Le désir vécu des femmes: trois perspectives littéraires

Le rapport particulier qu’entretiennent les femmes avec la littérature érotique ne date pas d’hier. En fait, les femmes écrivent le sexe et le désir depuis toujours. Toutefois, cela n’était pas sans risque ou périls puisque, longtemps, l’on croyait que ce genre de texte allait à l’encontre de leur nature et qu’il serait dangereux pour elles d’être exposées à ce genre d’écrit. L’écriture féminine devait ainsi se limiter au sentimental et à l’amour puisque le sexe et la libido, comme le disait Freud, étaient associés au pouvoir et à la force, alors que les femmes représentaient le désir objet. Malgré ces avertissements, les femmes ont tout de même écrit le sexe. L’histoire aura toutefois réussi à faire oublier ce fait ou a sérieusement négligé s’en souvenir. Par conséquent, au cours des dernières décennies, il y a une croyance comme quoi les femmes sont en plein éveil de l’écriture érotique, si bien que ce mouvement est maintenant considéré comme un nouveau courant littéraire.

 

Dans son livre Désir et insoumission chez Arcan, Millet et Ernaux, l’auteure Joëlle Papillon reprend les études déjà entreprises dans des recherches antérieures et continue sa propre enquête sur la littérature féminine. Professeure à l’Université McMaster, elle a pour but, avec son livre, de donner un aperçu de la production littéraire francophone en analysant trois œuvres de trois auteures différentes, soit Nelly Arcan et son roman Folle, Catherine Millet dans La vie sexuellede Catherine M. et Annie Ernaux dans Se perdre. Dans son analyse littéraire, l’auteure décrit comment les femmes, par le biais des mots et de la langue, illustrent le désir féminin, que ce soit dans la violence, la timidité, la pornographie, le danger ou l’harmonie. De plus, en prenant des romans francophones, l’auteure tente de mieux faire connaître la littérature contemporaine, donnant du même coup une meilleure connaissance de notre époque, de notre culture et de nous-mêmes. Ce livre sert ainsi de réflexion sur les relations homme-femme et sur les différents types de désir et de pouvoir présents chez les femmes.

 

 Trois femmes, trois différentes expériences de désir

 

Tout d’abord, dans le roman Follede Nelly Arcan, il est question de la relation masochiste que la protagoniste vit avec son partenaire. Le désir est alors vécu dans la douleur. Par l’entremise de l’hyperbole et de la métaphore, Arcan met l’accent sur sa propre position d’infériorité, sur la supériorité de son amant ainsi que sur son emprise sur elle. La protagoniste vit toutefois bien avec sa position inférieure puisqu’elle conserve tout de même une façon de vivre son agentivité par l’écriture. À vrai dire, selon la logique de Nelly Arcan, si son amant utilise la force, son pouvoir d’homme, pour la contrôler, elle utilise pour sa part les mots et son livre pour avoir finalement le dernier mot sur l’homme. Autrement dit, en exposant sa relation et sa soumission au grand public, elle tente d’humilier son partenaire. Son coup final sera son suicide qui conclut son roman. Par ce dénouement, elle espère que cet acte servira de leçon à l’homme. Deux aspects de la relation sont alors mis à jour : en voulant humilier son amant en révélant ses actes de violence et de sadisme envers elle, elle s’expose aussi en tant que soumise. Dans tous les cas, les deux personnages terminent perdants.

 

Ensuite, dans le cas du roman de Catherine Millet, la femme est aussi en position de soumission, mais elle exprime pour sa part son désir par son envie de conquêtes sexuelles. Catherine se voit soumise à son refus de fidélité envers une seule personne et éprouve son plaisir dans le plaisir qu’elle donne aux autres. Autrement dit, son plaisir s’exprime dans son pouvoir de dire oui ou non à laisser pénétrer son corps par ses amants. Ses rapports sexuels ne résultent pas nécessairement d’envie de sexe, mais bien du désir d’offrir une jouissance à quelqu’un. En décrivant ses histoires sexuelles sous forme d’autobiographie, elle raconte comment elle vit et aime la sexualité de groupe et les rencontres sexuelles avec des inconnus. L’idée n’est pas d’être contre le couple plus traditionnel : il ne s’agit pas d’une critique négative du couple ou d’une dénonciation, mais bien de présenter un autre type de pratique sexuelle, moins conventionnelle. D’ailleurs, comme dans le cas de Nelly Arcan, Catherine ressent qu’elle a le dernier mot malgré sa soumission, puisque par son écriture, elle a le contrôle sur des personnages, ses histoires et ses hommes qu’elle conquit.

 

Finalement, le roman Se perdre d’Annie Ernaux présente le désir de façon extrême. Inspirée de son propre journal intime, l’auteure présente au grand jour sa dépendance vis-à-vis de sa passion. Dans ce livre, le fait d’être en relation signifie pour l’auteure une perte de son autonomie et donc de son agentivité, ce qui la place dans une position de soumission. Ce roman met ainsi de l’avant une valorisation de la femme-objet puisque le fait de se sentir désirée la nourrit. Sans son amant, elle se sent vide, ce qui la place dans une position de double dépendance : dépendante du désir et dépendante de son besoin de vivre avec l’autre, l’occupation avec l’autre. En fait, l’auteure apprend à se connaître en vivant son désir. Autrement dit, l’auteure ne peut savoir qui elle est réellement si elle ne vit pas à fond ses désirs et sa relation avec son amant.

 

Pourquoi devriez-vous lire ce livre?

 

Le livre Désir et insoumission chez Arcan, Millet et Ernaux est le résultat d’une grande recherche scientifique littéraire. En plus de ces trois romans analysés, l’auteure fait mention de beaucoup d’autres écrits en guise de comparaison ou de référence. L’auteure réussit son objectif de prouver que le désir n’est pas que vécu et ressenti d’une seule façon. Toutefois, comme point un peu plus faible, l’ouvrage ne se lit pas comme un roman en raison du style d’écriture et du contenu qui est parfois lourd puisqu’il est rempli de concepts théoriques, qu’ils soient littéraires, féminins, psychanalytiques, ou autres. La présence de ce vocabulaire montre toutefois le sérieux et la rigueur scientifique de l’ouvrage. À tous ceux qui veulent en apprendre plus sur la littérature féminine, sur les concepts liés au féminisme ou par simple curiosité, je vous recommande ce livre.

 

Image: Presses de l’Université Laval (PUL)

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