Les écrivaines sont de si bonnes correctrices
Avec leur ironie habituelle, les militantes de la Barbe ont envoyé un honorable porte-parole barbu saluer par ce discours la refonte de la prestigieuse revue littéraire Liberté. Voici le texte livré par l’honorable André-Richard Bourgeois-Barbe lors du lancement du 24 octobre 2012.
Mes semblables, mes frères… quelle tristesse. Alors que nous célébrons aujourd’hui la renaissance d’un projet éditorial des années 50 refait en 2012 avec les codes virils des années 50, il y a, parmi nous, des ingrates. Des agitatrices, des militantes anti-culture. Oui oui (doigt pointé) nous vous voyons. Nous ne vous entendons pas, mais nous vous voyons, mesdemoiselles, vous qui vous plaignez que cette revue vous donne un rôle digne de la grande tradition littéraire québécoise. Pas de chroniqueuses. Pas de participante au dossier principal. Pas d’accueil au comité éditorial. Mais… c’est que les écrivaines sont de si bonnes correctrices.
Ingrates, dis-je, car elles manquent de reconnaissance pour le don (petite tape sur le ventre) que nous leur faisons, ce soir comme tous les soirs. Le don de notre parole la plus belle. Elle est puissante, elle est solide, elle est dressée bien haut, cette parole. Elles le savent pourtant. Car elles nous lisent. Mais… elles n’en sont pas comblées. (essuie une larme)
Elles pensent, c’est fabuleux, que nous les ex-clu-ons. Nous qui passons notre vie à parler pour elles. (soupir) Il faut bien que quelqu’un accomplisse cette tâche, tandis qu’elles restent, de leur plein gré (insistant), muettes. Muettes muettes muettes. Pourtant, nous rions ensemble, nous apprenons ensemble, nous pensons ensemble. Ce sont nos sœurs, nos amantes, nos collègues. Elles nous encouragent, nous révisent. (plus bas) elles apportent le café et les muffins dans les réunions… C’est – la plupart du temps – pour leur bien que nous parlons à leur place.
C’est de l’amour. Comment peuvent-elles faire les dédaigneuses? Elles ne savent pas ce qu’elles font. Elles doivent être cooptées par des groupuscules radicaux, les féminissses, ces briseuses d’amour et de consensus. Destructrices… de PATRIMOINE. – (lyrique) Ce socle contre lequel s’arcbouter, on pourrait aussi bien le comparer à un moteur qui pousse la norme en avant et qui laisse les marges derrières.- Comme si, c’est fas-ci-nant, était envisageable la cohabitation de plusieurs patrimoines en partage. Comme s’il pouvait exister différentes manières d’envisager notre histoire littéraire commune. Non non. Comme nous le rappelait Jean Larose, réédité dans notre anthologie, si elles critiquent les grandes œuvres, c’est forcément parce qu’elles n’y ont rien compris. (rire mignon)
Cessez de répandre la peur, mesdemoiselles, écoutez-nous dire Nous. Laissez-vous bercer. Les écrivains veillent.
Qu’il soit clair que nous n’excluons personne. Mais il faut avouer, que, dans certains cas, 4 pages sur 68, c’est assez. Quand on a été invisibles si longtemps, la moindre présence paraît démesurée. Il ne faudrait pas effrayer les lecteurs et les lectrices. Ho, moi je n’ai pas peur. Les femmes qui pensent, je suis pour ! Sauf qu’elles pourraient penser poliment. À leur place. Dans le respect de ceux qui ont plus d’expériences qu’elles dans la visibilité. Dans la raison.
En plus. Si cette revue leur avait ouvert ses pages toutes grandes, elles s’y seraient engouffrées pour dire ce qu’elles disent tout le temps – alors que, nous, sommes plein de surprise ! Elles auraient dit que les conservateurs conservent… quoi ? (vers la salle) oui. Les privilèges ! Ceux des riches, des blancs, des hommes. Gnagnagnaaaa et gnagnagna.
Mais ça n’aurait pas mené loin comme discussion, ça, l’égalité, l’ouverture, le pluriel. Elles auraient eu l’air de nous accuser. Ne savent-elles pas que les sauveurs sont incritiquables? Nous les sauvons de la perdition postmoderne, de la division, de l’effondrement de la famille, de la matantisation de la culture. Car ce sont nous, les vrais conservateurs des privilèges. Que conservent aujourd’hui les conservateurs ? Notre revue Liberté.