La maternité et la militance trans : une contextualisation des propos de Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des femmes du Québec

Les commentaires de Gabrielle Bouchard, nouvelle présidente de la Fédération des femmes du Québec, par rapport à la maternité ont fait le tour des médias récemment. Ces propos ont été fortement critiqués comme étant incompatibles avec son rôle de représentante des femmes québécoises.

 

Ces commentaires ressortent de l’audience publique tenue le 15 avril 2015 par la Commission des institutions. L’audience portait sur le projet de règlement sur les changements de nom et de mention de genre, projet de règlement qui a permis aux personnes trans de changer leur mention de genre légale sans recours aux chirurgies génitales. Gabrielle Bouchard y intervenait à titre de représentante du Centre de lutte contre l’oppression des genres de l’Université Concordia.

 

« Ce serait le fun d’abolir les sexes, mais ça n’est pas quelque chose qui va arriver. »

« Il y a des gars qui vont accoucher. Donc, de dire “mère” pour automatiquement signifier que c’est la personne qui a accouché d’un enfant, déjà là, ça aussi, c’est un pas qu’on doit aussi déconstruire parce qu’il y a des pères qui vont accoucher. D’appeler ça une maternité, c’est le genrer. »

 

Pour toute cette couverture, aucune analyse poussée des dires de la présidente n’a été faite, les passages souvent mentionnés étant peu contextualisés. Si ceux-ci peuvent paraître outrageants à première vue, ils n’ont rien de radical lorsqu’on considère qu’ils portent non pas sur le genre ou le sexe en tant que tel, mais bien leur catégorisation administrative par le gouvernement québécois. Bien que certaines personnes militent bel et bien pour la disparition des genres dans le futur – dont plusieurs féministes cisgenres – c’est loin d’être la position prise par la nouvelle présidente de la Fédération des femmes du Québec.

 

Gabrielle Bouchard a dit, en effet, que « [c]e serait le fun d’abolir les sexes, mais ça n’est pas quelque chose qui va arriver. » Or, il faut replacer ce commentaire en contexte. Ce passage revenait sur une question précédente de la ministre Stéphanie Vallée se demandant si Gabrielle Bouchard suggérait abolir la mention d’homme et femme à l’état civil. La question en est donc une administrative : est-ce que la catégorisation des sexes devrait revenir à l’État? Or, comme Gabrielle Bouchard le dit, « [l]e sexisme, la misogynie, les discriminations genrées, discriminations structurelles ou discriminations personnelles sont encore là » et il est donc important de continuer de reconnaître les sexes. Ce que Gabrielle Bouchard suggère est plutôt « de permettre aux gens de ne pas avoir à utiliser l’identifiant de genre. »

 

Certaines personnes l’accusent aussi de vouloir enlever l’usage des termes « mères » et « maternité ». Encore là, il faut contextualiser. La députée à laquelle la présidente répondait mentionnait que les certificats de naissance à la base parlent de « nom de mère » et « nom de l’autre parent ». Pensons à deux hommes qui ne sont pas trans adoptent un enfant ensemble. Ceux-ci voudront tout normalement être tous deux pères sur le certificat de naissance. Or, c’est souvent un combat d’avoir cette reconnaissance, de même que plusieurs couples de femmes ont de la difficulté à ce que les deux soient dites mères. (Contrairement à ce que la députée affirme, je remarque que mon certificat de naissance actuel dit « mère » et « père » et non pas « mère » et « autre parent ».)

 

En réponse, la présidente a mentionné que certains hommes trans donnent naissance et que le système se doit d’être suffisamment flexible pour reconnaître qu’un homme trans donnant naissance ne fait pas de lui une mère, comme je l’ai précédemment rappelé à Richard Martineau. Comme elle le rappelle, « ce parent-là, qui se trouve à être la personne qui va accoucher, bien il va peut-être avoir une barbe, là, ou peut-être avoir une grosse voix » et l’appeler « mère » peut vite se transformer en barrière à l’accès aux services médicaux.

 

En aucune façon Gabrielle Bouchard n’a-t-elle tenté d’enlever la maternité aux mères. Une lecture attentive de la source des commentaires le révèle.

 

Il est plus facile de pointer du doigt que de remettre l’information en question, surtout lorsque celle-ci est conforme à nos idées préconçues des militantes trans. Si la droite déforme nos dires et s’empresse à qualifier les personnes trans d’extrémisme de gauche pour les décrédibiliser, c’est notamment à nos alliés de contre-vérifier l’information et de remettre nos mots dans leur contexte. Pour le bien ou pour le mal, nous sommes rarement aussi radicales que les gens le prétendent.

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