PRICEY PUSSY, message d’une prostituée impénitente en quête de droits

Spoiler alert : je suis une travailleuse du sexe. C’est-à-dire que je consens à avoir des relations sexuelles avec un nombre indéterminé de personnes, moyennant une rémunération[1]. Si vous souhaitez vous faire une idée de ce qu’est la prostitution et de ce qu’implique d’être un ou une TDS, je vous invite à continuer. Lire cet article ne vous fera pas l’effet d’un rapport anal sans lubrifiant, je vous le promets !

 

Il y a peu, le magazine Slate a édité un très bon article s’intitulant «Comment bien vous comporter avec une prostituée ou un prostitué»[2]. Le texte rassemble un ensemble de témoignages et dresse une liste de règles de civisme à suivre lorsque l’on sollicite les faveurs de mes consœurs et confrères. Les premiers commentaires que j’ai vu défiler lors de sa parution étaient affligeants : ils sont le triste reflet de la méconnaissance du «citoyen lambda» sur ce qu’est véritablement la prostitution. C’est pourquoi, en collaboration avec Nicki, je prends la parole sur Je suis féministe pour avoir un tremplin et faire résonner ma voix du haut de mes cuissardes plateformes (oui, je suis un cliché, mais j’adore ces bottes).

 

Personne prostituée. Putain. Asphalteuse. Belle de nuit. Cocotte. Péripatéticienne. Pute. Poule. Catin. Garce. Demi-mondaine. Hétaïre. Diplômée ès levrette. L’on peut m’appeler comme on veut, il n’empêche que la prostitution est mon métier, et surtout, qu’elle est mon choix.

 

Que cela en déplaise à certains ou à certaines, ou que cela choque leur morale ou l’image qu’ils s’étaient faite de la prostituée type, il existe une prostitution libre et consentie- oui, oui, je pèse mes mots-, qui s’oppose à une prostitution de réseaux, véritable traite humaine. Cette prostitution, qui s’exerce sans contraintes, est la mienne, et celle dont je parle aujourd’hui. Mon nom est Météora, je revendique des droits, et, mes petits chats, les choses ne vont pas aller en s’arrangeant.

 

Je ne suis pas tombée dans la prostitution suite à un scénario bien glauque que beaucoup se seront déjà empressés de se fabriquer. Comme l’écrit très justement Claire Carthonnet, prostituée et, à mon sens, l’une des plus grandes avocates de la parole des travailleurs et des travailleuses du sexe : «je ne suis pas tombée dans la prostitution comme dans une fange et exercer cette activité n’est pas la pire chose qui me soit arrivée. Je ne suis pas devenue prostituée en dernier recours, j’avais envie de cette vie parallèle»[3].

 

Travailleuse du sexe. Avec trois petits mots, on m’a déjà estampillé «victime» sur mon crop-top, comme une lettre écarlate. Je suis Esther Pryne, plus adultère, mais pute. Lorsque je clame haut et fort ne pas être une victime, la condescendance m’attend au coin du bois, comme un bon coup de pelle dans la gueule. L’on me balance des arguments sentant bon le paternalisme, en espérant me faire voir l’illumination.

 

Si je prends la parole aujourd’hui, c’est parce que pendant trop longtemps, et encore maintenant, beaucoup se permettent de parler en mon nom, et sont à l’origine de lois qui ne sont que des camouflets basés sur un amalgame entre prostitution et esclavage sexuel. Lois qui confondent pêle-mêle victimes et travailleuses, et qui me font l’effet de cadeaux bien enrubannés et aspergés d’Airwick pour y dissimuler la merde qu’on y a chié.

 

Pour bien comprendre ce que veut dire être prostituée en France, il est important de connaître la position de l’État sur la question. Suivant le modèle de la Suède -pour notre plus grand malheur- la France a adopté une attitude abolitionniste, voire prohibitionniste vis-à-vis de la prostitution. Elle n’est pas interdite (pas encore), mais elle n’est pas légale. En 2016, une loi de pénalisation du client a été adoptée, se voulant une mesure de protection en faveur des travailleuses et des travailleurs du sexe. Et c’est là où le bât blesse, car en réalité, cette loi nous affecte, nous, majoritairement, et rend notre métier encore plus précaire. Cette loi a eu pour conséquence de nous chasser des rues à coups de contrôles policiers, mais surtout, nous a retiré la possibilité de travailler dans des zones d’habitation plus sécuritaires. Elle nous a reléguées aux périphéries des villes, dans les zones industrielles, dans les bois de Vincennes et de Boulogne, où nous faisons face à toutes les agressions possibles et inimaginables, et où «même y vendre du pain relèverait du sport extrême»[4], comme l’écrit Virginie Despentes. Et où refuser certains clients ou certaines pratiques devient tout bonnement impossible.

 

Dans l’imaginaire collectif, la prostitution est vue comme une violence faite aux femmes, une humiliation, un avilissement. On est allé chercher les cas les plus horribles, les plus déchirants, une prostitution vécue dans les conditions les plus atroces, pour illustrer le propos et en faire une généralisation s’appliquant à toutes les personnes prostituées. De nouveau, je pense à Despentes : «c’est aussi pertinent que de parler du travail du textile en ne montrant que des enfants embauchés au noir dans des caves»[5]. Quand le discours est autre, loin du misérabilisme attendu, l’on nous somme de nous taire, l’on nous muselle avant de nous taxer de jouet du patriarcat pour invalider notre position et nos propos.

 

Bien entendu, la diabolisation de la figure du client, traité de «violeur légal», vu, grosso merdo, comme un satyre, la bite à la main, qu’il faut s’empresser de soigner, aide à propager l’idée d’une sexualité brutale, bestiale, s’abattant sur la travailleuse du sexe. Dans la réalité, et dans la plupart des cas, le client vient pour ce que j’offre et sait ce à quoi s’attendre. Comme dans tout échange de services, il y a un tarif pour ce que je propose, et lui paie le prix non négocié de la prestation. Et tout le monde s’en tient au script. Il serait naïf et hasardeux de nier l’existence de pommes pourries. Et c’est bien pour cela que je revendique des droits.

 

Pouvoir être protégée par la sécurité sociale. Pouvoir être protégée comme n’importe quelle citoyenne, et qu’on ne méprisera pas, car les agressions, les viols, les meurtres seraient dont ce à quoi je devrais m’attendre pour avoir refusé de changer de métier et de rentrer docilement dans les rangs. Pour avoir d’autres droits que seulement celui de payer des impôts, et surtout jouir d’une fiscalité adaptée à la précarité et dangerosité de notre boulot. Pouvoir cotiser pour nos retraites, sans passer par des caisses de retraite privées. Avoir droit au minimum vieillesse. Pouvoir toucher au RSA[6] . Pouvoir s’inscrire à Pôle Emploi, pour celles et ceux souhaitant arrêter la prostitution. Avoir le droit à la formation. Le droit au logement. Pouvoir, lorsque l’on est travailleuse immigrée, sans papiers, bénéficier de solutions de réinsertion autres que celles de plier des boîtes en touchant un salaire équivalent à celui d’un ex-détenu comme le préconisent les mouvements abolitionnistes, tels que le Nid. Pouvoir bénéficier d’un titre de séjour sans le chantage de devoir sortir de la prostitution, vue comme un stigmate indélébile qui nous humilie. Aucune de ces revendications n’est superflue. Ce sont les revendications de n’importe quelle salariée qui veut pouvoir travailler dignement.

 

Instituer un espace de prostitution libre, déstigmatiser l’activité prostitutionnelle, donner un statut aux travailleurs et travailleuses du sexe, ne reviennent pas à légaliser les abus, mais au contraire, à couper l’herbe sous le pied des réseaux mafieux, des proprios de maisons closes et des proxénètes. Cela permettrait également aux prostitué.e.s de ne pas avoir recours à des solutions mettant leur vie en danger.

 

Je suis une travailleuse du sexe, je suis féministe intersectionnelle, et je revendique des droits. Je terminerai sur les mots de Marcela Iacoub : «une société démocratique n’a pas à considérer par principe que la sexualité entre adultes ne saurait être comme telle l’objet d’un commerce. Et si aujourd’hui on met en question cette liberté, qui nous garantit que demain on n’en mettra pas d’autres en péril, au prétexte qu’elles choquent l’idée que certains se font de l’émancipation des femmes ?»[7].

 

 

[1] Définition de la prostitution donnée par le Petit Larousse.

[2] Edouard Hesse. «Comment bien vous comporter avec une prostituée ou un prostitué», dans Slate. 5 avril 2018.

[3]  Claire Carthonnet. J’ai des choses à vous dire. Éditions Robert Laffont. 2003.

[4] Virginie Despentes. King Kong Théorie. Les éditions Grasset. 2006. p.58.

[5] Ibid., p. 79.

[6] RSA – Revenu Solidarité Active : garantit à ses bénéficiaires, qu’ils aient la capacité ou non de travailler, un revenu minimum avec, en contrepartie, une obligation de chercher un emploi ou de suivre un projet professionnel pour améliorer sa situation financière.

[7] Marcela Iacoub, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet. «Ni coupables ni victimes : libres de se prostituer», dans J’ai des choses à vous dire. Op. cit., p. 262.

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