Les grandes affaires juridiques portées par des femmes autochtones au Canada : l’affaire Lovelace et le droit international

Ce billet est le deuxième d’une série qui porte sur les grandes affaires juridiques portées par des femmes autochtones du Canada, et qui seront analysées dans une perspective intersectionnelle.

 

 À lire : Les grandes affaires juridiques portées par des femmes autochtones au Canada : l’affaire Lavell

 

Depuis les années 1970, les femmes autochtones ont connu des défaites juridiques amères qui ont de quoi attirer de sévères critiques au système judiciaire, mais qui se sont parfois suivies par de francs succès qui ont de quoi inspirer toutes les féministes. J’ai eu envie de mettre en lumière certaines de ces affaires, afin de nous permettre collectivement de ne pas oublier d’où nous venons, mais surtout de rappeler les batailles éclatantes des femmes autochtones qui ont su porter leurs causes de brillante manière.

 

Sandra Lovelace et le Comité des droits de l’Homme

 

Dans le dernier billet, on a vu qu’en 1973 la Cour suprême du Canada a décidé d’ignorer la discrimination à l’égard des femmes autochtones dans la Loi sur les Indiens. À l’époque, les règles régissant le « statut d’Indien » prévoyaient non seulement que les Indiennes qui mariaient un non-Indien perdaient leur statut et le faisaient perdre à leurs enfants mineurs, mais un Indien qui mariait une femme non-Indienne lui faisait au contraire gagner le statut d’Indienne ! Dans l’affaire Lavell, la majorité des juges de la Cour suprême a décidé que la loi n’était pas discriminatoire puisque toutes les personnes visées par la loi étaient affectées de la même manière. Selon la majorité, l’égalité devant la loi signifiait l’égalité de traitement dans son application. Or cette idée est inconciliable avec l’égalité réelle lorsqu’une disposition de la loi est discriminatoire en soi, comme en l’espèce.

 

Malgré cette décision défavorable émanant du plus haut tribunal du pays, les femmes autochtones qui avaient perdu leur statut d’Indienne, convaincues du bien-fondé de leur cause, n’allaient pas en rester là… et moins d’une décennie plus tard, la question allait être portée avec succès devant le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies par Sandra Lovelace.

 

Madame Lovelace est née Indienne Malécite en 1948. En 1970, elle a perdu son statut en mariant un non-Indien et a quitté sa communauté. Après son divorce, elle souhaitait retourner vivre dans sa communauté d’origine, mais en fut empêchée en raison des règles de sa communauté qui permettaient seulement aux personnes ayant le statut d’Indien d’y résider.

 

En 1981, le Comité des droits de l’Homme a rendu une décision favorable à la demande de madame Lovelace. Le Comité a jugé que le gouvernement du Canada avait violé l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques puisque, en tant que personne appartenant à un groupe ethnique minoritaire, l’impossibilité pour madame Lovelace de retourner vivre dans sa communauté d’origine faisait en sorte de la priver injustement de son droit de vivre sa propre vie culturelle et d’employer sa propre langue.[1]

 

Il est intéressant de noter que la décision de la majorité des experts du Comité précise que cette décision a été prise à la lumière de l’échec du mariage de madame Lovelace, une situation qui expliquait qu’elle désire retourner dans sa communauté d’origine.

 

L’un des experts a toutefois émis une opinion dissidente selon laquelle les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens étaient discriminatoires, et plus particulièrement en raison du sexe. Contrairement à lui, la majorité a évité de traiter de la question de la discrimination, en se fondant uniquement sur la violation du droit à la culture et à la langue des personnes appartenant aux minorités.

 

Les suites de l’affaire Lovelace

 

À la suite de la décision du Comité des droits de l’Homme dans l’affaire Lovelace et dans la foulée de l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés (1982), le gouvernement du Canada a décidé d’entreprendre la modification des dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens, qui apparaissaient de moins en moins conciliables avec les valeurs de justice et d’égalité dont le gouvernement faisait la promotion.

 

En 1985 ont donc été adoptées les modifications législatives visant à redonner leur statut d’Indienne à des milliers de femmes autochtones ainsi qu’à leurs enfants, leur permettant aussi d’être réintégrés à leur bande d’origine. À partir de 1985 donc, le mariage n’a plus eu aucune incidence sur le statut d’une personne, mais la complexité des dispositions législatives a aussi fait en sorte de créer d’autres formes de discrimination sur les générations suivantes, comme nous le verrons dans le prochain billet…

 

Quant à Sandra Lovelace, elle a retrouvé son statut et a continué de militer pour les droits des femmes autochtones. Elle a été nommée Sénatrice en 2005 et siège toujours à Ottawa.

 

 

[1] Décision en ligne : < http://www.usask.ca/nativelaw/unhrfn/lovelacefiles/doc18.pdf > [consulté le 15 avril 2018].

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