Troisième et dernier jour au Toronto International Porn Festival

Dimanche. Dernier jour de la semaine. Dernier jour du festival, et pas des moindres.

 

Arriver à la fin d’un festival comme celui-là, c’est aussi l’occasion de prendre du recul sur les enjeux abordés, sur les tenants et les aboutissants des discussions qui animent chacune des personnes présentes et leurs activités respectives.

 

Je suis à Montréal lorsque j’écris cet article et, déjà, un vent de nostalgie me prend à l’idée de ne revoir ces merveilleuses personnes que l’année prochaine.

 

Mais en attendant, faisons un tour d’horizon de l’ultime journée du Toronto International Porn Festival.

 

Éthique et porn : inséparables

 

Il est midi et le soleil brille haut sur Toronto. Et pourtant, nous nous rassemblons dans l’ambiance sombre de la salle de la Wonder Gallery pour écouter les panélistes sur le sujet de l’éthique dans la pratique/la production de pornographie féministe et queer.

 

Crédit photo : Mikaël Carriau

 

Carlyle, l’organisatrice du festival, nous présente Fatima Mechtab, du sex-club Oasis Aqualounge, inclusif et accueillant la créativité sensuelle de tous. Dans son travail, elle participe à la production de films pornographiques éthiques diffusés dans l’enceinte du club ou réservés à l’usage personnel des talents.

 

À ses côtés, Rooster X Ray, un performeur au charme fou et au discours posé et réfléchi, nous vient de Londres. Son expérience dans la porn évolue sur un spectre large allant des grosses productions mainstream aux films indépendants. Il est détenteur de plusieurs prix et ira sûrement loin dans son exploration des sexualités et des délices de l’intime.

 

Icy winters s’identifie comme femme trans et vient de prendre la direction du label Spit.exposed, avec la ferme intention de produire des films inclusifs aux personnes non cisgenres. Sa position est de défendre une volonté de contrecarrer l’industrie de la porn mainstream dont le rapport avec les personnes trans est catastrophique et a un besoin urgent de changement.

 

Crédit photo : Mikaël Carriau

 

Plusieurs éléments clés reviennent au cours de la conversation. Tout d’abord, l’idée de la reconnaissance du libre arbitre des performeurs dans les choix de films, les choix d’actes sexuels et les choix de protection est centrale. Cela rejoint la question de l’authenticité. Tous affirment ne pas vouloir rendre l’orgasme obligatoire sous prétexte d’authenticité. Au contraire, c’est la conviction que la sexualité est « fluid, organic, chemical ». En laissant aux talents libre cours à leurs instincts sensuels, c’est un moyen de montrer au public l’aspect humain profond que veulent souligner ces films. Par ailleurs, Icy Winters ajoute qu’il ne faut pas oublier que c’est un emploi, et que ce serait là se leurrer d’imaginer qu’on est tous passionné par notre job tous les jours.

 

En suivant, l’enjeu de la responsabilité des réalisateurs et des compagnies de production s’est fait entendre. À cette question, Fatima Mechtab répond que pour elle, la responsabilité éthique s’inscrit dans la garantie de conditions de travail pour ceux qui font les films : accès aux ressources informationnelles, de santé sexuelle, financières, sociales et artistiques. En effet, trop souvent les performeur.euses n’ont pas le choix de négocier leurs contrats, rédigés par des décisionnaires peu désireux de donner des droits élémentaires à ceux qui font leur gagne-pain. Une des solutions pour pallier ce manque est la mise en place de systèmes de collaboration bilatéraux entre le niveau de la production et l’exécution. La porte-parole d’Oasis Aqualounge nous rappelle qu’il est toujours possible de développer de nouveaux modèles entrepreneuriaux dont les résultats vont réellement dans le bon sens : « We need to put the talents first ».

 

Aujourd’hui, en ce qui concerne l’éthique pornographique, il existe des standards réglementaires dont la responsabilité incombe à la société de production à l’image du Model Bill of Rights. Ceci dit, il n’est pas rare que les réalisateurs ou labels créent en supplément leur propre charte éthique, selon la position ou les convictions de chacun. La créatrice de Bright Desire, Ms. Naughty, qui a déjà 18 ans dans le milieu à son actif, développe le caractère éthique de son travail notamment autour de la notion du consentement. Malgré la mise en place de normes éthiques dans la porn, la situation des travailleurs du sexe est attaquée par une vague de parlementaires conservateurs en Amérique du Nord. Ms. Naughty s’est exprimée sur le sujet dans une correspondance :

 

“Unfortunately we’re seeing a huge crackdown on sex work in the US and around the world, despite the popularity of porn. There’s still a long way to go in breaking down the stigma that surrounds porn and sex work. What is important is that porn continues to give performers a voice, to speak out about sex work issues and to make consumers understand that they need to respect the people they’re getting off to.”

 

 

Le troisième point majeur de cette discussion s’inscrit dans une réflexion autour des différences entre une vision féministe de la porn et une vision éthique. L’éthique réside dans le respect des garanties que l’on donne aux travailleurs. En ce sens, c’est une fois de plus d’un changement de perspective que nous avons besoin. Il faut cesser de braquer le phare sur les travailleurs du sexe pour l’orienter vers les bureaux chromés et les responsables qui se cachent derrière leurs valises à billets. Pour Ms. Naughty, le lien majeur entre les étiquettes éthique et féministe s’inscrit dans la volonté de vouloir offrir du contenu de qualité, fait dans le respect et l’inclusivité, et surtout de montrer les sexualités et les identités de manière positive et variée.

 

Porno intersectionnelle ou rien du tout

 

Selon les panélistes, l’argument béton pour enfin faire comprendre l’urgence de construire une vision de la porn intersectionnelle est celui-ci : une telle ouverture est un moyen de soutenir les travailleur.euses du sexe, de changer les représentations sexuelles stéréotypées, sexistes et racistes afin de normaliser les pratiques, visibiliser les communautés, cesser de fétichiser à tour de bras, et donner une voix à tous ceux subissent ce système oppressif au quotidien.

 

Développer une éthique dans la porn, c’est un chemin pour ouvrir la discussion autour des enjeux de protection de l’individu, de dignité et de liberté dans le travail. C’est donc un travail collectif et fastidieux dans lequel « every one’s politics evolve » (Rooster).

 

Le clap de fin

 

À l’issue de ces trois jours, la cérémonie de remise des prix vient clôturer en beauté. La performeuse burlesque Belle Jumelles nous accueille, nous aime depuis la scène avec ses yeux, ses mots et ses formes enchanteresses. Elle nous loue et rend aux artistes ce qui est leur est dû : la reconnaissance du travail bien fait, et celle de la communauté.

 

Crédit photo : Mikaël Carriau

 

À mon grand plaisir, deux des films m’ayant marquée ont gagné un prix. Le premier, Dressup de John Brodie figurant Malcolm Lovejoy, dans la catégorie « Spiciest political short ». Et le second, Tie Me Up!, d’Erika Lust, dans la catégorie « Most Dazzling Docu-porn ». Pour la liste complète des gagnants, c’est ici. Mon très cher Rooster évoqué plus haut remporte quant à lui le prix du « Heartthrob of the year », bien mérité au vu de sa performance dans le délicieux « Oral Exam » de Ms. Naughty aux côtés de la si naturelle Dion De Rossi. Icy Winters empoche le prix « Hottest Newcomer » en guise de bienvenue chaleureux de la part de la communauté.

 

Crédit photo : Mikaël Carriau

 

À la fin de la cérémonie, nous avons eu la chance d’assister à une performance du danseur Ravyn Wngz, « african, bermudian, mohawk, 2Spirit, queer and transcendental individual ». Pleine de force et d’une énergie aussi sensuelle que mystique, sa performance nous a autant fait crier de joie que retenir notre souffle.

 

Crédit photo : Mikaël Carriau

 

Ce festival représente un espace politique ouvert, où la bienveillance va au-delà des différences pour rassembler autour d’un désir commun : déconstruire le stigma autour du travail du sexe et des personnes non hétéronormatives à travers une porn éthique; user de la sexualité comme d’un baume à l’humanité.

 

À travers cet évènement, c’est une immersion dans une communauté vivante et active dans plusieurs dynamiques de changement social. De par des échanges, furtifs ou plus poussés, des discussions sur les films, sur les thèmes abordés, les esthétiques, c’est une réelle transmission qui se joue. Je parle ici du partage d’un discours et d’une vision critique au cœur de laquelle nous avons tous à gagner.

 

Plusieurs couches de réflexion et d’expériences se croisent autant dans les messages véhiculés lors des différentes projections que dans les problématiques traitées. Une fois de plus, l’intersectionnalité en tant que champ d’action se fait sentir dans une urgence. Il s’agit bel et bien de la nécessité d’affiner des épaisseurs de croyances néfastes, de convictions héritées, cristallisées et nourries par la peur de la différence et le déni social.

 

Sans aucun doute, l’exercice même de produire ou de performer dans un porno féministe/queer/éthique est une expérience d’éducation. La diffusion et la consommation plus grande de ce genre d’images représentent de véritables potentialités positives d’éducation à la sexualité.

 

Le festival international de porn de Toronto, c’est un lieu d’apprentissage, de découverte, de compréhension.

Au cours de ces trois jours, j’ai vu des corps dont les formes m’étaient inconnues, j’ai découvert des gammes de couleurs de peau inédites à mon regard, j’ai entendu des voix jamais vraiment entendues, j’ai appris sur la sexualité et j’ai ressenti un fol élan de liberté.

 

Ce monde existe, il est juste là, devant nos yeux pour être vu, admiré, caressé et compris avec respect, intérêt et bienveillance.

 

Crédit photo : Mikaël Carriau

 

Alizée Pichot

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