Un silence assourdissant

Dans la nuit du 16 au 17 août, Vanessa Campos a été assassinée.

Vanessa Campos était une femme transgenre, elle était travailleuse du sexe, et elle a été assassinée dans l’indifférence la plus totale. Offices gouvernementaux, police, associations féministes, tous et toutes indifférent.e.s à l’assassinat lâche et banalisé d’une travailleuse du sexe. Sept à huit hommes s’en sont pris à elles pour la tuer. Sont-ils recherchés ? Sont-ils inquiétés ? Il y a fort à parier que non, parce que qui se soucierait de la mort d’une prostituée, migrante et transgenre ?

 

Je ne suis pas étonnée du manque de réaction gouvernementale et policière. Cette indifférence, ce mépris, ce dédain, je m’y attends de la part de ceux qui ne prennent aucune mesure de peur de froisser leur électorat, ou de ceux qui agissent trop peu, trop tard. Je m’y attends aussi de la part du « bras de la justice », qui n’hésite pas à racketter les travailleuses, qui n’hésite pas à mégenrer pour humilier, qui n’hésite pas à mettre des travailleuses trans dans les cellules destinées aux hommes pour qu’elles s’y fassent tabasser par les détenus, comme l’écrit avec justesse Thierry Schaffauser[1]. Par contre, ce qui me brise le cœur, c’est l’indifférence de celles et de ceux qui se disent féministes. J’ai écumé toutes les pages auxquelles je suis abonnée sur Facebook, Twitter et Instagram. Pas un mot. Pas un article. Rien. Pourtant le journal Libération en a parlé grâce à Thierry Schaffauser et Thelma Hell. D’autres journaux sensationnalistes s’en donneront probablement à cœur joie, histoire d’augmenter leurs ventes, parce que rien n’excite plus le chaland que la mort d’une pute. Mais du côté féministe, le néant. L’abolitionnisme est-il important au point d’occulter la mort d’une femme ? Vanessa n’est pas la première à être tuée, loin de là, elle fait partie d’une longue liste d’oublié.e.s, de personnes ignoré.e.s parce qu’ils.elles ont un métier  à contre-jour de la ligne politique et éditoriale d’un mouvement ou d’un magazine. À quel moment une certaine branche du féminisme a-t-elle décidé que des femmes soient entendues, protégées, et que d’autres ne le soient pas ? Que d’autres soient laissées à elles-mêmes, invisibles ? Et pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas adéquates ? Parce qu’elles ne sont pas conformes à la charte de ce type de féminisme ?

 

Je suis en colère. Je suis en colère contre l’abolitionnisme, le réglementarisme, le prohibitionnisme. Autant de « -isme » qui justifie que la mort de travailleurs et travailleuses du sexe soit tue, qui justifie l’absence de lois pour les protéger.

 

Vanessa Campos est morte dans une indifférence lâche et complaisante. Si le STRASS n’en avait pas parlé, si Thierry Schaffauser et Thelma Hell[2] ne l’avaient pas écrit, Vanessa aurait été ignorée, elle aurait été une statistique, un nom inconnu qui se serait perdu dans le nombre de celles et de ceux qui sont déjà partis.

 

Mais nous, nous ne l’oublierons pas, Vanessa. Nous connaissons son nom, et nous le répéterons jusqu’à l’épuisement. Elle n’est pas une inconnue sans visage dont la mort est un non-évènement sous prétexte qu’elle était une travailleuse du sexe. Elle était une personne ayant des droits.

Le cofondateur du STRASS l’écrit beaucoup mieux que moi : « Sa famille pourtant c’est nous. Nous restons dans la vie avec elle dans nos mémoires. Nous continuons à vivre en espérant qu’à force de résister, les choses s’amélioreront peut-être un peu pour celles plus jeunes qui nous remplaceront après nous. Tout le monde connait le contexte politique, législatif, administratif et social dans lequel nous vivons. Chacun comprendra et jugera de ce qui facilite ou non ces violences. Nous n’avons pas besoin d’insister dans la dénonciation que nous portons déjà tout le temps.

Il nous reste la tristesse, l’amertume, et la colère »[3].
Un rassemblement aura lieu ce vendredi 24 août pour lui rendre hommage.
Scarlotta Harlott.

 

[1]Communiqué du STRASS (Syndicat du Travail Sexuel) et d’Acceptess-T, 17 août 2018.

[2]Communiqué du STRASS repris dans la rubrique Ma Lumière rouge de Libération, 17 août 2018.

[3]Extrait du communiqué, écrit par Thierry Schaffauser et Thelma Hell, le 17 août 2018.

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