Entrevue : kink et consentement

J’ai rencontré Bellechasse (nom fictif) dans un café pour parler de son expérience féministe avec le milieu du kink. D’abord, c’est quoi le kink? On pourrait dire que ce sont des personnes consentantes qui décident d’avoir des rapports intimes négociés et préétablis de manière claire qui impliquent ou non des jeux de bondage, punition, domination, soumission, objets et fantasmes particuliers. Il n’y a pas nécessairement de rapports sexuels d’impliqués ni de liens romantiques (conventionnels) entre les participant-e-s, bien que des liens de confiance et d’amitié très forts peuvent s’établir avec le temps. Dans cette entrevue, nous démystifions le milieu du kink pour les personnes curieuses de s’y initier, parlons de consentement et de body positivity féministe.

 

Si : Bonjour, Bellechasse. Peux-tu nous dire un peu qui tu es?

 

Bellechasse : Oui! Je suis une jeune adulte issue de la région qui habite à Montréal depuis moins de cinq ans, très sociable et relativement extravertie. J’aime beaucoup les gens, travailler avec euzes et les faire rire. J’ai une dynamique familiale très saine et une belle relation avec mes parents et mes frères. Je tiens à le préciser, comme on parle de BDSM et de stéréotypes! (rires) Je m’identifie comme une femme cisgenre, et aux dernières nouvelles, je suis hétéro, mais je dirais que j’ai des relations très intimes avec des femmes qui pourraient être perçues comme étant romantiques. Je sais juste pas quel mot accorder à ça. Je suis en relation polyamoureuse : j’ai présentement deux partenaires qui sont des hommes (cisgenres). Pour moi, le kink et le sexe sont deux choses complètement séparées.

 

Si : Comment as-tu découvert le kink?

 

Bellechasse : Quand je suis déménagée à Montréal, je me suis fait un ami qui m’a dit qu’il était dans ce genre de milieu-là, et étant donné que je suis une éternelle curieuse, je me suis dit : « Hey, je suis game, j’aimerais y aller un jour. » Il m’a amenée à une soirée munch qui se passe dans un bar pour ensuite se déplacer dans un donjon. (À noter que la partie munch, c’est seulement au bar, et que le donjon, c’est autre chose.) Dès la première soirée, ça a été une expérience vraiment particulière parce qu’on m’a proposé d’embarquer dans une scène d’une personne identifiée comme femme couchée par terre sur un drap. C’était une scène de sensualisme à plusieurs, c’est-à-dire que tout le monde la touchait en même temps avec des outils variés et les mains. J’ai eu un contact physique avec une femme comme je n’en avais jamais eu auparavant, une expérience vraiment très positive, pas d’un point de vue de l’attirance, de la sexualité ou de quelque chose comme ça, mais j’ai vu que j’avais quelque chose à offrir qui provoquait des réactions qui avaient l’air vraiment le fun. J’avais quelque chose de ni romantique ni sexuel à apporter à cette personne, mais qui a donné un très beau contact, une belle connexion, alors que je ne connaissais même pas encore son nom! Ça a encore plus piqué ma curiosité.

 

Si : Quel est le fonctionnement de ces soirées-là?

 

Bellechasse : La soirée au bar dont je parle s’appelle un munch. C’est pour les personnes qui sont dans le milieu, qui veulent juste prendre un verre ensemble, discuter, connecter et rencontrer de nouvelles personnes. Celui-là était un munch spécifique pour les nouvelles personnes intéressées et les propriétaires d’un donjon. Il y a des vétéran-te-s qui sont là pour répondre aux questions, calmer les angoisses et discuter des attentes. Les gens sont très accueillants, très excités de répondre aux questions et d’intégrer de nouvelles personnes. Tout le monde sait environ ce que ça peut lui apporter. Ensuite, on s’est déplacé dans un donjon parce qu’on le voulait, mais c’était pas du tout obligatoire. La soirée se déroule dans le donjon : il y a un atelier d’à peu près une heure au début, pour parler des bases, des mots qu’on peut utiliser pour la sécurité. C’est à ce moment-là qu’on fait comprendre aux nouvelles personnes que le consentement est l’ami numéro un de toute personne qui entre dans le donjon. On explique comment donner son consentement, comment le faire de façon claire, comment le demander de façon claire, comment le garder actif aussi, pour être sûr que la personne soit toujours contente, est toujours avec nous, qu’il n’y a pas de mauvaise surprise tout au long de la scène. La scène étant une période de temps pendant laquelle les personnes jouent ensemble, peu importe ce qu’iels sont en train de faire, ça peut durer vingt minutes ou même trois heures selon les participant-e-s. Pendant les soirées, il y a des genres de « kiosques », des spécialistes qui montrent leur expertise avec des cordes, des fouets, de l’électricité, des bâtons, etc. Tu peux essayer des mini-scènes ou juste observer pour voir si ça t’intéresse.

 

Si : Peux-tu expliquer quels sont les règles et principes de base pour respecter pleinement le consentement de chaque personne de manière sécuritaire?

 

Bellechasse : Ça commence par poser la question claire. Quand on rencontre une nouvelle personne, on se présente, on dit : « J’aimerais ça jouer avec toi. Est-ce que ça t’intéresse? » Si c’est un non, « OK, c’est bon, j’ai compris. » On recule et on s’en va, c’est tout! C’est pas comme dans les bars où les personnes vont te voir, te demandent si tu es intéressé-e et ne te lâcheront pas même si tu dis non. Dès que tu es insistant-e, tu te fais sacrer dehors. Iels cultivent activement un safe space – dans les places que je connais, du moins.

 

Si : La communication est donc au centre de tout?

 

B : Exactement! Et de manière très explicite. Dans les négociations auxquelles je suis habituée avant de réaliser les scènes, on ne laisse aucun détail de côté. J’aimerais ça jouer avec toi, oui, OK, qu’est-ce que tu voudrais faire, quelle scène exactement, comme ci, comme ça, oui ça m’intéresse, mais dans quel contexte, fais attention de pas faire ça, voici les outils que j’aimerais utiliser, veux-tu avoir les yeux bandés, veux-tu que ce soit vif, veux-tu que ce soit doux, est-ce qu’il y a des endroits de ton corps que tu veux pas que je touche, des endroits que tu privilégies, comment puis-je observer que tu aimes ça ou que tu n’aimes pas ça? Il y a des gens qui vont décider d’avoir des mots, aussi. Le classique, c’est d’utiliser les couleurs vert, jaune et rouge. Vert : Tout va bien, continue. Jaune : Oh attends, faut qu’on jase. Rouge : On arrête maintenant. D’autres vont mesurer la douleur de 1 à 10 et vont établir leurs limites et leurs préférences. Même avec des partenaires que je connais depuis longtemps, je vais faire des check-in régulièrement : « Comment tu te sens, comment ça va? » Une fois la scène finie, on tombe dans ce qu’on appelle l’after care, qui est discuté aussi en négociations. Il y en a que ça va être de faire une sieste pendant vingt minutes, d’autres vont vouloir aller sur un sofa avec une couverture, manger du chocolat, manger de la bouffe quelconque, boire de l’eau, être serré-e dans les bras, se faire flatter les cheveux, etc. Ça va être personnel à tout le monde et en général les gens trainent leur kit d’after care pour être sûr-e-s d’avoir tout ce dont iels ont besoin pour redescendre après la scène parce que ça peut créer un gros rush d’adrénaline ou de sentiment X. Moi, ça m’est arrivé de pleurer pendant des scènes, c’est pas nécessairement quelque chose de négatif, peut-être que ça devait juste sortir à ce moment-là.

 

Si : Tu voulais parler de body positivity. Comment le kink a-t-il transformé ton rapport au corps et aux autres?

 

B : Ça a été révolutionnaire! À la base, je pars de longues années d’estime personnelle assez médiocre. J’ai commencé à avoir des relations assez tard, vers 21 ans. J’ai pas nécessairement un corps recherché selon les standards médiatiques. J’ai un surplus de poids, j’ai des rondeurs à des places où je ne voudrais pas en avoir, je suis assez grande, assez costaude et imposante. En général, on me l’a toujours montré comme étant quelque chose de pas désirable pour une femme. Ça m’a pris beaucoup de temps à commencer à me dire que peut-être que c’est correct finalement. Dans le milieu du kink, les gens me faisaient savoir que tout ce que j’avais pensé par rapport à cette partie-là de moi, toute ma vie, c’était pas du tout comme ça que les autres me percevaient, alors que j’étais convaincue du contraire. Iels me le faisaient sentir et savoir tout en restant dans les limites du respect et du consentement. Dans ce milieu-là, il y a une très grande variété de corps, poids, âge, identification de genre, style vestimentaire, pilosité, orientation sexuelle, etc. Voir ces gens-là avec des corps tellement variés être en confiance, bien avec euzes-mêmes, désirables comme iels sont, c’est tellement beau, inspirant et le fun. Ça a été vraiment révélateur, je sais que je me porte avec plus de confiance depuis, je me sens plus assurée, je me permets de faire plus de choses, des choses qui me font du bien et j’ai des barrières qui sont tombées. Le support est vraiment très actif. La discrimination par rapport à l’apparence que l’on voit dans tous les autres domaines de la vie n’est pas là, je ne l’ai pas vue ni observée. C’est un milieu qui est très féministe pour l’acceptation de soi et des différences. On peut dire que ça s’inscrit dans la culture féministe actuelle de faire ce que tu veux, tant que ça fait de mal à personne. Des féministes vont se tourner vers le kink pour entre autres explorer la domination et la soumission et que ça reste consensuel et sécuritaire. Ça m’a aidé à dire plus à mes partenaires ce que je veux et à connaître les limites des gens.

 

Si : En terminant, qu’aurais-tu à dire aux personnes curieuses et débutantes qui voudraient s’initier davantage au milieu du kink?

 

B : Commencez par avoir 18 ans! (rires) Prenez votre temps, omg, s’il vous plaît. C’est tellement plus satisfaisant d’être avec une personne à qui tu es sûr-e que tu peux faire confiance à 100 % plutôt qu’être avec une personne qui se présente comme étant quelque chose, mais que tu n’as aucune manière de le confirmer sauf en te cassant la gueule. Prenez le temps d’établir une relation qui soit saine et confortable, question d’explorer tranquillement. Assurez-vous d’être avec une personne qui est capable d’avoir des négociations claires et efficaces. Ce sont quand même des jeux qui peuvent être très dangereux s’ils sont mal faits. Dans le domaine du possible, si vous rencontrez une nouvelle personne pour une scène, surtout si vous allez être le bottom de ce jeu-là, ça serait préférable de faire ça en public pour avoir des gens pas loin en cas de besoin parce qu’on est jamais trop prudent-e. Assurez-vous d’être en sécurité, ne commencez pas trop rough, posez des questions aux gens expérimentés, allez à des munches d’introduction pour voir de quoi ça a l’air, de quoi a l’air une bonne négociation claire et efficace, pour être sûr-e de pas vous faire avoir. Autant ça peut être vraiment le fun, autant je trouverais ça dommage qu’une personne abuse de la confiance des personnes novices. En gros, c’est pas mal comme le sexe! Protégez votre corps et votre esprit.

 

Après l’entrevue, je reviens chez moi en me disant que les adeptes du kink devraient donner des cours sur le consentement puisqu’iels le maîtrisent de manière exemplaire. Il faut apprendre à se parler, dire les besoins, les limites, vérifier que tout le monde est bien, avant, pendant et après n’importe quel rapport intime ou sexuel. J’en retiens que la communication claire et nette facilite les échanges sains, le respect et l’amour de soi. Il n’y a rien de plus sexy que le consentement.

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