La dernière érection et la fin de l’hétérosexualité

Il y a un trope qui me fait beaucoup rire dans les productions culturelles, c’est celui du vieux couple hétéro qui a une vie sexuelle se rapprochant de 0 parce que l’homme ne bande plus DUR et FORT comme à ses 20 ans. Cela m’a frappé dernièrement en visionnant le film 45 years (sur Netflix, oui oui) qui présente un vieux couple cis hétérosexuel blanc très aisé financièrement qui se rappelle avec nostalgie ses premières années charnelles. Une scène de sexualité explicite montre les personnages blasé-e-s et rieur-euse-s, essayant d’avoir une relation sexuelle, pour la première fois depuis longtemps faut-il comprendre. Cette tentative est centrée uniquement sur la pénétration vaginale. La scène est drôle et triste à voir en même temps puisqu’iels commentent la dureté de l’érection du mari et leurs difficultés aboutissent rapidement à l’échec du coït en question. L’homme se retourne ensuite sur le dos en soupirant et sa femme s’empresse de le rassurer et de lui dire que ce n’est pas grave du tout, qu’il ne doit pas s’en faire avec ça, question de dédramatiser la situation. Cette scène banale et vue mille fois dans d’autres productions culturelles produit un discours sexuel phallocentrique, hétéronormatif et malaisant pour différentes raisons qu’il me plaît de développer ici.

 

D’abord, on ressent la puissance du male gaze, c’est-à-dire que la scène repose entièrement sur la non-possibilité pour l’homme cis de pénétrer sa femme et d’obtenir le plaisir envisagé. Qu’en est-il du plaisir de la femme? Pourquoi la scène devrait-elle s’arrêter ici? Je ne comprends pas. J’ai presque envie de crier. Un peu d’imagination, diantre! Vous avez des mains, des bouches, des peaux, des corps complexes, différents organes de production du plaisir autres que le pénis. Une érection solide comme le roc n’est pas un prérequis pour avoir une vie sexuelle épanouie, au contraire! Il serait peut-être temps pour monsieur d’abandonner son rôle d’homme-enfant pleurnichard qui a besoin d’une femme-mère rassurante et peut-être d’explorer sa prostate et le clit de madame. Si on n’a pas eu la chance de détabouiser les rôles sexués hétéronormatifs figés et le couple homme-dominant / femme dominée, il n’est jamais trop tard pour visiter notre sex shop de quartier dans la section des dildos, straps-on et autres jouets fantastiques en tous genres. Qui sait, cela pourrait même raviver la flamme charnelle au sein du couple et lui offrir une deuxième puberté excitante et jouissive à souhait.

 

Et que dire des doubles standards qui nous pourrissent la vie jusque dans nos lits? Pourquoi l’homme cis doit-il absolument avoir un orgasme chaque fois, alors que la femme non? On restera bien loin de l’égalité entre les genres et dans les rapports sexuels tant et aussi longtemps que les femmes jouiront moins que les hommes cis. Plus d’orgasmes pour les femmes et personnes non-binaires SVP! Il faut décentrer le plaisir du phallus et explorer les autres zones érogènes du plaisir sexuel. Reconfigurer les scripts pornographiques dominants et jeter aux poubelles le male gaze. C’est un cliché, mais il faut se parler, dire les vraies choses. Parler de nos désirs les plus profonds. Ne pas avoir peur du ridicule. Laisser aller son imagination. Le BDSM, par exemple, regroupe un ensemble de pratiques sexuelles qui ne sont pas centrées exclusivement sur les organes génitaux. Toutes sortes de jeux sexuels peuvent impliquer ou non de la douleur, des ordres et des renversements. Le consentement sexuel y est absolument central et tout doit se faire dans le respect des limites des autres. Choses que l’on n’apprend pas dans les cours d’éducation sexuelle, d’ailleurs presque inexistants aujourd’hui.

 

Monique Wittig écrivait dans La pensée straight que « les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Elle avance l’idée que dans notre société patriarcale, la catégorie « femme » est encore conçue dans son rapport à l’hétérosexualité et à la reproduction. Les lesbiennes brisent l’hégémonie de ce discours culturel dominant en sortant de ces paradigmes réducteurs. Un peu de la même façon, les hommes cis qui bandent moins fort semblent assassiner l’hétérosexualité et ses codes phallocentriques. Il suffit de penser au mot « impuissance » et à son contraire, comme si le fait d’avoir un pénis en érection faisait partie du pouvoir de l’homme. J’invite donc les hommes cis qui se disent alliés du féminisme à faire un gros travail d’introspection sur leurs vies sexuelles et sur comment ils envisagent le vieillissement de leurs corps, l’impuissance et le consentement. Aux femmes, personnes trans et non-binaires, continuez d’être badass et revendiquez votre jouissance!

 

Tout ça pour dire que le trope du pénis semi-mou qui pleure sa vie puis va dormir me laisse sur ma faim. C’est assez révélateur et aberrant qu’on soit en 2018 et que la majorité des scènes sexuelles dans les séries télévisées, les films et les livres soient à ce point encore pleines de clichés. Je pense qu’il faut continuer de questionner l’hétérosexualité dans ses limites phallocentriques. Remettre les femmes, les personnes trans et non-binaires au centre de l’équation sexuelle. Leur demander ce qu’iels veulent vraiment, ce qui leur fait vraiment plaisir. Pourquoi ne pas saupoudrer un peu de queer dans la masculinité toxique et les rapports sexuels, peu importe les personnes impliquées? Un homme serait-il moins un homme s’il se fait pénétrer? Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas mettre fièrement un godemiché? Il y a des biais cissexistes dans la manière de penser les corps, les identités de genre, les orientations sexuelles et les pratiques. Je rêve de meilleures représentations culturelles, qu’on montre des rapports non centrés sur la queue de l’homme cis, qu’on entame de vraies discussions sur les pratiques sexuelles et leurs possibilités infinies. L’hétérosexualité mainstream a énormément de retard de ce côté-là et pourrait grandement bénéficier des avancées et discussions queers et féministes sur les sexualités multiples.

 

Crédit de l’image de couverture : Jasper Behrends

3 Comments

  • i.
    28 février 2018

    Je pense, je me trompe peut-être, que tu voulais plus dire un topos (lieu commun, cliché) qu’un trope (qui est surtout une métaphore ou une figure de style), mais ça enlève rien que le texte sur la fin de l’hétérosexualité est super intéressant 🙂

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  • Pascale Cormier
    1 mars 2018

    Tu mets le doigt sur le bobo, si j’ose dire! ^_^ On est encore à des années-lumière d’une vraie libération sexuelle.

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