EroSphère, ou comment je me suis libérée de la libération sexuelle

[Ce texte est une nouvelle version d’un article paru en juillet 2017.]

En juillet dernier, je me suis rendue dans un festival de pratiques érotiques (tantra, BDSM, etc.) queer : EroSphère. On vous y répète à l’envi qu’ici tout est résolument sex-positif. C’est-à-dire que le sexe doit être source de joie, pas de honte. Et absolument basé sur le consentement. Il y a des ateliers, un après-midi d’expérimentation libre et une bienveillance générale tout à fait appréciable.

Ici, je ne me hasarderai pas à conclure quoi que ce soit sur ce festival qui brasse énormément de genres différents, tant les personnes que les pratiques. Ce qui est certain, c’est que c’est un des environnements les plus permissifs que j’ai pu fréquenter. Cela a facilité pour moi des rencontres avec des corps, des regards, des voix ou des situations, mais surtout avec moi-même. C’est de cela que  je veux parler ici.

J’y allais avec un espoir aussi grand qu’indéfini. Mon désir avait besoin de se nourrir, de se renouveler, et cela pas sous les feux chirurgicaux du porno ou mièvres des romcoms. Une chose m’ennuyait néanmoins : la notion de liberté sexuelle me pose problème.

Non pas que se libérer des notions de faute, de pêcher ou de saleté m’ennuie, non, bien au contraire. Mais il m’a toujours semblé qu’invoquer la liberté sexuelle sans précision, c’est supposer un certain idéal de liberté, proche de fantasmes prémâchés, souvent ceux des hommes. Et qui a tendance à assimiler liberté et toute-puissance, liberté et invulnérabilité.

Or, pour moi, être vulnérables ensemble est un des intérêts majeurs du sexe. S’il s’agit uniquement de partager des sensations physiques cools et dépassionnées, je préfère nettement manger une raclette (et dieu sait que j’aime la raclette).

Je me suis donc rendue à ce festival avec la ferme intention de ne libérer que ce que mon désir exigeait avec ses petites mains avides et fragiles. Le reste du monde ne m’imposerait rien pendant quatre jours. Ni son idée de la liberté. Ni ses fantasmes. Ni son allure décomplexée. Je ne me plierai à aucune norme de libération.

En laissant mon désir vivre sa vie, j’ai retrouvé un truc formidable que je dissimule souvent en société : mon émotivité. C’était des putains de retrouvailles.

Être émue pendant le sexe, on vous apprend à prendre ça pour de l’amour, sans vous préciser ce que c’est, l’amour. On vous vend ça, surtout quand vous êtes une femme, comme quelque chose qui vous rend faible et dépendante. Surtout pas libre, donc. Pourtant l’émotion, c’est une putain de puissance de vie, de pensée et d’action. La retrouver sans avoir besoin de m’en justifier m’a donné l’impression de reprendre mon souffle.

Pendant EroSphère, personne n’a cherché à foutre une étiquette sur ce que je ressentais. Après tout, me suis-je dit, si ce festival prônait l’inclusivité (des identités, des pratiques) il pouvait bien accueillir ma sensibilité ouragan. En contrepartie de quoi, je m’en sentais responsable. Pas question de demander à qui que ce soit de colmater mes failles. C’était à moi avant toute chose qu’il incombait d’affirmer mes limites ou de les faire vibrer. Dans ce contexte, tout est possible, tout est à mettre en jeu : la violence, la tendresse, l’abandon et le contrôle. Rien n’est à fuir, tout est à vivre le plus consciemment possible.

Être libre, c’est peut-être accepter que notre désir et nos émotions nous contraignent. Il n’est plus question de m’en libérer, mais de les tisser avec le monde pour jouir et faire jouir, sans normes prédéfinies. Dès lors, c’est décidé, je ne serai pas une femme libérée, jamais. Mais je lutterai avec plaisir pour faire de mon émotion un feu qui m’anime et ne m’engloutit pas.

 

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