Cher Gars-des-apps

Cher Gars-des-apps,


On est dus pour un talk, toi et moi. Une vraie conversation, en dehors du catalogue, de la quête. Parce que j’ai le feeling qu’on se comprend pas et que ça nous fait passer à côté de l’essentiel, tous les deux.


Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois faire une couple de rectifications. Oui, quand je m’adresse à toi, Gars-des-apps, je parle à une personne s’identifiant comme homme, qui a une préférence marquée pour les relations hétérosexuelles et qui fréquente les applications de dating. Parce que c’est toi que j’ai rencontré. J’peux pas parler pour les autres, faque je vais parler de toi. Parce qu’il y a matière à. Pis là, là, pas de chignage, pas de «PAS TOUS LES GARS!!!». Je sais. Je vais te parler de tendances liées à mon expérience individuelle. Ça fait que respire. Ça va bien aller. Si le chapeau te fait, mets-le. Pis sinon, bravo, t’es un vrai champion.


Et pis toi, Personne-pas-sur-les-apps : no judgement allowed. Pas de «Anyway les apps c’est toute d’la marde c’est plein de douches qui veulent juste fourrer c’est tellement superficiel les gens savent pu se rencontrer dans la vraie vie bla bla bla…». Pour vrai, ta yeule. Parce que sincèrement, tout le monde est sur les apps. TOUT. LE. MONDE. Pas quantitativement, s’entend (quoique…), mais qualitativement, certainement. Enseignants, garagistes, décrocheuses, post-doctorants, Casanova, mères célibataires (ou pas), name it. Et ces personnes-là, elles cherchent de tout : de l’amitié, du sexe, du flirt, du flattage d’ego, et aussi de l’amour. Genre, sincèrement. Et pis oui, ça a l’air que de nos jours, ça peut être compliqué de faire des rencontres en personne hors de nos réseaux habituels : on est débordé.e.s, épuisé.e.s, dépassé.e.s. Fair enough. Visiblement, on est tou.te.s un peu démuni.e.s lorsque vient le temps de faire de nouvelles rencontres, de sortir des sentiers battus, et c’est certainement un phénomène à interroger, mais pas de sorte à mépriser de façon semi-dissimulée les individu.e.s qui se tournent vers les apps. On est une gang à être dans la même galère et c’est sans doute sur le plan collectif qu’il faudrait interroger notre aptitude à créer des liens. T’sais, si t’as rencontré l’amour de ta vie dans un party d’ami.e.s commun.e.s, dans une manif, dans ton groupe de randonnée nordique ou dans un club de lecture sur Deleuze, good for you. Est-ce que ça veut pour autant dire que t’as mieux compris la game que nous, qui serions trop inaptes socialement pour rencontrer «dans la vraie vie»? Laisse-moi en douter, et garde ton dédain pour toi. Merci.


Mais revenons-en à toi, Gars-des-apps. Comme tu l’auras compris, je crois en la sincérité de ta quête. Je sais que t’es pas fondamentalement un crosseur (bien que parfois adepte des cheap shots) et que dans le fond, toi et moi, on cherche la même chose : une belle rencontre, lumineuse, porteuse d’un désir tacite (pour un temps) qui donnera le goût de (se) voir plus loin, de se donner une chance d’imaginer un bout de chemin en commun. Pis y’a plein de configurations à ces rencontres-là, plein d’états intermédiaires auxquels on peut consentir selon nos besoins du moment.

Mais mettons qu’on parle d’amour, là, basically. Là où le bât blesse, de mon point de vue, c’est par rapport au chemin à emprunter pour s’y rendre. Là-dessus, je nous sens en désaccord. Je t’explique.


Ça fait une couple de fois qu’après 2, 3, 4 ou 5 dates, ton verdict tombe : «Je n’ai pas les étincelles/les papillons, je ne me sens pas amoureux/épris.» Chaque fois, la yeule me tombe. Pas juste parce que c’est un peu dur sur l’ego, mais surtout parce que j’ai envie de te répondre : «Ben Chose, moi non plus, pis j’pense que c’est normal». Effectivement, le coup de foudre est un phénomène qui se raréfie quand on a passé 16 ans. Mais toi, Gars-des-apps, c’est ça que tu cherches : la révélation, l’épiphanie, le feu d’artifice dans le bas ventre, le glissement de terrain dans les genoux. Dit de même, ça a l’air incroyable, moi aussi, j’aurais envie de vivre ça. Mais j’ai comme l’intuition que c’est pas forcément ça qui fait les plus belles histoires d’amour. Quand je te rencontre, Gars-des-apps, sans nécessairement sentir un tsunami dans mes ovaires, je te trouve beau, intéressant, j’ai envie de savoir ce qui peut passer dans l’espace entre nous. Parce que ça pourrait être beau, même si ça se déploie dans la lenteur. Mais y’est trop tard, t’es déjà passé à autre chose. Swipe left, swipe right.


Pis t’sais, j’dis ça, pis pour moi aussi, ça arrive que ça passe pas. Que je sais clairement, physiquement, qu’il ne se passera rien. Ça ne prend pas de temps : une ou deux dates. Et je le dis, et ça finit là. Plate de même. Sauf que dans l’expérience que j’ai de toi, Gars-des-apps, c’est qu’avant de savoir si une fille te fait générer de l’étincelle, faut que tu l’aies testée sous toutes ses coutures. Souviens-toi, Gars-des-apps : on s’est collés, on a frenché, on a couché ensemble. C’était pas toujours écoeurant, d’ailleurs; mais ça aussi c’est normal, parce que c’est assez rare qu’une première (deuxième, troisième) relation sexuelle avec une personne presque inconnue soit transcendante. J’dis ça, j’dis rien. Donc, jusqu’à un certain point, tu as singé l’amoureux, l’amant, comme si c’était un jeu. Ça fait que quand ton verdict tombe, je me sens comme une marchandise défectueuse. Ou pas tout à fait, dans le sens que je suis fonctionnelle et utilisable (lire : fourrable), mais sans plus. Je le sais que c’est pas personnel, que je suis vraiment une fille super, bla bla bla. Mais reste que. En fait, c’est fucking objectivant.


Ça me donne l’impression que ce que tu cherches, Gars-des-apps, c’est pas une personne, mais une idée. En sociologie, on appelle ça un idéal-type. Une catégorie qui s’appellerait «la personne qui va me faire ressentir ce que je pense qu’on est censé ressentir quand on est en amour». Et t’essaies de voir si je fitte là-dedans, si je rentre dans ton cadre. C’parce que Chose, je suis une personne à part entière, mouvante, changeante, avec des besoins, des désirs et des élans qui me sont propres. Si tu m’approches en essayant de voir si je rentre dans le moule de ton idée de l’amour, tu ne viens pas vraiment à ma rencontre. Tu n’es pas disponible, pas plus que tu n’es à l’écoute. Tu guettes les signes. Mais les signes ne parlent pas de moi, ils parlent de toi. Je vais rester l’objet de tes projections, et le cas échéant, la déception est assurée à 99,9%. Parce que personne ne peut rivaliser avec une idée.


Tu sais, Gars-des-apps, en y pensant bien, je me dis que les plus belles (et saines) rencontres que j’ai faites dans tes sphères, ce sont celles desquelles aucun verdict n’est tombé. Les choses n’ont pas forcément pris la tournure anticipée, mais la relation s’est installée d’elle-même, simplement à partir de ce qui passait entre l’autre et moi. J’te dis pas que ça a pas été challengeant, mais en fait je trouve ça beau. J’y ai trouvé notamment un amant sporadique mais steady, avec qui j’ai une belle connexion intellectuelle. OK, des fois il est un peu lourd, comme la fois où il m’a starté un long monologue sur l’attitude de l’Union européenne envers l’Ukraine, alors que j’avais ma face à deux pouces de la sienne et que j’attendais juste qu’il me saute dessus. Mais ça fait une belle anecdote. J’ai aussi trouvé un ami, un gars que je ne vois pas si souvent, mais avec qui les échanges sont toujours super profonds et vrais. Notre relation est platonique, même si je le trouve beau que l’Christ. Je les aime, ces gars-là. Et je n’attends rien de plus d’eux. Ils ne fittent dans aucune case et c’est très bien comme ça.


Non, je n’ai pas trouvé l’Amour avec un grand A, et c’est probablement ce pourquoi j’ai continué d’errer sur ta planète, Gars-des-apps. Mais j’ai trouvé des humains qui me donnent ce qu’ils veulent bien me donner et à qui je rends la pareille. Aucun pacte ne nous lie, outre le désir qui nous mène les uns vers les autres quand le besoin s’en fait ressentir. J’ai trouvé des nuances d’amour et de désir, des camaïeux de teintes variables. Même si j’aspire toujours à l’amour, je pense que ça m’aide à me désintoxiquer du mythe de l’amour disneyesque avec lequel on nous bassine depuis l’enfance. Parce que oui, Gars-des-apps, je pense que tu en portes aussi les séquelles. Cette espèce de machination qui nous fait croire qu’une seule personne peut répondre à tous nos besoins, et qu’il suffit d’un déclic, d’une estie d’étincelle, pour que le reste se fasse tout seul. Tu trouves pas ça rushant, toi? Tu trouves pas que c’est trop à faire porter sur les épaules d’une seule personne? J’suis pas en train de faire l’apologie du polyamour ou de l’amour libre, nomme-le comme tu veux. Mais n’empêche que l’étincelle a le dos large. Pis à part ça, physiquement parlant, là, une étincelle, me semble que ça se génère pas tout seul, right? La combustion spontanée, c’est pas si fréquent comme phénomène, n’est-ce pas? En général, une étincelle est une savante combinaison entre des matières inflammables, de la friction et un peu d’huile de coude, non?

 

Tout ça pour te dire, Gars-des-apps, que bien souvent, une étincelle ça se provoque, ça se travaille, ça se prépare. Ben oui, ça prend un minimum de conditions gagnantes, mais il ne suffit pas de fixer obstinément lesdites conditions gagnantes en attendant qu’elles s’embrasent toutes seules. Enfin, cette pression qu’on se met de trouver instantanément LA bonne personne nous empêche peut-être de voir tous les possibles de l’amour et du désir, en somme de l’élan vers l’autre, de la tendresse à la passion dévorante, en passant par la bienveillance et l’émerveillement.


Sur ce, Gars-des-apps, je dois te dire que je suis fatiguée. Tes attentes m’ont épuisée, et mon ego s’est pris une couple de débarques. Ça fait que je vais te laisser en plan pour un p’tit bout. Je vais aller travailler à me générer moi-même de l’étincelle; j’ai pas besoin de toi pour ça. Peut-être qu’on se rencontrera dans la vraie vie, dans un party, une rando, une manif, un club de lecture. Et peut-être que, libérés de l’état d’hypervigilance sentimentale et hormonale que provoquent les apps, on sera capables d’aller réellement à la rencontre l’un de l’autre. Enfin, peut-être qu’on deviendra amants. Ou amis. Ou les deux. Ou hey, soyons fous : amoureux. Qui sait. Mais pas tout de suite.

 

 

 

Crédit image : cdd20, de Pixabay 

3 Comments

  • Lilium
    20 avril 2019

    Gars-des-apps comme Filles-des-apps, c’est dur de ne pas faire tomber un verdict rapide quand l’histoire commence par une séquence swipe left, swipe right. C’est dur de ne pas chercher chez l’autre l’image qu’on s’en fait, quand l’Image est ce qui compte le plus sur les apps. C’est dur d’être patient, sincère et ouvert, dans un tourbillon qui mélange réalité, virtuel et instantané.. Oui, c’est dur, trouver l’Amour en 2.0.

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  • Deirdre
    24 juin 2019

    Merci, c’était un chouette avis, le sujet est devenu tellement compliqué.

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