Il était une fois…une langue sexiste

Allons-y, parlons féministe. C’est ce que nous exige le Dictionnaire critique du sexisme linguistique paru en août dernier. Il faut parler féministe, parce qu’il faut oublier les mots couverture, parce qu’il faut que la langue soit avec nous, la langue doit embrasser sa radicalité.

Non sans avoir aucune idée du sexisme contenu dans la langue française, le Dictionnaire critique du sexisme linguistique aura été la claque sur la gueule qu’il me manquait pour rendre compte de l’ampleur de la problématique. Si la lecture de ce collectif converge révélation sur révélation, c’est à l’entrée « suffixe » que se dessine les fondations très solides d’un français amoureux du masculin. Si le constat est que le féminin est plus souvent qu’autrement relégué au suffixe, il se dessine un tableau clair de la condition féminine dans l’histoire. La langue française a intégré en son noyau l’idée selon laquelle la femme vient de la côte de l’homme, étant son second, son serviteur. L’ornementalité des femmes prend tout son sens ici. L’homme se pavane, bijou à son bras, ce bijou qui lui revient de droit puisqu’il n’est qu’une extension de lui-même. Les femmes apprennent très jeunes à être de belle chose, à n’être qu’un objet. Cette femme « ornement » me rappelle La robe de Nelly Arcan, cette robe au décolleté plongeant qui lui causera l’humiliation suite à son passage à la télé. Cette robe comme le papier cadeau, comme l’enrobage de la chair promise.

Cette chair charcutée que fut celle de Nelly Arcan, me ramène à l’entrée « bouffe » où l’on mange les femmes des yeux. Le rapport à la chair et la nourriture dans le vocable sur les femmes est fascinant. La description du corps féminin traduit dans un lexique associé à la consommation des matières essentielles à la survie du corps humain est une abîme vaste d’où il est dur de sortir. Lorsqu’on se met à y réfléchir, on constate que l’on traite le corps des femmes de la même manière que l’on traite celui d’une bête. Cette entrée me fait penser au rapport du chasseur face à la bête qu’il traque, au désir qu’il éprouve dans cette chasse, et à la jouissance qui atteint son paroxysme lorsque l’animal est finalement possédé, mangé. Il y a quelque chose de profondément troublant dans l’association femme et nourriture. Ce désir de possession complète du territoire féminin est ancré dans les pratiques colonisatrice, dans les conquêtes qu’on subit maints pays du monde. Un territoire n’était jamais complètement conquis tant que les femmes du pays ne l’étaient pas, tant qu’elles ne reconnaissaient pas les envahisseurs, tant qu’elles ne contemplaient pas leur reflet dans les yeux du conquérant. La conquête est synonyme d’une prise de force, or, combien de fois des territoires furent pénétré sans qu’un consentement n’ait été demandé ou donné, combien de femmes ont été prises malgré elles, combien d’hommes ont pris et combien de femmes ont perdue ?

C’est parce que les femmes sont des animaux délicats qu’il faut les prendre pour les protéger. Les femmes parce qu’elles sont douces et féminines sont des êtres soumises, qui ont besoin de la domination du mâle pour affronter le monde. C’est ce qu’on sous-entend, lorsqu’on absorbe le vocable de la minceur, de la douceur, de la fragilité associée au genre féminin. Trop souvent on voit cette dynamique reproduite dans les médias de consommation, que l’on pense aux films ou la femme « forte » aura nécessairement un moment de faiblesse qui ne pourra être dépassé que par la présence virile. Trop souvent l’on montre aux femmes que pour être réellement forte elles doivent l’être par le biais du masculin, jamais pleinement et seulement en elle-même. Toujours dépendante.

Notre réappropriation des mots de la langue française dessine un triste constat de société. Une société où l’on parle des femmes comme des blondes, des gouines, des frigides, des jouissives, des sauvagesses, des vaches, au fond, on parle des femmes surtout de manière dégradante, souvent involontairement, parce que ces codes sont profondément ancrés dans notre socialisation, ce dès l’enfance. Il est nécessaire donc, de parler féministe, parce que c’est une voix de déconstruction majeur des codes sexistes. Cet ouvrage est un pas de géant, une nécessité pour tous, une façon accessible de réaliser que nous employons tous à un moment ou un autre des termes réducteurs.

 

Le Dictionnaire critique du sexisme linguistique nous rappelle que nous devons nous « réapproprier le mot « radicale » » (Zaccour et Lessard et collab. 2017, p.181), parce qu’être féministe c’est être radicale, que de se cacher dans un certain « degré de féminisme » c’est de reconnaitre qu’il y a quelque chose de honteux dans le féminisme, alors que le féminisme est honorable parce que le féminisme ce n’est autre que la « radical notion that women are people. » (Zaccour et Lessard et collab. 2017, p.182)

Gardons en tête qu’à l’instant « précis où [nous soufflerons notre] dernier souffle, ce n’est ni une petite pute, ni une dangereuse perverse, ni un stéréotype d’aguicheuse que la Terre pleurera, mais [de fières walkyries] qui se [seront] fatalement mais férocement [éteintes] au combat. » (Zaccour et Lessard et collab. 2017, p.232)

Notre féminisme ne sera jamais assez radical!

Post a Comment