La complémentarité entre les hommes et les femmes (ou comment faire persister le sexisme)

 

Perdure encore dans les sociétés à travers le monde une perception essentialiste des femmes[i]. Certaines vertus sont en effet attribuées au genre féminin, et celles-ci sont obligatoires dans une société au système binaire fortement imposé dès la naissance. Les fillettes (assignées comme telle par leur sexe) sont amenées à être douces, bienveillantes, souriantes et plaisantes au regard des autres. Les petits garçons, quant à eux, se doivent d’être forts, courageux et parfois même imposants lorsqu’ils prennent leur place dans un groupe. Ces caractéristiques à l’opposé les unes des autres sont valorisées inclusivement chez ces deux genres. J’entends souvent dire que ces qualités sont innées chez l’un comme chez l’autre, et qu’elles sont même (heureux hasard!) complémentaires. Les êtres humains seraient donc faits pour être comme des pièces de casse-tête qui s’assemblent. La valorisation de ces caractéristiques bien genrées est cependant culturelle. En effet, les normes de genre varient à travers le monde ainsi que les époques, ce qui conteste la conception essentialiste des genres.

 

Il y a plusieurs problématiques associées à cette soi-disant complémentarité innée entre les hommes et les femmes. Avant toute chose, cette idée de binarité rend invisible toute personne ne faisant pas partie de l’identité femme ou homme. C’est en soi une violence de dire que ces personnes, n’étant point « complémentaires », ne participent pas à une logique capitaliste de division genrée des fonctions dans la société, et sont donc inutiles au fonctionnement de celle-ci. Je parle ici de capitalisme, car ce système agit sur toutes les sphères dans notre société. Je suis d’avis que cette idéologie de profit, de rendement et d’autonomie de l’individu vient indéniablement s’insérer dans les dynamiques de genre. J’y reviendrai plus bas.

 

Deuxièmement, cette opposition entre les hommes et les femmes emprisonnent ceulles-ci dans des performances de genre extrêmement normatives et imposantes chez chacun. J’entends souvent que cette opposition est naturelle et même souhaitable pour une société « équilibrée ». Quant à moi, la seule complémentarité que je constate dans ce système binaire, c’est celui d’une dualité entre l’oppresseur et de l’oppressé·e. Définir les hommes comme prédisposés à prendre leur place, et définir les femmes comme devant être douces et plaisantes, est inhéremment une insulte à l’endroit du genre féminin et surtout, perpétue un sexisme qui n’est pas facile à déceler. Les enfants ne sont pas nés petits garçons ou fillettes, iels sont nés êtres humains dotés d’organes génitaux différents. Cette catégorisation des sexes (au diable pour ceulles qui ne rentrent pas dans cette binarité!) a un effet spontané sur la façon dont les enfants sont éduqués sur le plan social. Cette division est sournoisement bien encrée et fait profiter les personnes au pouvoir.

 

En effet, la division genrée de l’éducation (bien qu’elle soit plus souvent qu’autrement internalisée chez les parents) finit par faire bénéficier les plus forts économiquement dans la société. C’est notamment ce que les féministes de l’éthique du care dénoncent. Les fillettes sont amenées à prendre soins des autres, tandis que les garçons sont éduqués à penser à eux en tant qu’individu aillant la possibilité de s’émanciper économiquement et socialement.

 

Toute leur vie, les femmes devront prendre soins des autres. Elles devront faire ce qu’on appelle du emotional labour[ii], auquel la société ne s’attend pas de la part des hommes. C’est cette éducation genrée qui amène donc les femmes à occuper des emplois du domaine du care, dont le milieu de la santé (infirmières), de l’éducation (enseignantes au primaire ou secondaire) et du soin des jeunes enfants (en garderie). Ces emplois sont cependant dévalorisées dans la société, car ils sont sous-payés et aux conditions de travail difficiles. C’est du travail exigeant et fondamentalement nécessaire, mais il est pris pour acquis par les personnes au pouvoir : les hommes. Les femmes dans ces milieux du soin se plient en quatre, mais comme elles sont considérées à leur place en tant que soignantes, elles sont totalement méprisées par les instances de pouvoir, et ça, c’est du sexisme.

 

Cette soi-disant complémentarité (qui est en faite construite dans notre société) est en fin de compte un système dont les hommes bénéficient. Les femmes continuent d’être exploitées, seulement cela n’est pas remis en question, car elles sont supposées aimer prendre soin des autres. Elles doivent être capables d’accepter n’importe quelle condition de travail puisqu’elles sont fondamentalement bienveillantes et aiment leur travail.

 

Je pourrais aussi longuement parler du jugement envers ces femme qui ne veulent pas d’enfants, ou celles qui n’ont pas le temps de s’occuper de leurs parents âgés, etc. Les attentes envers les femmes, considérées comme étant des soignantes naturelles, les emprisonnent. Il faudrait éduquer les enfants de façon égale, et privilégier chez chacun les vertus du care. Ainsi, nous aurions une société beaucoup plus équilibrée, et sans doute que les métiers de soignant·es seraient valorisés à juste titre.

 

[i] Les catégories de genre utilisées dans ce texte font référence à un système binaire imposé dans notre société. Ce texte tente de défaire ces catégories tout en nommant comment celles-ci fonctionnent dans un rapport de pouvoir genré. Il est clair qu’il existe un éventail d’identités qui va au-delà des deux genres mentionnés dans ce texte.

 

[ii] Ce sujet étant assez complexe en soi, je n’en parlerai pas davantage dans ce texte, mais je vous invite à vous renseigner sur le sujet.

 

6 Comments

  • Nat G
    5 mars 2018

    C’est très pratique pour la droite la complémentarité des genres. Ça dégage les hommes et l’état de toutes les responsabilités envers les enfants, les personnes malades ou en fin de vie. Ça met une pression additionnelle aux hommes pour être toujours disponibles et dévoués au travail rémunéré.
    Ça ne fait pas des gens épanouis et en santé, même pour l’entreprise,,je ne crois pas que c’est bon à long terme.

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  • Irène
    28 mars 2018

    C’est une conception qu’on retrouve même dans certains discours qui appellent à l’empowerment des femmes, vu qu’elle peut être liée à des formes d’essentialisation… on n’est jamais très loin de ça quand il est question de féminin sacré par exemple. C’est la raison pour laquelle j’ai personnellement du mal avec ces approches même si je comprends qu’on puisse être attiré par la vision d’une féminité puissante, etc

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  • Adriana
    15 avril 2018

    Je suis venu nouveau sur ce blog, et Je l’ai trouvé très intéressant et plein de réalités. Nous vivons dans une société patriarcale, pleine de machisme et de stéréotypes. Les gens qui sortent de « l’ordinaire » ne sont pas acceptés, nous sommes habitués à une culture binaire et hétérosexuelle qui a certaines « normes » selon que vous soyez un homme ou une femme. Nous avons vraiment besoin de faire un grand changement dans cette société et pour cela nous devons commencer à éduquer, à partir d’une vision féministe. Chaque personne doit être libre d’être comme elle est et aimer qui elle veut.

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