Définir le viol

Je ne cesse d’être étonnée par ces personnes, majoritairement des hommes, qui « ne se rendaient pas compte », non pas tant de ce que les femmes vivaient, mais plutôt que ce qu’elles vivaient était bel et bien des agressions et des viols.

Les femmes se retrouvent face à une double injonction totalement contradictoire : être pure et être sales. Il y a tout ce fantasme de la femme qui « se respecte » en ne couchant pas avec « n’importe qui » mais qui doit quand même faire bander et être une vraie « salope au lit ». Coucher, oui, mais à condition d’appartenir à un homme. Et encore, cela mène parfois à ce paradoxe de l’homme qui respecte soi-disant tellement sa femme et mère de ses enfants qu’il prend une maîtresse pour les relations sexuelles moins « conventionnelles ». Lui faire des enfants, OK, mais pas de fellation!

Il y a tout cet imaginaire et ce paradoxe pure/sale autour de la femme qui fait croire que décidément, hommes et femmes dans leur binarité ne se comprendront jamais, que les femmes sont bien mystérieuses, dis donc, que sous leurs non se cachent en fait des oui, qu’elles ne demandent que ça, être baisées par des hommes, des vrais. Qu’après tout, les femmes sont fourbes et vénales, donc si après elles appellent ça un viol, c’est qu’elles n’assument pas et qu’elles veulent donc de l’argent. Ce qui nous amène en plein mythe de la salope.

Tout cet imaginaire couplé à l’éducation et aux injonctions aussi bien féminines (sois soumise, obéissante, discrète, fais passer l’autre avant toi, etc.) que masculines (les hommes sont violents, prennent des décisions, sont actifs, etc.) font que les hommes ne comprennent pas les viols comme tels. Ils ne conçoivent pas la menace que peuvent représenter leurs agissements.

Pour les hommes, ce ne sont pas des viols. Ce sont des punitions, une façon normale de se comporter et d’avoir des relations sexuelles, pour certains même de la bonté! Des actes normaux et pas répréhensibles.
À force d’enseigner à chacun-e que les hommes sont violents et que non veut dire oui, les viols et autres agressions sont devenus des actes banals du quotidien.

Et quand on met le mot viol sur la réalité des choses, on entend : « Elle le mérite. » Elle mérite quoi, au juste? Elle te mérite, toi et tes coups de bite? Elle mérite d’être punie parce que… parce qu’elle n’était pas à toi? Parce qu’elle n’était pas cette vierge sacrée intouchable dans une vitrine? Parce qu’elle est dangereuse, parce qu’elle te fait peur? Parce que tu n’aimes pas te dire qu’il faut partager, la rue, le travail et tout le reste?

Les hommes n’ont pas conscience de ce qu’est un viol, ils ne réalisent pas, le minimisent. Pour eux, c’est quelque chose qui se passe avec un inconnu dans une ruelle sombre, avec des cris et des pleurs. C’est violent, c’est sale, c’est fait pas des personnes au passé psychologique trouble pas par M. Tout-le-Monde. C’est fait par des célibataires, pas des maris, par des hommes, jamais des femmes. C’est fait par des jeunes des cités, pas par des blancs ou de vieux hommes respectables. Ce sont les pauvres qui violent, pas les riches. Mais parallèlement, avec les langues qui se délient, on croit que le viol est réservé au monde du showbusiness et de la politique. Mais la vérité, c’est que le viol est partout.

Ils ne réalisent pas la violence des choses.
La violence des mots et des actes les plus anodins. La violence de voir envahir son espace personnel.
C’est même à se demander si le viol existe, pour eux. Avec la plus grande sincérité du monde, je ne suis pas sûre qu’ils sauraient en reconnaître un s’ils le voyaient. Ils ne sont même pas conscients quand ils en commettent un!
Ils se disent que bon, elle n’a pas pleuré ni crié. Non, elle était en état de choc et son cerveau l’a protégée.
« Elle a dit non, mais avec les femmes, non, ça veut dire oui. » Non. Non, ça veut dire non.
« Elle a crié, mais c’était pour se faire désirer. » Non, elle a crié parce qu’elle avait peur.

Mais personne n’est à l’abri de ces œillères. Des personnes quel que soit leur genre violent et se font violer et ne le réalisent pas. Notre société voit encore comme impossible qu’un homme cis soit violé par une femme cis (pour ne citer qu’un exemple).

Avec cette libération de la parole, des personnes ont enfin réalisé que leur comportement avait parfois été abusif, flirtait avec le viol ou en était un. Et c’est une bonne chose. Il est temps d’appeler un chat un chat et de nommer les choses comme elles sont réellement : un viol, une tentative de viol, une agression sexuelle.
Arrêtons avec la minimisation – « ça va, iel ne t’a pas violé-e ». Non, en effet, iel m’a agressé-e sexuellement et c’est grave aussi. Arrêtons de chuchoter qu’iel a été un peu insistant-e, que c’est un malentendu, qu’iel avait bu, que c’est de son âge ou toutes les bonnes excuses du monde. Non, engageons-nous, plutôt, arrêtons les tournures de phrases qui cherchent à ne pas froisser. Mettons les agresseur-euses face à la réalité et soyons nous-mêmes lucides quant à ce que nous avons vécu.

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