La mini-jupe : libératrice ou oppressante ?

Les recherches sur le monde de la mode ont coutume d’être perçues comme futiles par la communauté scientifique. Pourtant, les théories du vêtement révèlent beaucoup plus que ce que l’on pourrait croire sur le fonctionnement d’une collectivité et sur ses différentes composantes, sur ses valeurs et ses mœurs. De ces faits, les vêtements, loin d’être neutres, se sont adaptés avec leur société. Au cours du XXe siècle, la mode prend une importance majeure et devint l’idée d’un changement rapide et éphémère. La mode, comme forme d’expression et de création, est un moyen de se distinguer en arborant « son style », mais aussi une imitation, car on porte le look de son époque.

 

Dans ce sens, si la première moitié du XXe siècle transforme l’apparence des femmes, avec entre autres la mode des années folles, c’est au cours des années 1960 à 1970 que celles-ci vivent leur révolution, pour ne pas dire leur revanche. Cette période de grandes transformations marque le début d’un phénomène démographique, où  la génération des baby-boomers, ces enfants de l’après-guerre, maintenant jeunes adultes, s’impose comme catégorie d’âge dominante de la société. Cette jeunesse ne veut pas ressembler à ses parents et rejette tout ce qui rappelle le passé.

 

La mode, comme symbole de modernité et d’expressions, se glisse dans ce contexte occidental de changements et d’innovation en répondant à la demande de ces jeunes, et surtout des femmes particulièrement visées, à mettre en place les bases d’une nouvelle société. C’est dans ce contexte que la jeune londonienne, Mary Quant, alors âgée de 28 ans, inventa la mini-jupe, en 1962, avant de l’intégrer dans sa collection en 1965.

 

C’est lors de l’Exposition universelle de 1967 que les jeunes québécoises découvrent la mini-jupe au pavillon de la Grande-Bretagne. Au cours de l’été de la même année, les jupes sont déjà raccourcies à la mode britannique. Tout d’abord, l’apparition de la mini-jupe dans les rues est une révolution de la pudeur. En effet, si les différentes tendances avaient parfois encouragé les femmes à montrer leur gorge et porter un décolleté plongeant, les jambes restaient cachées. Au Québec, selon l’Église catholique, la jupe, d’abord longue et ample, protégeait les femmes et empêchait les hommes de succomber à la tentation du péché originel. Le corps féminin, et surtout le sexe, devait  rester caché. La jupe portée jusqu’en bas des genoux avait ainsi l’avantage et la fonction de protéger de la pudeur des femmes et de préserver les bonnes mœurs.

 

Par conséquent,  ces femmes, qui rejettent la garde de robe de leur mère et les valeurs de l’Église, dégagent une allure jeune, provocante et sexy en montrant leurs jambes. Après tout, la mini-jupe de Marie Quant n’est que de 10 centimètres de long en dessous des fesses. Aussi, la mini-jupe est souvent accompagnée du collant. Ce dernier est un allié pour les femmes puisqu’il permet une plus grande liberté de mouvement tout en créant un effet encore plus sexy. Comme le précise la doctorante Françoise Dulac

« La femme n’est plus la femme-objet, dont la seule puissance vient de l’homme qu’elle peut séduire et retenir. Le collant est vécu par la femme comme un étui. Cet étui de protection la restaure dans son intégrité corporelle, et cela concrétise la protection sociale qui lui permet de ne plus se sentir vulnérable à conquérir et soumise. Dans un monde hostile, elle appartenait à son protecteur. La reconnaissance de ses droits la met sur un pied d’égalité avec les hommes. Elle se centre sur elle-même. »

 

Ensuite, ces femmes affirment qu’elles ne peuvent pas se libérer complètement si elles ne se sentent pas à l’aise dans leurs vêtements. Il n’y a pas de libération des femmes possible s’il n’y a pas de libération des corps. Par exemple, Marie Quant affirme avoir inventé la mini-jupe pour pouvoir courir après un bus. Ces gestes de la vie quotidienne sont maintenant analysés pour les rendre plus faciles d’exécution. Les jeunes femmes plus actives que jamais veulent adapter leurs vêtements à cette nouvelle réalité. Les vêtements des modes antérieurs, perçus comme embarrassants, empêchent les femmes de bouger et de vivre au ton de leur époque.

 

Néanmoins, il est vrai que la mini-jupe fut utilisée à des fins de libération et d’émancipation, il faut néanmoins tracer une ligne. Tout d’abord, le fait que les femmes veulent prouver et afficher leur libération par des vêtements plus courts ne veut pas dire qu’elles se sentent nécessairement libérées. Par exemple, le fait de porter une jupe aussi proche des organes génitaux et des fesses peut s’avérer gênant et provoquer un réel inconfort. De plus, la posture à prendre lorsque l’on porte une jupe contraint les femmes à agir d’une façon précise. Par exemple, par la façon de marcher ou de s’asseoir, le fait de croiser ses jambes ou de les garder fermement collées l’un contre l’autre, montre qu’elles doivent constamment se préoccuper de leur démarche. Prisonnières dans leurs jupes qu’elles soient longues ou courtes, les femmes ne sont pas sur ce point plus libre dans leurs mouvements corporels que leur mère et leur grand-mère dont elles veulent tant se distinguer.

 

De plus, ce n’est pas juste de porter la mini-jupe, il faut aussi bien le faire. Si la silhouette d’une femme n’est pas conforme aux critères de beauté de l’époque soit la minceur extrême, celle-ci doit soit se soumettre à un régime et à l’exercice physique ou accepter que ses rondeurs l’empêchent de participer aux changements vestimentaires de son époque. Par conséquent, les femmes se font toujours imposer un modèle à suivre pour devenir « la femme parfaite», même lorsqu’elles manifestent pour sa libération.

 

À la fin de la décennie, le Québec fait disparaître la mini-jupe. La mode de ce moment laisse place à la jupe maxi et la jupe midi amples, légères et longues. D’une part, la jupe maxi fait référence au mouvement hippie qui revendique les valeurs de libertés de mouvements, la liberté des corps, et donc déconstruit les standards de beauté imposée par la mode. L’expression par le corps est aussi présente, mais dans le cas de la maxi, pas besoin de montrer ses jambes nus ou avec un collant. Si la mini-jupe avait la cote au milieu de la décennie, dès 1968, le style bohémien est adopté d’autant plus que ce dernier était plus accessible aux jeunes femmes. En plus, de la jupe, un autre morceau de vêtement gagne de plus en plus en popularité et va aussi dans la modernité et révolution les acquis vestimentaires des femmes. En effet, plus pratique dans certaines situations, le pantalon devient un incontournable dans les garde-robes féminins. Refusant de ressembler à leur mère en portant la jupe au genou et refusant de s’identifier à la mini-jupe qu’elles trouvent vulgaire et de mauvais goût, le pantalon se présente comme une option intéressante. Le pantalon est-il encore plus provocateur, radical et libérateur que la mini-jupe, d’autant plus que le pantalon a longtemps été interdit aux femmes ? D’ailleurs, les mouvements féministes revendiquant l’égalité des sexes se glissent dans cette idée que les hommes et les femmes, s’ils sont égaux, ont le droit de porter les mêmes vêtements. Longtemps, au Québec, le pantalon était signe de l’autorité masculine et du patriarcat. Maintenant, le pantalon n’est plus réservé qu’au sport et devint surtout au milieu des années 1970 complètement accepté comme vêtement appartenant aux deux sexes. Les femmes jeunes des années 1960 ont maintenant le choix entre assumer leur féminité ou d’affirmer leur place en s’appropriant le pantalon maintenant unisexe.

 

En bref, le pouvoir des vêtements lors de la décennie des années 1960 fut très marquant.  Pour la mode, ce fut une période d’expérimentation où les interdits étaient permis. La mini-jupe reste toutefois le plus grand symbole de cette décennie. Lors de sa création, la mini-jupe fut classée de radicale même par celles qui la portaient. Pour justifier sa création et le fait de la porter, le prétexte de la nécessité fut évoqué. Les femmes avaient déjà le pouvoir du nombre, mais elles avaient aussi besoin d’un outil, d’un symbole qu’elles pourraient afficher afin de s’affirmer. Dans ce sens, la mini-jupe fut bien libératrice pour ces femmes qui ressentaient le besoin d’affirmer leur appartenance à la nouveauté, à la modernité et à la jeunesse. Par contre, il est important de ne pas oublier que la mini-jupe était réservée qu’à une catégorie de femmes. D’ailleurs, si la jeunesse était libérée par la mini-jupe cela ne veut pas dire que tout le monde la voyait comme telle. De plus, si le port de la mini-jupe était propice lors d’un évènement ou d’une fête, elle le l’était pas sur un environnement de travail. À ce jour, la mini-jupe est revenue à la mode plus d’une fois et reste un classique pour les jeunes femmes.

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