttes ne sont pas importantes. Que les enjeux trans seraient une nouvelle mode universitaire, ce qui invisibilise des siècles de vies de personnes trans. Effacer notre histoire de la grande Histoire. Devenir invisibles, tellement pâles qu’on ne se voit même plus dans le miroir.

La transphobie ordinaire, c’est de chercher les rares boutiques de vêtements qui ont des sections
« unisexe » tout en trouvant ce terme horrible qui met l’accent sur le sexe plutôt que le genre, ces magasins qui finalement commercialisent les personnes trans et non-binaires sans se soucier réellement de nos besoins. Nous ne sommes pas des marchandises.

La transphobie ordinaire, c’est l’accumulation de toutes ces petites et plus grandes agressions qui blessent, fatiguent et affaiblissent la santé mentale des personnes trans. Qu’on le veuille ou non, il faut y faire face tout le temps, tous les jours. On se fait une carapace qui dure un temps, mais est-ce suffisant? Il faut continuer d’en parler haut et fort. Éduquer. Dénoncer. Crier. Déconstruire les privilèges et préjugés genrés, sexistes, binaires et cissexuels. La lutte trans est une question de survie.

La transphobie ordinaire, c’est la complicité de tout le monde qui se ferme la gueule.


Crédit image : Max Fleishman (http://www.maxfleishman.com/), image prise sur le site : https://www.dailydot.com/layer8/north-carolina-hb-lgbt-trans-law-register-bathroom/

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