Lire, c’est s’évader du réel. Il paraît…
Lire, c’est s’évader du réel
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Mais l’imagination des auteurs n’est-elle pas une autre prison ?
Imaginez…
Vous êtes assise sur votre lit, adossée au mur, en train de lire le dernier roman acheté sous le prétexte d’un voyage en train … Vous en avez acheté 7 à la gare de départ, des fois que le train soit détourné par des terroristes pendant 10 jours… écoutant vaguement le pépiement des oiseaux dans votre jardin… Bon, d’accord, le jardin de l’immeuble où vous avez un tout petit deux pièces, mais on peut fantasmer de temps en temps… complètement imperméable aux cris de détresse de vos dossiers en attente… Que vous avez promis de boucler pour avant-hier… oublieuse du bordel innommable qui forme des strates calcifiées dans votre appartement… 40 m², dont au moins 2,8 m² où l’on peut encore à peu près circuler… et là…
Vous vous prenez soudain une claque spectaculaire.
Oh, votre voisin n’est pas entré par effraction pour vous souffleter pour cause de différent musical. Ce n’est pas non plus une agression d’un jeune beur banlieusard aux yeux injectés de sang… Ça, ça n’arrive que les semaines précédant les élections… Vous n’êtes pas non plus atteinte d’une crise brutale de schizophrénie… D’ailleurs, si vous vous gifliez chaque fois que vous faites quelque chose de travers, votre budget santé dépasserait le budget logement…
Rien de tout ça, donc. Non, plus simplement, l’auteur de votre roman a cru bon de glisser un cliché misogyne dans son intrigue. Il y a sans doute vu une occasion de séduire une partie de son lectorat – la partie qui a des poils qui poussent en plein milieu du visage… Entre nous, j’ai toujours trouvé ça physiologiquement aberrant pour des êtres civilisés… Ou peut-être a-t-il eu l’ambition – de toute évidence démesurée – d’être spirituel ?
Vous ne vous y attendiez pas. Vous vous sentiez en confiance. Vous étiez bien, plongée dans votre roman. L’évasion… Douche froide. Le roman est souvent pire que la réalité, car l’imagination des uns (et de quelques unes) les pousse irrésistiblement à créer un monde plus laid que nature – et pourtant, nature, il est déjà salé !
Cette déchirure – entre amour de la lecture et révolte de mon âme féministe – je voudrais d’abord la partager avec vous. Pousser un grand cri de colère contre ceux (et celles, hélas, parfois), dont la plume est friande de [cochez les cases] : viols décrits avec complaisance, scènes de sexe bien androcentrées, héroïnes forcément jeunes, futiles et bien roulées, secrétaires-infirmières-institutrices omniprésentes, mâles à la virilité mise en valeur par leurs nombreuses conquêtes, grands poncifs sur les femmes, etc.
Mais j’aimerai aussi, dans un second temps, que l’on tâche d’y remédier ensemble, au moins partiellement. L’écriture n’est plus aujourd’hui un sport masculin. Et parmi les auteures, certaines ont une sensibilité féministe – qu’elle soit refoulée, inconsciente ou clairement affirmée. Je vous propose de recenser quelques auteures, en privilégiant ces critères :
– Des auteures…
– Mettant en scène au moins une héroïne parmi les 2-3 personnages principaux…
– Avec une tonalité féministe (fût-ce simplement le caractère original de l’héroïne, qui change des personnages féminins pensés par des hommes, souvent navrants).
Je vais commencer, en ajoutant de brefs commentaires. Si vous jouez le jeu et que cette liste s’allonge, peut-être pourrait-on à terme la transformer en une ressource sur le site ? Sachant qu’on peut faire de même ensuite avec les films…
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Science-Fiction & Fantasy
Marion Zimmer-Bradley : La Romance de Ténébreuse
Anne Mc Caffrey : La ballade de Pern
J’ai lu ces deux auteures dans ma jeunesse. Elles ont chacune su créer un univers captivant, obéissant à ses propres lois, à tel point que nombre de jeunes écrivaines imaginent des nouvelles se déroulant sur ces planètes. Pern, la planète aux dragons, avec sa comète erratique qui déverse des fils destructeurs tous les 200 ans. Et Ténébreuse, la planète aux vents de folie (hum, je trouve ce titre tellement poétique !). Beaucoup de rêve en perspective, un humour discret en plus pour Mc Caffrey. Et des héroïnes à la pelle.
Policier
Virginie Brac – Tropiques du Pervers, Notre Dame des Barjots, Double Peine
Une de mes auteures préférées. Son style est extrêmement nerveux, enjoué, et très drôle. Plus de la moitié du texte est constitué de dialogues. Des intrigues secondaires étoffent la trame principale, donnant un résultat touffu et très vivant. Son héroïne est croustillante.
Nicci French – Aide-moi, Sourire en coin
Un couple écrivant à 4 mains. C’est très particulier, pas forcément facile à lire. Ils savent créer des atmosphères étouffantes. Pour celles qui aiment le malaise.
Gilda Piersanti – Bleu catacombes
Un de ces policiers où les méchants sont plus intéressants que les gentils… Beaucoup de personnages féminins, très rapide à lire.
Daniel Pennac – Au bonheur des ogres, La fée carabine, La petite marchande de prose
Très spécial… Cet auteur, désormais extrêmement renommé, a de l’humour, des expressions qui frappent l’imagination, et une réelle tendresse pour ses personnages. J’aime bien les caractères bien trempés des frangines de Malaussene, quoique je déplore un peu le parti pris nataliste qui devient de plus en plus criant au fur et à mesure des tomes.
Susan Isaacs – Lily White
Un policier construit sur l’enchevêtrement de deux trames : l’intrigue se noue doucement dans le présent, interrompue de flash-backs montrant l’héroïne, avocate de la défense, qui naît, grandit, aime, se déchire, en un mot devient. Et quand le passé rejoint le présent de narration, on comprend l’erreur qu’elle commet. Cette construction est originale ; et le back ground familial de l’héroïne est savoureux !
Les lectures suivantes datent un peu, et je me rappelle les avoir aimées, mais pas au point de collectionner les livres de la même auteure (contrairement à celles qui précèdent) :
Nancy Star – Ne zappez pas, c’est l’heure du crime ; V’la autre chose
Sans être hilarante, cette auteure m’a fait sourire de temps en temps. Les intrigues ne sont pas toujours mirobolantes.
Deborah Crombie – Chambre noire
Les personnages ont une certaine épaisseur (une sapeur-pompière pleine d’initiative, une flic délicieusement odieuse, une criminelle mystérieuse…).
Martha Grimes – Le meurtre du lac
L’enquêtrice est une gamine de 12 ans, gourmande et délurée.
Carol O’Connell – L’appât invisible
Pas mal de sensibilité dans ce livre, dont l’héroïne porte une balafre en travers du visage.
Brigitte Aubert – La mort des bois
L’héroïne est paraplégique, aveugle, muette. Elle va néanmoins se retrouver dans l’entourage d’un criminel… Et s’improviser enquêtrice !
Humour & Satyres sociales
Stephen McCauley – Sexe et Dépendances
Assez drôle, ce livre a le mérite de mettre en scène des amours homosexuelles et quelques personnages croustillants. L’auteur a une vision qui n’est ni androcentrée, ni hétérocentrée, et pour une écrivaine homme (c’est de la provocation gratuite, ça m’énerve tellement quand les gens écrivent « une femme écrivain » ;-)), c’est plutôt rare.
Nicole de Buron – C’est quoi, ce petit boulot ? Qui c’est, ce garçon ?
Rafraichissant, avec un style très dynamique (le roman est écrit à la 2nde personne du pluriel, avec des phrases invariablement courtes et une pléthore de verbes !), ces deux petits livres se dévorent littéralement. L’humour de Nicole de Buron fait mouche presque à chaque page !
Amélie Nothomb – Ni d’Eve ni d’Adam, Stupeurs et Tremblements
Incontournable, est-ce vraiment utile de la présenter ? Le premier livre a le mérite de narrer une histoire d’amour où pour une fois, la dulcinée ne souhaite absolument pas convoler, le second est celui qui l’a rendue célèbre. Cette auteure a une écriture très singulière, qui n’appartient qu’à elle.
Roman historique
Roman noir & Horreur
Helen Zahavi – Dirty week-end
Style anxiogène, lourd, étonnant. J’ai aimé, certaines détestent. Le livre est ouvertement féministe (je dirais même misandre). Il FAUT le lire, ne serait-ce que pour contrebalancer toutes les lectures insidieusement misogynes que vous avez avalées depuis que vous êtes toute petite. Et puis, ce roman est vraiment unique en son genre.
Maud Tabachnik – Un été pourri
Une sorte de remake plus soft de Dirty week-end. Un de mes amis, qui avait beaucoup aimé Dirty Week-end, a été très déçu par celui-ci… Pourtant, il a aussi ses qualités, ne serait-ce que parce qu’il est nettement moins manichéen et plus psychologue. Dirty Week-end, il faut être honnête : je le conseille pour se défouler, pas pour réfléchir !^^
Karine Giebel – Les morsures de l’ombre
Le dernier roman que j’ai lu. J’ai ADORE. Ce livre présente le portrait d’une femme fatale dans le rôle de la méchante (quoique, l’est-elle ? et est-ce vraiment elle ?). Mais une femme fatale… Imaginée par une femme. C’est-à-dire : oubliez tous les stéréotypes que vous connaissez, il ne s’agit pas d’une fille en cuir noir avec des ongles laqués qui va donner quelques frissons d’angoisse à ces messieurs avant de leur tailler une pipe. Non, il s’agit plus simplement d’une tueuse. Pour une fois que l’on s’identifie au bourreau ! (bourrelle au féminin ;-))
Essai
Corinne Maier – Bonjour, paresse
Une critique assassine du monde des grandes entreprises… A mon sens le plus drôle des essais de cette auteure.
Isabelle Alonso – Tous les hommes sont égaux… Même les femmes
Un petit pamphlet féministe avec quelques analyses percutantes et de belles tranches de fou-rire en perspective.
Natacha Henri – Le paternalisme lubrique
Un essai féministe inégal, qui part d’une très bonne idée mais traîne un peu à la développer, avec des passages désopilants et d’autres plus superflus.
Isabelle N.
Quelle excellente idée, cette liste! Je suis d’autant plus contente que de tous les titres mentionnés, je n’ai lu que Pennac (que j’adooooore). Merci pour ces excellentes suggestions, je m’en vais de ce pas à la bibliothèque!
Sinon, j’ajouterais un titre dans la catégorie « roman d’amour » (eh, pourquoi pas?) Les Vaisseaux du Coeur de Benoîte Groulx. Ça aide que l’auteure soit une féministe renommée, mais c’est aussi une histoire magnifique avec des personnages qui sortent des carcans traditionnels (c’est l’homme qui rêve mariage et enfants et la femme ne veut rien savoir).
Le livre a fait scandale à sa sortie parce que l’auteure de 60 ans a osé quelques scènes olé-olé (superbement écrites, par ailleurs).
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Catherine
La littérature est un des grands bonheurs de l’existence. Depuis quelques temps, je me concentre (presque) exclusivement sur des auteures, histoire de concurrencer le temps passé à lire les «grands classiques» (masculins), depuis l’époque du secondaire où les romans obligatoires et les écrivains étudiés étaient pratiquement tous des hommes (excepté Le Survenant peut-être). Sabrina, tu as tellement raison: quel déception de tomber tout à coup sur un passage misogyne ou sexiste dans un roman qui nous passionne (passionnait). Ça fout le cafard. Le seul remède, c’est de se plonger au plus vite dans un roman féministe. Ou non sexiste, simplement.
Merci pour la liste. C’est une idée fantastique, et il y a plein d’auteurEs que je ne connais pas! Je rajouterais 2 suggestions, des découvertes récentes qui m’ont épaté:
Trois femmes puissantes, de Marie NDiaye, prix Goncourt. Et surtout: Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé. Deux romans très touchants, porteurs d’espoir malgré une réalité parfois sordide et deux écritures magnifiques.
J’aimerais aussi metionner, dans la catégorie «romans policiers», l’auteure Fred Vargas. Si vous aimez le genre, il faut absolument que vous la lisiez. Malheureusement, ses héros sont surtout des hommes. Mais des hommes qui sont ouvertement non sexistes. Et des personnages féminins à trois dimensions.
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Dominique
Superbe idée, j’ai beaucoup apprécié ton article !
Un passage que l’on qualifierait de sexiste ou du misogyne dans un récit écrit par une femme n’est pas nécessairement fait pour être interprété de la même façon que si le récit était d’une plume masculine, ça tu l’as dis. Je crois qu’il peut y avoir une part de résistance, ou de récupération du préjugé/stéréotype lorsque le ton est contestataire, dénonciateur, ironique, ou féministe.
De démontrer froidement le sort des femmes à travers la littérature est quelque chose de fascinant à étudier, comme chez l’auteure albertaine Helen Potrebenko, et même chez Gabrielle Roy. Le réalisme permet bien de voir les difficultés engendrées par le patriarcat et la féminisation de la pauvreté, entre autres. Il serait donc réducteur d’interprété les choix de Florentine comme étant indicateurs de la faiblesse des femmes, et Bonheur d’occasion n’est pas, de prime abord, un roman féministe. Est-ce que notre interpretation pèse plus lourd que l’intention de l’auteure ? Je me le demande souvent…
Tout cela pour dire que ce questionnement, à savoir si automatiquement une représentation féminine dégradante est anti-féministe ou est signe de misogynie ou de sexisme, demande beaucoup de nuance. Parfois la réalité est utilisée pour confronter le lecteur ou la lectrice à une situation qu’on ne perçoit pas au quotidien par manque de sensibilisation.
Ta liste me fait penser à la grande pièce Les Fées ont soif, de Denise Boucher. Incontournable. Ici la confrontation est flagrante, les rôles sont récupérés pour démontrer à quel point c’est inacceptable. J’aime beaucoup cette forme de résistance à travers la littérature.
Taxi! (1975) de Helen Potrebenko, ainsi que Hey Waitress and Other Stories (recueil de nouvelles, 1989) valent la peine d’être lus. Ils ne sont pas traduits en français, je crois. The Diviners, de Margaret Laurence, est aussi un incontournable. Les personnages dans La Servante écarlate de M. Atwood sont dignes de mention.
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Isabelle N.
Dominique, tu mentionnes le théâtre et cela me fait penser à une pièce québécoise qui m’a jetée sur le cul: Albertine en 5 temps, de Michel Tremblay. J’avais vu cette pièce en version télévisée avec d’excellentes comédiennes, et j’avais trouvé le texte, qui décrit tellement bien la colère vécue par cette femme emprisonnée dans son époque, très féministe et tellement réaliste!
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Maya
Très bonne idée cette liste! D’ailleurs, tant qu’à y être, je vous recommande le livre qui, à 15 ans, a commencé de m’ouvrir les yeux sur les inégalités.
C’est de la science-fiction féministe (!) québécoise en plus (!!), et ça s’appelle Chroniques du pays des mères, de Élisabeth Vonarburg (publiée chez Alire).
On se retrouve dans un futur incertain, où il naît beaucoup plus de femmes que d’hommes, où on doit recourir à une forme très hasardeuse d’insémination artificielle pour avoir des enfants.
Ce qui est particulier, c’est que l’auteure a trouvé le moyen de complètement inverser le rapport de force, mais de façon crédible. Difficile d’éviter les dissonnances cognitives tout le long du roman: on est dans la tête du personnage principal, Lisbeï, et ce sont donc ses mots auxquels on a droit. Ça prend un moment pour arrêter de sursauter devant les « une enfante » (même quand on parle d’un garçon), « une bébé »… et ce ne sont là que deux exemples.
Petit à petit, Lisbeï se demande pourquoi, dans son monde « égalitaire », les garçons et les hommes sont en fait… moins égaux.
Vraiment intéressant, pour le souci du détail, et la réflexion à laquelle ça pousse, au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire.
Bien sûr il faut aimer le genre, mais c’est un petit chef-d’oeuvre qui vaut vraiment la peine d’être découvert.
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Joëllita
Il y a en fait tellement de livres de femmes qui interrogent les rapports des femmes entre elles et avec leur société !
Du côté anglophone, je pense à l’oeuvre de Virginia Woolf (ses romans comme ses textes critiques), mais aussi à celle d’Anaïs Nin et de Toni Morrison — à lire absolument !
Chez les francophones, il y a la poète et romancière lesbienne québécoise Nicole Brossard qui a écrit des textes difficiles mais aussi des livres plus accessibles, comme Le désert mauve, Baroque d’aube, ou Hier. Il y a Gisèle Pineau, qui représente brillamment les stratégies de survie employées par des femmes guadeloupéennes, notamment dans L’espérance macadam et Mes quatre femmes. Enfin (mais la liste pourrait continuer longtemps — heureusement !), il y a Annie Ernaux, qui a exploré les relations mère-fille dans Une femme et dans « Je ne suis pas sortie de ma nuit », et l’expérience de l’avortement illégal dans L’événement. D’elle aussi, je vous recommande Les années, moins explicitement axé sur l’expérience féminine, mais un exercice époustouflant de mise en écriture d’une vie.
Mais, comme le dit Dominique, je crois qu’il est important de ne pas se fermer à des auteures au discours sur les femmes plus ambigu, et là je pense à Nelly Arcan, si puissante dans sa colère. Et ça, c’est précieux.
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