La justice sociale, constamment renouvelée par les féministes
*Billet paru en avril 2012 sur le Journal des Alternatives*
Après un mois de mars haut en revendications féministes, qu’en sera-t-il le reste de l’année ? Les féministes transforment de l’intérieur les groupes de justice sociale, que ce soit dans le mouvement étudiant ou dans le mouvement écologiste, elles renouvèlent et améliorent leurs pratiques militantes. Or, plusieurs obstacles se dressent encore devant les pratiques féministes. Pourquoi ?
Lutte étudiante et féminismes
Les féministes étudiantes participent au mouvement étudiant de contestation contre la hausse des frais de scolarité au Québec. Elles tiennent à bout de bras leurs revendications féministes dans cette lutte d’actualité qui les concernent [1]. S’organisant de manière non mixte, en collectifs éphémères aux tendances idéologiques diversifiées, les féministes étudiantes ont plusieurs tours dans leur sac afin de rendre le mouvement étudiant réceptif aux enjeux d’égalité.
« Les étudiantes revendiquent leurs féminismes non sans plusieurs difficultés », explique Camille Tremblay-Fournier, militante étudiante depuis 2006 et ancienne exécutante du Comité Femmes [2] de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) [3], la seule association étudiante nationale ayant des principes féministes. Il appert que, selon elle, le milieu étudiant n’est pas imperméable à des tactiques d’intimidation et d’invisibilisation des revendications féministes.
D’après cette militante, il existerait de fortes résistances aux critiques féministes au sein même des groupes, des instances et durant les actions étudiantes. Alors que les féministes étudiantes réclament un mouvement étudiant inclusif et diversifié, elles se font accuser de désolidarisation et de division, en plus de se faire trahir dans les manifestations ou dans les structures décisionnelles d’importance. Prenons le cas du Comité Femmes de l’ASSÉ, où il y a eu, en temps de pré-grève, plusieurs démissions causes par des facteurs ne favorisant pas l’exercice efficace du comité (absence de budget récurrent ou absence de solidarité des autres comités). [4]
Dans un article percutant paru sur le site web Je suis féministe, le comité-femmes non mixte Grève générale illimitée (GGI) revient d’ailleurs sur ces critiques : « Nous revendiquons le droit de dénoncer les dynamiques de pouvoir et de domination au sein même du mouvement étudiant sans être accusées le désolidariser. Les analyses féministes au sein du mouvement étudiant permettent une plus grande inclusivité de communautés diverses puisqu’en plus d’accorder les réflexions sur les rapports sociaux de sexe, nous les faisons sur les rapports sociaux de classes, de « races », de « capacités physiques », d’orientations sexuelles et tout ce que comporte cet embarrassant « et cetera« . » [5]
Pour Vanessa Mercier, féministe étudiante membre du comité-femmes GGI, « la mobilisation féministe étudiante permet d’établir des espaces sécuritaires d’« autonomisation » [6] pour les femmes, ainsi que d’offrir des tribunes diversifiées pour la mise en place des pratiques féministes dans les milieux étudiants. »
De tels espaces de non-mixité sont des endroits momentanés (et non des fins en soi) pour l’apprentissage de structures organisationnelles horizontales et antiautoritaires. Ils sont aussi un tremplin pour favoriser la participation des femmes à la prise de décision autant que pour faire l’exercice durant des actions mixtes. [7]
Le travail accompli par les féministes étudiantes est primordial pour la prise de conscience féministe dans le cheminement académique et militant de la jeunesse québécoise. En effet, dans les établissements postsecondaires, la présence et la persistance des féministes à l’inclusion de pratiques plus égalitaires permettent une éducation à la citoyenneté englobant les questions de genre, de classe, d’orientation sexuelle et de race.
Peu de féminismes en environnement
Le 4 mars dernier avait lieu la journée « Les femmes résistent à l’exploitation par les minières canadiennes », organisée par le Comité 8 mars du groupe Femmes de diverses origines [8]. Femmes de diverses origines rassemble des représentantes de groupes de femmes québécois et internationaux. Durant cette journée, elles ont examiné les impacts sociaux négatifs causés par l’exploitation minière au Canada et à l’international. Sujet peu abordé par les groupes féministes, l’environnement est un enjeu social pouvant élargir les domaines d’analyse féministe.
Lors de cet événement féministe, aucune organisation écologiste ne s’est présentée, comme si des femmes qui s’organisent sur des questions environnementales n’avaient pas « d’autorité » à parler de leurs expériences du développement minier canadien. Pourtant, Femmes de diverses origines a proposé une façon innovatrice d’intégrer le genre dans le domaine de la critique écologiste ; une initiative dont les écologistes devraient s’inspirer.
Par ailleurs, le colloque « Droits humains et environnement : Converger pour avancer ensemble », organisé conjointement par le Réseau québécois des groupes écologistes et la Ligue des droits et libertés, comprenait des panels majoritairement féminins. Ralliant des militant.e.s écologistes et des militant.e.s pour les droits humains, ce colloque comprenait des ateliers d’éducation populaire pour favoriser les échanges. L’animation était conduite par deux femmes. Il n’est pas étonnant que la légitimité du processus, ainsi que l’autorité des animatrices, aient parfois été mises en doute par la salle, aux deux tiers masculine.
De plus, il est intéressant de noter l’utilisation de métaphores genrées problématiques pour discuter d’enjeux environnementaux, ce qui est, un manque de compréhension des réalités de certaines femmes. Notamment l’expression « Harper danse sur la table des investisseurs chinois » qui sous-entend que le travail des danseuses érotiques est dégradant ou encore fait référence à la prostitution/travail du sexe, travail « méprisable » dans l’imaginaire sexiste et collectif. Lorsqu’un intervenant appelle les militant.e.s à gérer les ressources naturelles en « bon père de famille », c’est avoir une prémisse de genre qu’une gestion « paternelle » équivaut à une gestion durable et écologique de l’environnement.
Si le féminisme est une analyse transversale devant atteindre le plus possible de sphères sociales, il faut critiquer de telles métaphores genrées utilisées par les groupes écologistes pour mobiliser la population aux causes environnementales. Celles-ci perpétuent des stéréotypes nocifs pour les femmes et s’aliènent la solidarité des féministes. Les féministes peuvent se saisir des enjeux environnementaux comme étant une cause sociale ayant des impacts différenciés selon les genres. De l’autre côté, les groupes écologistes doivent soutenir et reconnaître la pertinence des expériences environnementales des femmes, comme celles qui ont été exprimées le 4 mars par Femmes de diverses origines.
Effet transformateur des féminismes
Des obstacles internes empêchent l’intégration adéquate des pratiques féministes dans certains groupes de justice sociale. Or, ces pratiques féministes transforment de façon positive les pratiques militantes individuellement et collectivement. En demandant une inclusivité toujours plus grande de la part des groupes de justice sociale, les féministes veulent dépasser le « féminisme de façade et le machisme de tradition » dans les groupes de justice sociale.
Notes
[1] Étude de l’Institut Simone-de-Beauvoir sur les impacts genrés de la hausse des frais de scolarité. Consultée en ligne : http://wsdb.concordia.ca/about-us/o…
[2] Site du Comité Femmes de l’ASSÉ : http://www.asse-solidarite.qc.ca/sp…
[3] Site de l’ASSÉ :http://www.asse-solidarite.qc.ca/
[4] Hequet, Céline. « La CLASSE, féministe, mais jusque où ? », Ultimatum, Numéro Spécial Express GGI, 5 mars 2012. Consulté en ligne : http://www.bloquonslahausse.com/wp-…
[5] Collectif Comité-femmes GGI « 8 mars 2012 : « Québécois debouts, Québécoises à genoux ». Et quoi encore ?! », publié sur le blogue Je suis féministe. Consulté en ligne : https://jesuisfeministe.com/?p=4916
[6] Traduction du concept d’« empowerment », concept féministe anglophone référant au renforcement de l’estime de soi.
[7] Mercier, V. et Visotzky, M. « Pour une grève féministe », Ultimatum, Numéro Hiver 2012 paru en Janvier 2012. Consulté en ligne :http://www.bloquonslahausse.com/wp-…
[8] Site web de Femmes de diverses origines : https://wdofdo.wordpress.com/