Que fait-on de notre langue ?

Nous sommes face à un souci: la langue française stagne malgré elle, empêchée d’avancer par des moralisateurices archaïques, qui la rendent rigide et centrée sur elle-même.

 

Pourtant, le propre d’une langue, c’est d’évoluer. Des mots perdent leur sens, en gagnent d’autres, tombent dans la désuétude (un peu comme ce mot, tiens !), des mots s’inventent, des mots disparaissent. C’est un procédé bien naturel et s’y opposer serait vain.

 

Nous voici plusieurs mois après la polémique de l’écriture inclusive et le monde ne s’est pas écroulé. On a reproché à cette écriture d’être compliquée, de ne pas respecter les règles de grammaire, et même de « mettre en péril mortel la langue française », rien que ça ! C’est en tout cas ce que craignent les membres de l’académie française, heureusement cette réaction disproportionnée a surtout été moquée. Des réactions bien exagérées et à côté de la réalité pour quelque chose d’aussi mouvant que la langue.

 

Revenons un peu sur l’académie française. C’est une imposture monumentale. Il s’agit à la base d’un club privé composé principalement de vieux hommes blancs et riches ; l’académie n’est pas légitime de dicter mots et règles de grammaire, ses membres ne sont même pas linguistes ! C’est donc l’opinion d’une classe dominante par bien des aspects qui dicte dans le plus grand des calmes des règles conservatrices et problématiques.

 

Car ne nous leurrons pas, la langue française est excluante. D’abord pour les femmes, avec, notamment, la règle qui nous a tant indigné·es lorsqu’on l’a apprise : le masculin l’emporte toujours sur le féminin. Des règles grammaticales réellement sexistes, héritées du XIXe, siècle particulièrement machiste. Car oui, le lien entre langage et sexisme est bien réel. Prenons l’exemple de la profession de sage-femme. Il existe un mot exclusivement créé pour les hommes exerçant cette profession : maïeuticien. Car il semblait impensable d’appeler des hommes avec une expression qui contenait «femmes». Précisons que l’académie refuse le terme « maïeuticienne » pour les femmes.

 

C’est cette même académie, suivie des conservateurices, qui refuse la féminisation de certains mots comme « pompier », dont le féminin « pompière » continue de faire débat. Faut-il rappeler que le métier de pompier·e n’est accessible aux femmes que depuis 1976 en France ?

 

Ces règles ont été créées pour imposer une norme non seulement sexiste, mais également élitiste.

 

Cette norme maintenue par l’académie française contribue à hiérarchiser le langage et les individus: celleux qui ne font pas de fautes et celleux qui en font. Celleux qui maîtrisent l’écriture et toutes ses règles et celleux qui ne la maîtrisent pas.

 

On entend souvent l’argument du niveau de langue comme indicateur du niveau intellectuel : si vous ne maîtrisez pas chaque temps ou que vous délaissez la lecture des « grands classiques » pour celle d’autres médias, c’est que l’intelligence se perd et que notre monde sombre dans la bêtise. Pourtant, ces autres médias, souvent méprisés et considérés comme une sous-culture, sont tout autant des apports de culture et de connaissances que les médias dits « traditionnels ». Et ne pas parler comme un académicien ne signifie pas être idiot·e. Ne pas maîtriser une langue, étrangère ou maternelle, ne signifie pas que l’on est idiot·e. Les règles de la langue françaises sont compliquées, même lorsqu’il s’agit de sa langue maternelle, alors qu’en est-il pour des personnes allophones essayant d’apprendre le français ?

 

Notre société évolue, heureusement, mais elle doit pousser les carcans que nous imposent la langue figée et ses défenseureuses, avec des arguments aussi inutiles et subjectifs que « oui mais ce n’est pas beau à l’oreille ». C’est ce même snobisme qui tend à décrédibiliser un discours si celui-ci contient ne serait-ce qu’une faute. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai pu lire un commentaire, pertinent ou non d’ailleurs, auquel on répondait aussitôt « vas d’abord apprendre à écrire ». Il faut arrêter de privilégier la forme au fond.

 

Les fautes, les mots abrégés et l’écriture au son ne sont pas signe d’une moindre intelligence.

 

Notre société change au profit de nouvelles formes de communication et d’un besoin croissant de rapidité. Il n’y a qu’à voir twitter : pour exprimer une idée en 140 caractères, il faut quelquefois faire des concessions d’espace, de lettres et de syntaxe. Parallèlement, cette contrainte n’empêche en aucun cas ce réseau d’utiliser l’écriture inclusive, comme quoi c’est possible, il suffit de faire un effort.

 

Qui a le droit de vous dire ce qui s’écrit ou non ? Il y a une police de la grammaire ? Pourquoi ne pourrait-on pas écrire « J’ai dirigé une équipe de 10 employé·es » dans un CV ? Pourquoi ne pourrait-on pas écrire « autrice » ? Qui peut nous empêcher d’utiliser la règle de proximité ? « Le vin et la bière sont coupées à l’eau ». Pourquoi laisse-t-on une poignée de vieux bonshommes décider de quelque chose d’aussi important que la langue ? Changer le langage, le rendre plus « féminin » ou inclusif, c’est prendre de la place dans ce monde pensé par et pour des dominants, c’est prendre sa place et reconnaître que les autres existent et ne sont plus des minorités sur lesquelles le masculin l’emportera toujours.

 

Il en va de même avec les anglicismes et les néologismes: je ne vois pas pourquoi je me priverais de certains concepts, de certains mots, qui expriment une idée à merveille, mais n’existent pas (encore) dans ma langue maternelle.

 

Mes cher·e·s lecteurices vous savez ce qu’il vous reste à faire !

 

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