L’Académie française et le français inclusif : la crise puérile d’une institution désuète

*Ce texte a d’abord été publié sur la plateforme Medium.com le 15 novembre 2017.

 

L’Académie française n’est pas contente! Non, pas des anglicismes ou des inégalités de genre dans ses propres rangs — quatre femmes pour trente hommes. C’est plutôt l’écriture inclusive contre laquelle la grande institution hausse le ton. Ce n’est pas non plus un petit problème : c’est la langue française qui serait « en péril mortel », selon elleux.

 

Qu’est-ce que l’écriture inclusive? Vous l’avez vue dans la phrase précédente. Puisqu’il y a des hommes et des femmes dans les rangs de l’ancienne institution — pour ne pas dire « archaïque » — j’ai préféré le terme « elleux ».

 

Ce n’est pas que pour parler des hommes et femmes non plus! Si certain·e·s suggèrent l’usage de doublons — le professionnel ou la professionnelle — ceux-ci manquent d’être inclusifs dans le cas des personnes qui ne sont ni hommes ni femmes. Ces personnes sont dites non-binaires et, bien que rares, se font de plus en plus manifestes dans la sphère publique.

 

Certaines personnes non-binaires ne se voient pas dans les formes masculines et féminines de notre langue. Au niveau personnel, ces personnes utilisent souvent les néopronoms « iel » ou « ille » à la place de « il » ou « elle ». J’utilise moi-même « ille », bien que je sois somme toute confortable avec « elle »; ça varie de personne en personne, relevant d’un rapport au genre qui est unique à l’individu.

 

L’écriture inclusive, c’est donc l’ensemble de pratiques linguistiques se voulant inclusives et représentatives de l’ensemble des réalités de genre dans la société. Ces pratiques peuvent être par recours aux néologismes (« celleux »), recours aux graphies tronquées (« l’étudiant·e »), ou encore terminologie épicène (« Alex est d’une grande beauté »). Si l’écriture inclusive peut sembler lourde à première vue, vous remarquerez que l’article présent est assez aisé à lire malgré tout.

 

L’argumentaire de l’Académie française est amusant. L’écriture inclusive serait illisible, lourde, compliquée. Une aberration qui détruirait les promesses de la francophonie. Pourtant, cette même institution ne semble pas concernée par la complexité du français en comparaison notamment à l’anglais. Pourquoi ne pas balancer les règles d’accord des verbes pronominaux, à la place? Nous ne les connaissons pas, de toute façon!

 

Force est de constater que personne n’a de difficulté à lire ce texte. Les néologismes s’apprennent vite après avoir lu quelques textes inclusifs, et si l’usage inclusif parfait peut être difficile à l’oral, il n’est aucunement obligatoire — quoique recommandé. Le premier argument de l’Académie ne tient pas la route. Si des obstacles pratiques existent, ils sont éminemment surmontables, et de plus en plus d’universitaires s’attèlent à la tâche de débroussailler le français neutre — dont notamment mes ami·e·s Suzanne Zaccour et Michaël Lessard dans un récent ouvrage sur le sujet.

 

Et le deuxième argument des immortel·le·s? Selon eux, l’écriture inclusive serait sans objectif clair. Pourtant, nous avons accidentellement répondu à la question de l’objectif plus haut en expliquant simplement ce qu’est l’écriture inclusive. En manifestant leur incapacité de cerner l’objectif de l’écriture inclusive, l’Académie démontre qu’elle n’y comprend rien. La pratique ne peut se comprendre en dehors de son double objectif : respecter et représenter les personnes non-binaires et résister l’invisibilisation des femmes dans l’usage.

 

Le Québec n’est pas sous l’égide de l’Académie française. Déjà nous rejetons allègrement leur suggestion de dire « madame le ministre » ou encore « madame le juge ». Rejeter la règle du masculin-l’emporte et incorporer le français inclusif dans notre usage n’est qu’un pas de plus. Il y a déjà plus de 18 ans que la Fédération des professionnèles de la CSN a adopté son nom neutre dans le genre. Il est temps d’emprunter le pas.

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