Entrevue : survivre au système judiciaire

Pour cette entrevue, je rencontre Josée (nom fictif) dans un bar de quartier. Elle a 23 ans, vient de Trois-Rivières, est féministe et écrit de la poésie. En arrêt de travail, elle vit avec un stress post-traumatique très accaparant suite à des situations d’abus et de violences avec un ex-conjoint finalement accusé de possession de pornographie juvénile. Il m’intéresse de la questionner sur son expérience de la violence, du système de justice, et de comment cela a changé sa vision personnelle du féminisme. J’avertis tout de suite les lecteurices : cet article parle de violences conjugales, de pédophilie et de suicide.

 

Si : Allô! Peux-tu nous raconter ton histoire?

 

Josée : Il y a deux ans, j’étais dans une relation avec quelqu’un depuis à peu près huit mois et il me faisait subir de la violence conjugale. Un moment donné, j’ai découvert de la pornographie juvénile dans son ordinateur et je l’ai dénoncé à la police. J’habitais à Québec seule et suite à ma dénonciation, j’ai déménagé à Trois-Rivières parce que j’avais trop peur de croiser cette personne dans la rue et de me faire harceler.

 

Si : Comment s’est passée ta dénonciation avec la police?

 

Josée : C’était quelque chose de difficile à faire, mais une fois dans le processus de dénonciation, ça a bien été. Les policièr-e-s ont facilité la démarche pour moi, ont été super compatissant-e-s et m’ont supporté. C’est plus le après qui a été difficile parce que c’est dur de recevoir tout le support dont tu as besoin. Tu es vraiment laissé-e à toi-même.

 

Si : Est-ce que tu avais peur pour ta sécurité en le dénonçant?

 

Josée : Oui, vraiment. Étant donné que j’étais dans une situation de violence conjugale, ça m’a pris du temps à le quitter parce que j’avais peur de sa réaction. Je suis restée avec lui à peu près deux mois après l’avoir dénoncé. J’avais peur qu’il me suive encore jusqu’à chez moi, qu’il vienne me frapper et me battre. Je ne sortais plus de chez moi et je ne répondais plus jamais à la porte. C’est encore une chose que j’ai de la misère à faire aujourd’hui. Finalement, je l’ai quitté, il a été arrêté, et c’est là que j’ai cessé d’avoir peur parce qu’il a eu un ordre de la Cour pour restreindre ses contacts avec moi, mais j’avais peur quand même, il y avait une peur qui restait là.

 

Si : Une fois qu’il a été arrêté, comment s’est passé le suivi avec la police et le système de justice? As-tu reçu du support psychologique?

 

Josée : Je l’ai vécu difficilement, parce qu’après, quand j’ai finalement su que la personne avait été condamnée, tout ce qu’on m’a donné, ce sont des brochures pour le Centre de prévention du suicide et le CAVAC [Centre d’aide aux victimes d’actes criminels]. On m’a dit « merci d’avoir dénoncé, t’as bien fait », mais personne n’a fait de suivi avec moi pour me demander comment j’allais, ce que j’aurais apprécié. J’ai envoyé des messages aux personnes du corps policier pour avoir des informations, mais iels ne m’ont jamais répondu. En appelant au CAVAC, je me suis fait dire que je ne pouvais pas avoir accès aux services parce que je n’étais pas une victime directe [des accusations de possession pornographie juvénile], alors je me suis retrouvée dans une situation où je devais être totalement seule. On m’a dit qu’iels ne pouvaient pas faire grand-chose pour moi. Présentement, je suis sur une liste d’attente pour voir un-e psychologue, mais ça peut prendre des années avant d’en avoir un-e. Je suis dans une situation précaire, donc je n’ai pas les moyens de m’en payer un-e au privé.

 

Si : Est-ce que tu as fini par parler ou confronter ton ex-conjoint sur ses comportements?

 

Josée : Je l’ai confronté. Je lui ai dit que c’était moi qui avais découvert ces trucs-là sur son ordinateur et qui l’avais dénoncé. Évidemment, il a trouvé un moyen de se déculpabiliser en disant que c’était des personnes consentantes qui étaient sur les vidéos, ce qui n’est pas le cas bien sûr. Puis, il s’est mis à comparer cela à une ancienne relation que j’ai eu avec quelqu’un de vingt ans mon aîné, mais le truc, c’est que j’étais consentante et majeure pendant cette relation, je n’étais pas une fillette de quatre ans. Ce n’est pas du tout la même chose.

 

Si : Comment a été ton rapport avec tes autres proches?

 

Josée : Il y a des personnes qui ont été super compréhensives avec moi, qui m’ont aidé, et il y en a d’autres qui m’ont dit que j’avais fait le mauvais choix en le dénonçant. On m’a dit que j’avais détruit sa vie. On le plaignait parce qu’il avait perdu son emploi. On m’a dit aussi que je n’aurais pas dû le dénoncer parce que non seulement je détruisais sa vie, mais la pédophilie, il va toujours y en avoir… Son emploi était considéré comme plus important que la vie d’enfants exploité-e-s sexuellement ou ma propre vie. Les gens s’en foutaient. Il y a une grosse majorité de gens qui ont été vraiment hot avec moi, mais les 3-4 personnes qui m’ont dit que j’avais détruit sa vie ont pesé plus fort dans la balance, parce qu’à ce moment-là, je n’allais vraiment pas bien et j’avais juste besoin qu’on me dise que j’avais fait le bon choix.

 

Si : Sentais-tu que ta parole avait moins d’importance à cause de ton genre et de ta situation sociale?

 

Josée : Oui, parce qu’on me considérait juste comme une commis d’entrepôt qui ne faisait pas grand-chose de sa vie versus lui qui avait un emploi assez prestigieux et très bien payé, c’était vu comme sacré. J’ai aussi une expression de genre « féminine », on me perçoit comme une femme dans la société, et comme ça avait l’air de bien aller entre lui et moi, les personnes qui le défendaient auraient voulu que je ferme ma gueule et règle ça en privé seulement. La santé des autres personnes et de moi n’était pas considérée comme importante.

 

Si : Les personnes qui t’ont encouragé là-dedans, qu’est-ce qu’iels ont fait pour être de bonnes personnes pour toi?

 

Josée : Iels me faisaient sentir valide. Iels savaient que c’était vrai, iels ne pensaient pas que j’avais inventé la chose. Juste d’être validée et écoutée, ça fait du bien, ce sont les deux trucs principaux auxquels je peux penser, parce que quand tu es dans une situation de détresse comme ça, tu as besoin de parler, tu as besoin de sentir que tu es valide dans ce que tu dis. J’avais surtout besoin qu’on m’écoute, au fond. J’ai eu la chance d’avoir quelques bon-ne-s ami-e-s qui étaient là pour m’écouter sans me juger.

 

Si : Tu me disais avant l’entrevue vivre avec un choc de stress post-traumatique, qu’est-ce que ça implique pour toi au quotidien?

 

Josée : Je vis avec ça depuis deux ans maintenant et c’est super handicapant parce que ça m’empêche d’aller travailler, ça m’empêche de faire des tâches, les plus petites tâches auxquelles tu peux penser, ça me prend toute mon énergie! Je fais beaucoup de cauchemars. Des fois, juste de voir un enfant dans la rue, ça me rappelle l’événement et je change de côté de trottoir. Si on m’avait considérée comme une victime valide aux yeux de l’État, je n’en serais peut-être pas
rendue là en ce moment.

 

Si : Qu’est-ce que tu tires aujourd’hui de ces expériences traumatisantes?

 

Josée : C’est sûr que je n’en tire pas une expérience positive. J’aimerais vraiment finir sur une note positive, mais pour moi, c’est impossible parce qu’encore aujourd’hui, je dois vivre avec les répercussions de tout ça. Ce que j’en tire, c’est que c’est vraiment important de s’entourer de bonnes personnes et de ne pas rester seul-e. Si j’avais été toute seule tout le temps, je pense que je serais probablement morte aujourd’hui, pour vrai. C’est vraiment important, je ne pourrais pas le dire trop de fois : il ne faut pas rester seul-e. Et ne pas avoir peur de dénoncer. Je vais dire comme Michèle Lalonde : nous savons que nous ne sommes pas seul-e-s.

 

Si : En conclusion, est-ce que tout cela a changé ta vision personnelle du féminisme?

 

Josée : Je ne dirais pas que mon expérience a changé ma vision du féminisme, elle l’a plutôt solidifiée. Ce que j’ai vécu m’a rappelé et confirmé que le féminisme n’est pas dépassé et qu’il est absolument nécessaire encore de nos jours d’œuvrer contre le patriarcat, le sexisme ordinaire, les violences multiples que vivent les filles et femmes – trans ou non – de ce monde.

 

Quelques semaines après l’entrevue, je corresponds avec Josée pour m’assurer que l’article lui convient. Je sais qu’elle écrit des poèmes sur ses expériences depuis un certain temps, alors je lui demande si elle veut nous en livrer quelques-uns ici. Elle accepte avec joie.

 

1.

 

Fleur apeurée

 

je sais que ta peau

ne dort jamais

 

on a déjà choisi pour toi

le lieu et le moment

 

où tu te tairas

devant la caméra

 

on arrosera tes cuisses et

tu fleuriras trop vite

 

dans ton corps à peine

éclos

 

 

2.

 

De tes mains obtuses

tu goûtes le fleuve

qui coule le long

de tes jambes

 

Tu ne sais pas nager

 

et hors de toi

tu jaillis

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