Aimer, c’est ce qu’il y a de plus beau? Pulsions asexuelles

Ce texte fait partie d’une série de trois contributions de l’autrice. Voir la première partie : La Brebis de Panurge.

Préférer oui, choisir non

Dans la loi et plus ou moins les us de mon pays, je suis libre, en tant que femme, d’avoir des relations amoureuses et sexuelles. Je ne minimise pas les contraintes qui pèsent toujours sur ces relations, dont il faut suivre un mode d’emploi invisible sous peine de représailles bien déséquilibrées. Je vis dans ma sphère progressiste où la sexualité, vanille ou d’autres parfums, n’est pas jugée. J’aime à le croire. Mais les injonctions n’ont pas disparu.

Dans les schémas de pensée collectifs, quelqu’un·e qui ne veut pas de sexe a un problème psychologique ou physique, ou encore une raison (religieuse ou autre) qui le·la  pousse à combattre son envie naturelle. Et le but de l’histoire, c’est de régler le problème ou de succomber à la tentation. Le sens de l’histoire, c’est que ne pas faire de sexe, cela rend malheureux.se. (Comme si en faire était du bonheur 100% garanti, non mais, tu suis le compte Instagram @tasjoui ?)

Jeter un froid

Dans les représentations médiatiques, je suis la fille qui n’a pas envie, et donc la fille frigide. Moi, ce sont les représentations que je trouve frigides. Froides et roides. D’ailleurs si tu cherches « frigide » dans Google, les premiers résultats te proposent comment « trouver les solutions » pour ne plus l’être, mais tu n’avais pas besoin de ça pour connaître la charge négative de ce mot, souvent utilisé comme une injure à l’égard des femmes. Et pour paraphraser une militante neuroatypique qui protestait sur Twitter contre  l’utilisation des mots « autiste » ou « trisomique » pour insulter : nous existons, nous sommes des personnes, nous ne sommes pas vos injures.

De toutes les façons, tu perds toujours à ce jeu. Salope, mal baisée, frigide. Il y a une insulte et un mépris pour tous les grades de la sexualité. Les garçons ont d’autres problèmes. Les garçons ne sont pas frigides. Jamais. Voilà leur problème. Devoir être disposé et enthousiaste aux relations sexuelles mentalement et physiquement. Ad vitam. Dans une société qui lie masculinité et vigueur de l’érection, on a des mots pour ce qu’on juge comme dysfonctionnement physique. Mou du gland. Impuissant. Précoce. Mais pour la disponibilité mentale ? Les personnes qui pourraient avoir des relations sexuelles et qui pourraient en jouir mais qui n’en ont pas envie ?

Figure de la frigide

Les asexuel·les peuvent avoir une libido, des fantasmes, des sentiments. Ces choses peuvent s’accompagner d’une envie de relation sexuelle ou être servies « nature ». Personne n’est obligé de prendre le menu complet.

Mais non. On mélange. On veut se mélanger. Et celles qui n’en ont pas envie, hop, frigides. Et puis ça veut tout de suite dire le cœur racorni, les sens flétris, la chair desséchée. Les lèvres pincées. Frigide c’est aigre, c’est acide. Ça pique, ça repousse. Tout de suite, on est une personne désagréable qui marche à petits pas pressés. Pas d’appétit ni d’empathie, pas de sensualité ni de générosité, pas de tendresse ni de caresse, pas de vigueur ni de chaleur, et nul éclat et nulle joie. Ça montre toute la charge symbolique qu’on met dans les relations sexuelles. Pas étonnant qu’elles puissent peiner à se montrer à la hauteur. Pourtant tu sais bien qu’une orientation sexuelle ne veut rien dire du caractère d’une personne, non ?

Résumé family-friendly

C’est comme les gens qui n’aiment pas le chocolat :

● Ça existe en vrai ;

● Ça ne veut pas dire qu’iels trouvent que le chocolat est dégoûtant et que vous ne pouvez pas mentionner l’existence du cacao en leur présence ;

●   Ça ne veut pas dire que leurs papilles gustatives ne fonctionnent pas ou qu’iels ont été traumatisé·e·s par du chocolat ;

● Leur suggérer lourdement d’en manger parce que « c’est la vie » et qu’iels « ne savent pas ce qu’iels ratent » ne va pas les faire changer d’avis, parce que ce n’est pas un avis, c’est une envie ;

● Leur implanter dans la tête qu’iels n’ont juste pas trouvé le bon chocolat et doivent écumer le rayon confiserie jusqu’à le trouver ne les mènera qu’à une intoxication alimentaire ;

● Une personne qui vous annonce qu’elle n’aime pas le chocolat reste la même personne et il n’y a aucune raison que cela ait le moindre impact sur votre vision d’elle et votre relation (si vous teniez absolument à manger du chocolat avec elle, vous pouvez toujours tenter de faire des gaufres) ;

● Ça n’enlève rien à personne alors laissez-les tranquilles.

● Franchement je pourrais continuer cette analogie beaucoup trop longtemps.

Pour vivre heureux·ses…

LGBTQIAA+ : l’un des « A » est pour « asexuel·le ». La définition est ridiculement simple : une personne qui ne ressent pas d’attirance sexuelle pour les autres. Mais sous cette définition d’une ligne existe un large spectre, et si tu veux en savoir plus, je t’invite à te rendre sur le forum AVEN. Les personnes asexuelles cisgenres ne subissent pas de discriminations du même ordre que celles vécues par les personnes qui s’identifient aux autres lettres de cet acronyme. Pourquoi ? Principalement parce que les personnes qui pourraient être tentées de nous discriminer ne connaissent même pas notre existence. Est-ce une bonne chose ? Devrions-nous rester caché·e·s ? Invisibles ?

Je ne le crois pas.

Certaines personnes n’aiment pas les « cases », les « étiquettes ». Mais parfois, découvrir qu’une case existe, qu’un mot la désigne, que cette réalité est réelle et partagée, quand nos sentiments sont absents de toutes les représentations et de tous les discours, cela fait un grand bien. De savoir qu’on existe.

Et qu’on n’est pas seul·e.

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