La vérité sur les publicités cachées, ou comment l’industrie du marketing profite de l’été pour dire aux femmes quoi faire plus que jamais

Sérieusement, on va se le dire : l’été l’échappe.

 

En fait, ce n’est pas l’été, le problème.

 

Ce n’est pas vrai que c’est la température parfaite, les baignades improvisées et encore moins les festivals, le problème.

 

Le problème, c’est le commercial qui vient avec les plages, c’est l’argent à faire avec la chaleur, c’est les chaînes YouTube de rituel beauté, les comptes Instagram sponsorisés, les textes de blogues de « 5 trucs pour », de magazines qui te disent « comment », les pubs de bière ou de maillots de bain, les « température parfaite pour » à la radio, les sourires bronzés sur les affiches, c’est toute l’industrie du marketing qui l’échappe avec l’arrivée de la canicule.

 

C’est le même principe toute l’année, mais les harcèlements du genre se multiplient quand vient la saison de se dénuder. Comme si, chaque année, entre publicitaires et entrepreneurs, on se passait le mot : dès que l’enthousiasme généré par le soleil arrive, renversons-le, trafiquons-le, subtilisons-le pour qu’il rejaillisse sur nous par un subtil effet de rebond. Sur nos produits, notre image, notre marque. De sorte que les consommatrices, surtout elles, courent pour nous lancer leurs billets et leur menue monnaie, chapeau de paille et verre de sangria à la main. Que dans leur tête, un joyeux transfert s’opère, entre « youpi, c’est l’été » et « youpi, c’est l’heure de me raser, m’entraîner, me crémer, m’autobronzer, me vernir, me shiner, l’heure des lectures légères pré-suggérées devant ce poke bowl minceur prédigéré, juste avant de visiter ces 5 endroits incontournables où essayer les 10 activités trop chères à ne pas rater ». Bref, semblent-ils se passer le mot, disais-je, profitons de la saison chaude pour dire aux femmes plus que jamais ce qu’elles doivent faire et que cette fois-ci, oui, cette fois-ci, enfin, elles écoutent.

 

Peut-être que j’ai l’air d’exagérer. Mais nous ne savons pas tout.

 

Pour mieux t’illustrer, je vais t’avouer un secret. J’ai travaillé (et travaille parfois encore à travers les mots, il faut bien payer son loyer et prendre de l’expérience à ce qu’on dit), j’ai travaillé, donc, pour ce monde délicieux du vendre-du-rêve-comme-s ’il-en-pleuvait. Je viens de l’intérieur. Je sais. J’ai vu.

 

Ce monde est confortable dans ses chimères, tout à fait à l’aise de demander un texte sur un sujet X pour vanter les bienfaits d’un produit Y sans jamais nommer le client Z afin qu’on ne voie pas la pub derrière « l’article ». Parce que personne n’en parle. Personne ne dénonce le manque d’éthique. Secret professionnel. Et pour cause. Moi-même j’aurais perdu plusieurs contrats de rédaction très lucratifs pour une jeune autrice si je n’avais décidé, à la dernière minute, de conserver l’anonymat. Mais après un temps précieux passé à écrire ce que l’on veut bien que j’écrive, anonyme ou pas, la revanche est douce et, promis juré, je ne nommerai personne.

 

Je veux simplement que tu saches, toi qui lis ceci, toi qui est éveillée, forte, indépendante et conscientisée, toi qui penses que tu ne lis pas, ne t’approches pas, ne consommes pas de publicité, que tu saches que même ça, que tu te tiens le plus loin possible de toute forme de sollicitation, eh bien les publicitaires le savent. Je veux que tu saches que ces as de la manipulation et de la psyché te connaissent mieux que cet ami de longue date à qui tu ne parles plus souvent mais dont tu as déjà été si proche, et que le merveilleux monde du marketing t’attend toujours dans le détour, avec ses publicités cachées là où tu les soupçonnais le moins.

 

Je vais te donner un exemple tiré de la réalité vraie. Une entreprise, disons, de sous-vêtements en tiges de fraises recyclées, fait son entrée sur le marché. Locale, écolo, bio, végane, ladite entreprise n’a en soi rien à se reprocher. Mais observons ses tactiques.

 

Un matin, sur ton fil d’actualité en ligne, un blogue que tu aimes bien te propose une liste d’une dizaine de youtubeuses minimalistes et inspirantes que tu dois absolument suivre cet été. Distraite ou ennuyée, tu cliques sur le lien et parcours le texte du bout des yeux. Une jeune femme au sourire franc qu’on décrit comme authentique attire ton regard. Tu cliques encore, parcours sa chaîne, te dis pourquoi pas, et cliques à nouveau pour en devenir abonnée.

 

Quelques jours plus tard, puisque désormais tu la suis, la même youtubeuse capte ton attention, cette fois-ci pour te parler de ces sous-vêtements extraordinaires dont elle ne peut plus se passer, presqu’invisibles sous les petites robes et faites de tiges de fraises recyclées. Intriguée, tu te rends sur le site de l’entreprise, en parle avec tes ami.es, tombes sur un code promo comme par hasard et achètes un bel ensemble. Peut-être. Ou peut-être pas.

 

Mais ce qui est sûr, c’est que ce texte sur les youtubeuses attrapé sur ton blogue préféré, ou cet autre zyeuté l’autre jour dans un magazine féminin ou d’actualité (même certaines sources des plus sérieuses n’y échappent pas), ce texte que tu as lu au départ n’était pas le fruit d’un travail journalistique de quelque sorte qui soit, dans le sens où l’on y aurait partagé un point de vue objectif, impartial ou bienveillant, comme l’on a pu te le laisser croire par des photos dépourvues de slogans, un ton amical tout en tutoiement et en féminité (le même que dans cet article, c’est tout pensé) ou la gentille signature d’une blogueuse cool ou d’un expert au bas de la page ou de l’écran.

 

Ces articles sont plutôt le résultat de recherches hautement biaisées, dont l’angle prédéfini est fourni au rédacteur afin de correspondre à l’image de marque d’une compagnie ayant un important message à passer : son produit est le meilleur et tu te dois de te l’acheter.

 

Et c’est le même phénomène qui arrive avec certaines entrevues à la radio ou à la télé, où l’on réussit à te faire croire que personne n’a reçu de cadeau ni n’a été payé pour soudainement se déclarer fan de quelque chose, de quelque part ou de quelqu’un. En fait, la plupart du temps, tout est si bien orchestré que tu ne te poses même pas la question.

 

Malheureusement, il faudrait remonter dans l’histoire pour bien en saisir le pourquoi, mais les femmes de 18 à 35 ans sont les plus souvent visées par cette tonne d’informations publicitaires dissimulées sous l’apparence de conseils, astuces ou autres découvertes géniales. Peut-être parce que la pression d’exhiber un corps parfait et un bonheur vitaminé se fait plus forte sur le sexe féminin, surtout en juillet. Dans tous les cas, il apparaît clair que chez les industrieux de notre Amérique nordique, la courte période estivale est une mine infinie d’inspiration pour la création de contenu qui donnera l’impression de vouloir t’aider à profiter au maximum de ton été (à condition, bien sûr, d’avoir le beach body qu’il faut).

 

De la part d’une humble rédactrice, voici donc mon seul et unique conseil : à l’ère de l’hypercommunication (cent fois sur les réseaux sociaux répéter votre mensonge! — et il sonnera vrai), fais du « penser par soi-même » de Socrate ton nouveau mantra et aiguise ton esprit critique sur tout ce qui te passera sous la dent, goût de fraises ou non.

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