Retour sur le forum La Grande transition

Éliane Legault-Roy, politologue et consultante en communication et relations publiques

 

« Il n’y a pas d’alternative [au capitalisme]. L’entrepreneuriat et la compétitivité doivent être défendus. Cela fait consensus », affirmait au Monde en 2013 Klaus Schwab, le fondateur du célèbre forum économique de Davos. Une idée reprise en chœur par nombre de dirigeant·es d’État et penseur·es néo-libéraux tout aussi bien que par les parvenu·es québécois·es dénoncé·es dans le Manifeste de Julia Posca1, attaché·es à un modèle hérité d’une autre époque.

 

Mais ce que ces dernier·es s’efforcent désespérément de maintenir – malgré des écueils évidents –, le forum La Grande transition propose de s’en délester. Du 17 au 20 mai, ce premier forum « post-capitaliste » présentait d’autres solutions pour exister, produire et s’épanouir en dehors des ornières du système actuel.

 

Rassemblant au cœur des sciences de l’UQAM plus de 370 panélistes intervenant sur 120 ateliers et 6 grandes conférences ainsi que 1000 participant·e·s issu·e·s du milieu académique et des mouvements sociaux, La Grande transition a pour ambition de favoriser la création de réseaux d’affinités autour de luttes communes. « L’objectif n’est pas seulement de critiquer le système et les oppressions que nous vivons, explique Maïka Sondarjee, co-porte-parole et organisatrice de l’événement, mais également de bâtir des alternatives. »

 

Pourquoi penser l’après?

L’idée de cet ambitieux projet a germé au printemps dernier alors qu’Emmanuel Guay, doctorant en sociologie à l’université McGill, et Alain Savard, militant au sein du groupe Lutte commune, envisagent d’organiser un colloque sur le capitalisme et l’anticapitalisme. Rapidement, ils s’adjoignent la revue Historical Materialism et l’organisation des Nouveaux cahiers du socialisme, des habitués de ce type d’événement. Mais si de germe le projet est rapidement passé à forêt, c’est qu’il a pu compter, selon Mme Sondarjee, sur une « équipe du tonnerre » qui a su démontrer toute l’efficacité dont peut faire preuve une organisation autogérée « où chacun·e agit selon ses capacités et intérêts ». Voilà l’une des forces de La Grande transition : prêcher par l’exemple.

 

Ainsi, qu’ils et elles soient universitaires, syndicalistes, élu·e·s ou militant·e·s, les panélistes – issu·e·s de 12 pays différents – ont présenté lors du forum autant le fruit de leurs recherches que de leurs luttes. De l’expérience du Bâtiment 7 à la ré-articulation du mouvement de libération féministe par les femmes kurdes en passant par la justice économique par et pour les personnes racisées à Montréal jusqu’à la renaissance de Science for the People dans la foulée de l’élection de Donald Trump, les trois journées d’ateliers ont permis aux participant·es de se familiariser avec plusieurs études de cas et de rencontrer nombre de personnes pouvant témoigner de leur expérience de ces brèches dans le système. « L’objectif était aussi de créer des liens entre francophones et anglophones, de mettre sur pied des réseaux de luttes communes et de penser à comment on s’organise pour changer le monde », explique Mme Sondarjee.

 

L’utilité d’un tel rassemblement pour les luttes à venir

Comme le soulignait le communiqué annonçant l’événement, c’est à deux semaines du G7 et de son contre-sommet qu’a eu lieu La Grande transition. « La mobilisation contre les politiques du G7 s’organise. C’est un bon moment pour penser une grande transition sociale vers une économie démocratique, une économie différente de celle qui ne cesse d’engendrer burnout, inégalités sociales et crises écologiques », soutient Élisabeth Béfort-Doucet, co-porte-parole et organisatrice de l’événement.

 

Il s’agit en effet d’un moment charnière pour les mouvements sociaux québécois mais également canadiens, qui seront sans nul doute amenés dans les prochaines années à mener nombre de combats décisifs contre des élites privées toujours plus gourmandes et les gouvernements répressifs à leur botte. Voilà une excellente raison de se réseauter et d’apprendre de l’expérience et des réflexions de camarades d’autres luttes, de diverses générations et d’un peu partout.

 

Tout cela est bien beau, mais que restera-t-il une fois que chacun·e sera rentré·e à la maison? « On aimerait que les gens se posent plus de questions sur tous les systèmes d’oppressions qui nous dominent, pas seulement théoriquement, mais dans la vie de tous les jours », explique Mme Béfort-Doucet. « Et que le forum ait donné aux gens le goût de réfléchir ensemble, comme société, à comment dépasser ces systèmes et bâtir un monde équitable pour tous et toutes », conclut Mme Sondarjee.

 

Pour celles et ceux qui ne pouvaient être présent·es, quelques une des conférences de La Grande transition ont été filmées et sont disponible sur la page Facebook de l’événement :

https://www.facebook.com/pg/transition2018/videos/?ref=page_internal

 

1 Julia POSCA, Le manifeste des parvenus. Le think big des pense petit, Montréal, Lux Éditeur, 2018.

 


Un forum féministe

Les 120 panels de La Grande transition étaient regroupés selon 16 thèmes tels que « syndicalisme » et « écologie ». Un de ces thèmes était consacré au féminisme et huit panels spécifiquement sur la question du féminisme ont rassemblé pas moins de 25 panélistes abordant des sujets aussi variés que le droit au logement, la lutte de classe ou la reproduction sociale.

« Pour une fois, un événement post-capitaliste intégrait aussi les dynamiques d’oppression liées au patriarcat et nous avons tenté de comprendre le post-capitalisme comme aussi féministe, explique Mme Sondarjee. Comme ça se fait rarement, on n’a pas tout réussi (parité homme/femme partout, le capitalisme a quand même été privilégié, etc.), mais on a essayé de notre mieux! »

Il faut également mentionner que les organisateurs et organisatrices de l’événement ont pensé à offrir un « espace enfants » (service de garderie) gratuit, un fait encore trop rare dans ce type d’événements. De plus, les deux porte-parole de l’événement étaient des femmes.

« Mon coup de cœur a été “Perspectives féministes sur les alternatives économiques : dialogue intergénérationnel”, un super panel, composé que de femmes, note Mme Béfort-Doucet. C’était fascinant! Elles m’ont beaucoup appris, autant sur l’histoire de l’économie sociale que les alternatives en place au Québec. À noter également que l’allocution de l’éco-féministe Maude Prud’homme, qui participait au panel de fermeture, était tellement géniale qu’elle lui a valu des applaudissements debout. De beaux moments! »

 

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