« Le féminisme » n’est pas une marque (de yogourt)

Ce texte a été écrit en réaction à l’article de Stéphane Mailhiot publié par L’actualité le 26 septembre 2017.

À noter : Ce texte parle d’un article qui se penchait sur les résultats d’un sondage relatif à la situation des femmes dans le monde. À part dans la section « A New View of Gender », les résultats du sondage reflètent une vision binaire du genre (homme et femme seulement) et une hétéronormativité flagrante. Je tiens à m’excuser aux personnes trans, non conformistes de genre et homosexuelles de ne pas parler de l’invisibilisation de votre réalité. J’aborde ici le texte de Stéphane Mailhiot avec un angle bien précis; ce texte pourrait être critiqué pour bon nombre de raisons supplémentaires.

Tout d’abord, je tiens à souligner qu’il y a plusieurs formes de féminismes, comme Elisabeth l’a si bien exprimé dans son texte. « Le féminisme » n’existe pas réellement; il est composé de plusieurs courants et points de vue et n’est pas monolithique.

Ensuite, je tiens à m’attarder sur l’insistance avec laquelle Stéphane Mailhiot qualifie « le féminisme » de « marque ». Voici la définition du mot « marque » selon le Petit Robert :

 [Acception no] 6 (1846) Marque de fabrique, de commerce ou de service : signe, nom servant à distinguer les produits d’un fabricant, les marchandises d’un commerçant ou d’une collectivité. […]

▫ (1948) Marque déposée (à l’Institut national de la propriété industrielle). Enregistrement, protection, propriété d’une marque. Marque de distributeur. 1. Enseigne. Produit commercialisé sans nom de marque (cf. Produit libre*).

[…]

Produits de marque, qui portent une marque connue, appréciée.

 

De façon générale, si on pense le féminisme en termes de propagation mercantile, Mailhiot a raison : le féminisme, en tant que groupe auquel on pourrait « adhérer », n’est peut-être pas le plus populaire. Mais dans les faits, ce n’est pas une marque ni un club sélect. C’est un concept et un mouvement complexe, comme la vie. Et si on recule dans l’histoire, il y a toujours eu des réserves à utiliser le « méchant » mot féministe : ce n’est pas étonnant, ça veut dire que la personne qui se l’accole revendique quelque chose, qu’elle veut souligner un aspect problématique.

Je tiens à le dire bien clairement : les différents types de féminismes ne forment pas une marque. Il y a des entreprises qui tentent de surfer sur la vague de popularité entraînée par les prises de position de diverses personnalités culturelles qui, elles, ont été déclenchées par divers.es intervenants.es qui ont passé des années à expliquer les facettes des courants féministes et les injustices vécues par les femmes et les personnes non conformistes de genre au fil des dernières années. Par exemple, Chimamanda Ngozi Adichie, Roxane Gay, bell hooks et Janet Mock ont beaucoup aidé à définir et à pousser plus loin le mouvement des féminismes. Mais le ou les féminismes ne constituent pas une marque : aucune entreprise n’est responsable « du féminisme ». Je me doute bien que Mailhiot, qui est certainement beaucoup plus versé que moi en marketing et en polissage de marque, ne voulait pas réellement dire que le féminisme est une vraie marque. C’est probablement juste une image. Mais comme il le dit bien, les mots sont très importants, alors je voulais juste faire un petit rappel, pour les lecteurs qui se limiteraient à l’affirmation selon laquelle « le féminisme » a un problème de marque.

Est-ce que les intervenants de la conversation sur les féminismes pourraient s’exprimer de façon plus concertée et cohérente? Peut-être. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que la plupart des regroupements féministes sont tenus à bout de bras par des bénévoles et des organismes communautaires, lesquels sont privés de financement en raison de la période d’austérité imposée par le gouvernement actuel dans les dernières années. Et de dire que « le féminisme » a un problème de marque, c’est complètement absurde et ça relève d’une vision mercantiliste et esclave du capitalisme au possible. On parle d’un mouvement social, là, pas de la nouvelle lubie de Gwyneth Paltrow (désolée pour les fans de Gwyneth; je n’en suis clairement pas). La marque qui engrange les profits, dans l’exemple absurde des t-shirts à 700 $ portant l’inscription « We should all be feminists », c’est Dior, une marque qui a eu son lot de critiques pour sexisme. Tant mieux si elle promeut la phrase d’Adichie, mais elle n’est pas le porte-parole du mouvement; aucune entreprise ne l’est.

Par ailleurs, les résultats du sondage indiquent que de façon générale, les gens souhaitent voir les mêmes avancées que la très grande majorité des féministes : une situation équitable pour toutes et tous. Qu’ils se disent ou non « féministes » ne change pas grand-chose à l’affaire. À la base du mouvement féministe, il y a l’idée que les femmes devraient avoir les mêmes droits que les hommes, et ce n’est toujours pas acquis. Dans les résultats globaux de Havas, on trouve cette phrase : « […] most women and around 4 in 10 men believe that modern-day women have rights but no real power ». Sur les enjeux de base (salaires équitables, plus de femmes à des postes de pouvoir, moins de sexisme et de préjugés de genre, etc.), le quidam moyen nous appuie complètement. J’en reviens à ce que je disais quand Marie-France Bazzo a affirmé qu’elle ne se disait pas féministe : Les gens ont le droit de se définir comme ils le veulent bien! Si on s’entend sur les avancées de base nécessaires, mais qu’on n’utilise pas le même terme, c’est déjà un bon début! L’idée, c’est que la situation globale s’améliore.

Personnellement, j’apprécie beaucoup le fait de pouvoir comparer les différentes réponses aux questions selon le pays des répondants (32 pays sondés), d’un point de vue sociologique. Mais il est très important de rappeler que les questions étaient destinées au monde entier. De plus, certaines questions me semblent partiales. Par exemple, la question vrai/faux suivante : « Gender inequality isn’t the fault of men; it’s the fault of women who don’t really want full equality ». Pourquoi la question était-elle formulée comme cela? Ce genre d’affirmation est tout sauf claire : que peuvent répondre les gens qui pensent que les inégalités ne sont ni la faute des hommes, ni la faute des femmes?

De plus, je trouve très étonnant que Mailhiot n’ait pas parlé des résultats de la question qui demandait si la situation est équitable pour les femmes, en général. Parce que ça aurait pu amorcer une super belle discussion. Mais non, au lieu de cela, il rapproche le féminisme au masculinisme… Les deux termes ont beau sembler liés, reste que les principes qu’ils sous-tendent et les analyses des racines profondes de la misogynie sont autrement plus convaincants que les accusations de folie des masculinistes… Et quelle est la pertinence de citer urbandictionary.com pour y pêcher certaines définitions? Le terme « féminisme » n’est pas un mot de slang! On parle d’un mot qui est utilisé à la grandeur de la planète, tant par des ouvriers.ères d’usine que dans des mémoires de maîtrise. C’est complètement absurde, et ça vient teinter ses commentaires sur les résultats de l’étude.

Ce sondage aurait mérité un texte d’une meilleure qualité et d’une plus grande rigueur.

— Sara Houle

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