Jeux vidéo : les femmes loin de la première place

Être une femme et tenter de se tailler une place dans le monde des jeux vidéo compétitifs n’est pas une tâche facile. Ce milieu, largement dominé par la présence masculine, laisse peu de place au genre féminin. Portrait de deux femmes qui défient les stéréotypes au quotidien.

 

Les tournois de jeux vidéo, les eSports, désignent des événements qui ont lieu internationalement où les joueurs s’affrontent à l’aide de console de jeu, d’un ordinateur. Ces compétitions ont lieu en équipe ou individuellement. Cet univers est touché par « une culture du manque de respect alimenté par l’anonymat des joueurs » selon Véronique Bouffard, joueuse compétitive de haut niveau. La cofondatrice de Sailor Scouts, équipe exclusivement féminine d’Overwatch, un jeu de tir en vue subjective, est également développeuse de communauté chez Ubisoft. Connue sous le nom de Fabulous, elle occupe le rôle de Off-tank : elle joue donc des personnages qui ont des capacités à la fois défensives et offensives. La femme de 25 ans joue compétitivement depuis son jeune âge et s’implique dans l’eSport depuis deux ans. Elle mentionne que bien qu’il y ait du sexisme dans ce milieu, il y a également « un problème beaucoup plus global qui est répandu dans le monde des jeux vidéo, où l’intimidation et le manque de respect sont largement présents », ce qui limite l’inclusivité dans le milieu.

 

Une femme dans une marre d’hommes

 

Kelsy Medeiros a participé à son premier tournoi de jeux vidéo à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui âgée de 22 ans, elle demeure à ce jour l’une des seules joueuses compétitives sur la scène montréalaise de Super Smash Bros, un jeu de combat et de plates-formes édité par Nintendo. Cette reconnaissance dans le milieu « en fait une cible facile pour les remarques grossières », note Philippe Desforges, organisateur d’événements de jeux vidéo sous la bannière de SouthShore Gaming, une entreprise qu’il a créée il y a deux ans. Il ajoute que « dans le monde du jeu vidéo, on constate beaucoup de locker-room talk, puisque l’espace est presque exclusivement occupé par des hommes ».

 

Les femmes sont réticentes à s’identifier comme adeptes de jeux vidéo, puisque c’est faussement perçu comme une tentative d’attirer les hommes. La présence des femmes dépend également du style graphique des jeux : elles seront moins portées à s’intéresser à un jeu qui hypersexualise les personnages féminins, puisque le joueur est automatiquement associé au personnage, donc « son nom peut être associé à une représentation de la femme plutôt sexiste », conclut Philippe.

 

Selon Kelsy, ce traitement différencié dans le milieu est largement dû à « la façon dont notre génération est éduquée ». Elle donne comme exemple le traitement basé sur le genre dès la naissance. « Les garçons grandissent entourés de voitures miniatures et de jeux vidéo, alors que les filles jouent à la maman qui fait à manger ». Cette mentalité que certains jouets ne sont pas appropriés pour les filles nourrit leur exclusion du monde des jeux vidéo, puisque « certains garçons croient qu’elles n’y ont pas leur place ».

 

La joueuse a « acquis le statut de top player en 2016 et c’est à partir de ce moment que le harcèlement a réellement débuté ». Elle a « reçu quelques menaces de mort ou des invitations sexuelles de gens qui prétendaient être [son] ami. Dès que [son] visage apparaît sur un stream, c’est inévitable qu’il va y avoir des commentaires sur [son] apparence, c’est pourquoi [elle] a eu de la difficulté à accepter qui [elle était] pendant une partie de [sa] vie. »

 

Les pistes de solution

 

Selon Kelsy, « la scène de Super Smash Bros a toujours été accueillante pour tous : les familles, les personnes âgées, les adolescents et les adultes, indépendamment de leur genre ». Elle croit donc que de créer un espace exclusivement féminin ne contribuerait pas à la solution, mais ne ferait que « donner une fausse impression sur les joueuses et les rendrait inconfortables ». L’opinion de Kelsy diverge de celle de Véronique Bouffard, puisque celle-ci croit que les tournois féminins seraient bénéfiques pour la présence des femmes. Selon elle, puisqu’il y a « très peu de joueuses dans l’eSport » et que les proportions sont loin d’être équitables, des tournois exclusivement féminins « donneraient une place importante et nécessaire aux femmes ».

 

Pour ce qui est d’Overwatch, le jeu attire et inclut de plus en plus de femmes, entre autres puisque « les personnages de son univers sont inclusifs : on en retrouve de toutes origines et de toutes formes ». En effet, selon le blogue PCGamesN, « deux fois plus de femmes jouent à Overwatch que n’importe quel autre FPS [jeux de tirs à la première personne] », soit 16 % de la totalité des joueurs. Ce jeu a su faire « un réel pas en avant pour la diversité et la représentation des femmes dans les jeux vidéo », deux concepts qui ont mis du temps à évoluer dans le milieu. Elle a donc espoir que davantage de développeurs prennent cette direction au cours des prochaines années « puisqu’ils sont au cœur de la solution », conclut-elle.

 

Véronique propose qu’il y ait un travail de recherche qui soit fait afin de déterminer « la proportion de femmes et d’hommes qui s’abstiennent de communiquer ou qui arrêtent de jouer à cause du sexisme, du harcèlement ou toutes autres formes d’intimidation qu’ils vivent dans un jeu ». Pour ce qui est des ligues eSport, celles-ci « doivent se doter de règlements qui encadrent la pratique ». La joueuse compétitive croit que « c’est de leur devoir d’exiger que leurs joueurs aient un bon esprit sportif ». Elles doivent également agir en cas d’inconduites.

 

Les médias, lorsqu’ils couvrent le sujet, contribuent à la visibilité de la problématique, mais peu d’entre eux vont « au-delà de la sensibilisation et ne créent pas un espace de discussion pour débattre des solutions », ce qui serait largement nécessaire selon elle.

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