Les féminismes autochtones : Une réaction au féminisme hégémonique blanc

Les féminismes autochtones ne sont étudiés que depuis peu. Ce sont des courants théoriques qui ont émergé dans les dernières décennies seulement. La question du sexisme au sein des populations autochtones émerge à peine. On voit alors de plus en plus de femmes autochtones se revendiquer féministes, et ce, non sans controverse. En effet, les féminismes autochtones peuvent être considérés comme étant non, ou même, anti-autochtones et comme s’appropriant certaines attitudes coloniales. Il sera alors discuté de la pertinence des féminismes autochtones et de leur apport dans la création de rapports sociaux plus égalitaires au sein des communautés, mais aussi dans une perspective plus nationale, voire globale. Ces féminismes doivent être considérés dans le courant féministe dominant afin que soient réellement comprises les réalités de toutes les femmes.

 

Il me semble d’abord essentiel de mentionner que les communautés autochtones ne forment pas un ensemble homogène. Elles vivent toutes des réalités différentes. C’est, entre autres raisons, pourquoi nous parlons de féminismes autochtones au pluriel. Ce qu’ont en commun ces féminismes est la colonisation. Toutes les communautés ont vu, par la colonisation, des changements s’opérer dans leur organisation sociale (Hundorf et Suzack, 2010, p.3). Le regard colonial teinte encore aujourd’hui les relations à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur des communautés.

 

La colonisation a instauré un système paternaliste au sein de communautés autochtones. Le patriarcat s’est incrusté dans les instances de pouvoir ainsi que dans les relations interpersonnelles. Dans une optique de perpétuation, le système colonial se devait de créer un « Autre » et ultimement une hiérarchie pour pouvoir établir une domination. Concevoir un « Autre » de telle sorte est particulièrement raciste. L’héritage colonial imagine l’« Autre » comme étant violent, sale, paresseux, inférieur à la classe dominante. La notion de «race» devient donc un outil efficace de division et de domination qui, ultimement, affecte énormément les femmes autochtones (Perreault, 2015, p.43). Cette violence patriarcale, la violence genrée et raciale ont créé une hiérarchie des genres, qui était absente des sociétés autochtones traditionnelles, et des rapports de domination (Perreault, 2015, p.45). Ce qui a évidemment contribué à rendre invisibles les femmes autochtones et leurs revendications dans leurs communautés, de même que dans la société globale. Cette invisibilisation n’a pas échappé au féminisme dominant, soit le féminisme blanc.

 

La théorie autour des féminismes postcoloniaux permet de mieux comprendre la situation des femmes autochtones, puisqu’elle souligne l’universalisme mis de l’avant par le féminisme blanc et un certain europocentrisme dominant dans la production de son savoir. Les féminismes autochtones permettent donc de constater des réalités particulières que vivent ces femmes racisées et les rapports de domination engendrés par le colonialisme qu’elles ont subi et subissent encore. (Dechaufour, 2008, pp. 102-103).

 

La marginalisation des femmes autochtones au sein du féminisme hégémonique a contribué à créer une image de « la » femme racisée. Les femmes blanches, étant en position dominante, ont mis en priorité l’oppression de genre. Les féministes racisées, telles que les femmes autochtones, soulignent l’importance de considérer, non pas seulement le genre, mais la «race» dans l’analyse des rapports de domination vécus par les femmes (Dechaufour, 2008, p. 104). L’erreur du féminisme dominant est de ne pas avoir entendu, de ne pas entendre, toutes les voix..

 

Les féminismes postcoloniaux ont pour objectif de repenser les différentes résistances présentes dans la société, celles-ci n’étant pas que monolithiques. Ils posent une critique anticoloniale sur les effets de la colonisation et de l’impérialisme dans les rapports de genre (Dechaufour, 2008, p. 108).

 

Le féminisme intersectionnel offre aussi une grille intéressante pour penser la condition des femmes autochtones, puisque l’intersection entre la «race» et le genre y est considérée, mais aussi le contexte plus global dans lequel cette intersection évolue et les conditions qui rendent les rapports de dominations possibles.

 

Existe-t-il un féminisme autochtone ? Des féminismes autochtones ? Il sera toujours plus que pertinent de répondre à l’affirmative à ces questions et de souligner qu’ils sont pluriels. Toutes les femmes autochtones ne vivent pas les mêmes réalités, dépendamment de leur position géographique et des enjeux propres à leur communauté, par exemple. La question se pose tout de même, car plusieurs femmes autochtones elles-mêmes ne se considèrent pas féministes ou ne se reconnaissent tout simplement pas dans le mouvement, et ce, pour plusieurs raisons. Certaines d’entre elles trouvent que le féminisme occidental est éloigné de leurs réalités. Notons d’ailleurs que le mouvement féministe lui-même fait parfois preuve de racisme envers les femmes autochtones.

 

La critique du patriarcat que font les féministes occidentales, qui met en opposition les hommes et les femmes, n’est pas conforme aux valeurs véhiculées par les peuples autochtones, ceux-ci étant davantage axés vers une considération de tous et de toutes dans la recherche de solution, ne cherchant pas nécessairement la confrontation (Arnaud, 2014, p.213). Les femmes autochtones ne critiquent alors pas seulement le patriarcat, mais aussi le système colonial.

 

Prenant compte que plusieurs femmes autochtones ne se considèrent pas féministes, certaines féministes autochtones ont dû se battre sur plusieurs fronts pour faire reconnaître la légitimité de leurs revendications. Au sein des communautés, certaines de leurs luttes étaient considérées comme irraisonnables, voire anti-autochtones. En critiquant le patriarcat par exemple, certaines populations trouvaient qu’elles empruntaient des revendications aux féministes blanches (Arnaud, 2014, pp. 215-217). Malgré toutes les différences entre les divers féminismes autochtones, ils traitent tous de l’intersection entre le genre, la «race» et le colonialisme.

 

Afin que tous les féminismes se portent bien, ils doivent prendre conscience d’eux-mêmes, de leur diversité. Il est primordial que toutes les femmes forment des alliances entre elles, tout en reconnaissant les différences dans les réalités qu’elles peuvent vivre. Ceci permet aux différents mouvements de conserver une certaine indépendance et la légitimité de leurs revendications (Arnaud, 2014, p.212). Il est donc primordial de se rappeler que les féministes autochtones ne forment pas un bloc homogène et qu’elles ont des pratiques différentes de ce qui est représenté par le féminisme hégémonique (Légaré, 2013, p.18). Cette alliance doit donc prendre en considération les différences culturelles, linguistiques et spirituelles (Cunningham, 2006, p. 59). L’avenir du féminisme tient à la reconnaissance de ces différents contextes.

 

 

Bibliographie

Arnaud, Aurélie. 2014. « Féminisme autochtone militant : Quel féminisme pour quelle militance? », Nouvelles pratiques sociales, vol. 27, n.1, pp. 211-222.

Cunningham, Myrna. 2006. Indigenous Women’s Visions of an Inclusive Feminism », Development, 49 (1) : 55-59.

Dechaufour, Laetitia. 2008. « Introduction au féminisme postcolonial », Nouvelles Questions Féministes, vol. 27, n.2, p. 99-110.

Légaré, M-I. « Femmes autochtones: au-delà d’une solidarité de papier » dans Descaries, Francine. 2013. « Féministes, gare à la dépolitisation », Relations, n.762, pp.17-20.

Hundorf Shari et Suzack Cheryl. 2010. « Indigenous Feminism: Theorizing the Issues », dans C. Suzack (et al.), Indigenous Women and Feminism. Politics, Activism, Culture. Vancouver, UBC Press: 1-20.

Perreault, Julie. 2015. « La violence intersectionnelle dans la pensée féministe autochtone contemporaine », Intersectionnalités, vol. 28, n. 2, pp. 33-52.

Suzack, Cheryl. 2015. « Indigenous Feminisms in Canada», NORA – Nordic Journal of Feminist and Gender Research, vol. 23, n.4, pp. 261-274.

 

 

 

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